L'affaire est bien connue ... des spécialistes. Sont-ils nombreux, je l'ignore. Toujours est-il que je ne connaissais pas du tout l'existence de cette Rose Keller dont la déconvenue fera en quelque sorte "tomber" le Marquis de Sade.
Rose Keller est au chômage depuis plus d’un mois quand elle est réduite, en ce dimanche de Pâques du 3 avril 1768, à mendier sur la Place des Victoires à Paris. En acceptant de suivre, pour un écu, un jeune homme soigneusement habillé qui a besoin de quelqu’un pour un peu de ménage dans sa maison d’Arcueil, elle ne peut se douter qu’elle se dirige tout droit vers l’enfer. Elle ne sait pas encore que celui qui vient de l’engager n’est autre que Donatien Alphonse François de Sade, celui qu’on surnommera "le divin marquis"…
Sans être pour autant historien, Ludovic Miserole a pour spécialité (de plume) de restaurer la mémoire d'hommes et de femmes inconnus de la grande histoire mais dont la vie aura été déterminante. La dernière servante à la Conciergerie de Marie-Antoinette, Rosalie Lamorlière, fut l'héroïne de son second livre, succédant à Zamor, le nègre républicain, relatant le parcours d'un enfant indien de 8 ans acheté par Louis XV pour l'offrir à Mme du Barry, et qui témoigna contre elle à son procès.
Avec cette nouvelle "affaire" il nous plonge dans le Paris d'une période marquée par les principes qui caractérisèrent le règne de ce roi, marqué par la puissance de la religion.
Le travail de documentation de l'auteur est évident et permet d'instaurer la confiance avec le lecteur qui ne mettra rien en doute. L'écriture est fluide. Elle respecte les codes de l'époque et pourtant ne dérange aucunement notre oeil contemporain. Ludovic Miserole ne nous fait grâce d'aucun détail sur les perfidies du célèbre marquis tout en parvenant à demeurer pudique. On apprend comment Sade employait la cire blanche ou rouge pour torturer ses proies. A l’exception d’une scène (inévitable) au cours de laquelle il martyrise la pauvre Rose cet ouvrage pourrait quasiment être mis entre toutes les mains.
L’auteur a effectué un remarquable travail d’archiviste pour restituer l’ambiance de la région parisienne à la fin du XVII° siècle, aussi bien la capitale que ses faubourgs. Si bien qu’outre le fait d’en apprendre davantage sur la vie mouvementée du marquis on comprend très bien quels étaient les rapports de classes et comment un tel comportement a pu longtemps rester impuni. Du moins jusqu’à ce que des femmes courageuses ne le fassent plier. On accorda très longtemps davantage foi à un seigneur qu’à une prostituée, même si le témoignage de l’une d’elles valut à Sade d’être emprisonné à Vincennes (p. 192). D'une certaine manière les temps ont peu évolué lorqu'on regarde des parcours comme celui de Jacqueline Sauvage, à croire que les violences faites aux femmes ne seraient pas "recevables".
On ne manquera pas de faire également le parallèle avec l’affaire DSK qui, elle aussi, s’est inscrite dans un contexte politique. Les deux hommes doivent pareillement leur sortie de prison à l’affection (et l’argent) de leurs épouses. Comme si "tout" pouvait s’arranger avec de l’argent !
L’analyse des attitudes féminines est particulièrement intéressante dans le roman de Ludovic Miserole. Bien que le siècle soit plutôt misogyne on remarque de beaux portraits de femmes, dans plusieurs couches sociales, avec des émergences féministes. Il a bien eu raison de s’intéresser au destin de cette Rose Keller dont la rencontre avec le marquis fut déterminante, pour l’un comme pour l’autre. On suivra avec intérêt le cheminement de la pensée de Rose, assignée par Julie (une autre femme ayant subi les outrages de Sade) à venger son sexe. Le combat est inégal et elle va fléchir devant une somme rondelette, au risque de perdre l’amitié de cette compagne d’infortune. Mais comment résister ?
L’exemple vient d’en haut puisque le roi aime les belles femmes plus que de raison et le libertinage se répand comme un serpent malveillant (p. 106). L’auteur démontre qu’on imite le roi dans l’espoir de lui plaire. Néanmoins ces agissements ne sont pas du goût de tout le monde, en particulier de certains notables qui tiennent à la réputation de leur banlieue, loin des tumultes parisiens où l’on est plus anonyme. Ceci explique que Rose Keller ait pu bénéficier aussi de quelques appuis masculins.
On découvre Renée Pélagie, l'épouse, très amoureuse de Sade, qui se doutait mais préférait ne pas connaitre les détails (p. 29), qui fait ce qu'elle peut mais qui peut "peu" en raison du rôle de ses parents.
Car on essaie partout de sauver les apparences à tout prix (même s'il doit en coûter beaucoup d'argent). Si on imite le roi on ne souhaite pas ternir la réputation de sa famille. On sera prompt à étouffer le scandale au mépris du plus élémentaire des cas de conscience. On ne compatira cependant pas au désarroi de Madame de Montreuil, la mère de Renée Pélagie, qui est la première à œuvrer en ce sens avec une force de caractère habilement décrite par l’auteur. Elle cherche à protéger sa fille autant que son gendre en se faisant aider de l'oncle, l'abbé de Sade, dont l'attitude est pour le moins louche. Elle ne ménage ni ses efforts, ni son argent pour le protéger, parce que, nous apprend l’auteur, elle l’aime comme son fils (p. 156). Il faut savoir qu'il encourt tout de même la peine de mort et qu'il avait déjà été emprisonné après le scandale provoqué par une autre femme avant Rose, Jeanne Testard.
Elle ira très loin pour sauver Sade malgré lui. Ce sont deux personnes au fort caractère. Ecoutons la sermonner sa fille : Vous apprendrez ma fille qu'à trop aimer on se met en danger (p. 130). Se plaindre c’est quelque part renoncer (p. 346). Il ne faut point hésiter à se faire haïr s’il en découle votre bonheur.
Ludovic Miserole établit un portrait sans concession du marquis mais il souligne quand même le dévouement de Jacques Langlois, son laquais. Il a aussi une manière particulière de parler de lui, justifiant ses pratiques par l’absence de croyance religieuse. A ses yeux de philosophe, la profanation de reliques religieuses n’aurait pas plus de conséquence que celle d’une statue païenne (p. 192). Sade s’estime même victime de l’hypocrisie de son époque. L’homme affiche un optimisme à toute épreuve alors que le viol et le blasphème sont malgré tout punis par la loi. On comprend aussi que ses motivations sont personnelles. Il ne vit pas dans la débauche pour plaire au roi. Lui n’a soif que de liberté absolue, libérée de tout carcan. Il rêve d’une terre où la jouissance serait le but ultime. (…). Souffrir pour se sentir vivre et posséder pour être invincible (p. 280).
Il acceptera néanmoins de se plier à la solution que lui imposera sa belle-mère pour éviter un procès aussi diffamant que destructeur (p. 298) et que je vous laisse le plaisir de découvrir au fil d’une lecture passionnante.
Ludovic Miserole tricote la vérité, puisée minutieusement dans les sources historiques avec un certain niveau de fiction pour faire sortir de l'ombre des coulisses de modestes anonymes d’un Paris (et de ses faubourgs) très différent de celui que l'on connait désormais.
J'ai lu avec intérêt ce roman qui fait penser à l'atmosphère qui se dégage des Liaisons dangereuses et qui m'a rappelé un spectacle vu dans le donjon du château de Vincennes, dans le cadre d'une édition d'un Festival des caves.
Je rappelle que French Pulp, contrairement à ce que le nom laisse entendre, ne publie que de la littérature francophone, toujours populaire, essentiellement "noire" : polar, angoisse, anticipation, espionnage, grandes sagas, les féroces (exofiction).
L'Affaire Rose Keller de Ludovic Miserole, French Pulp, dans la catégorie des Féroces, en librairie le 13 septembre 2018
Rose Keller est au chômage depuis plus d’un mois quand elle est réduite, en ce dimanche de Pâques du 3 avril 1768, à mendier sur la Place des Victoires à Paris. En acceptant de suivre, pour un écu, un jeune homme soigneusement habillé qui a besoin de quelqu’un pour un peu de ménage dans sa maison d’Arcueil, elle ne peut se douter qu’elle se dirige tout droit vers l’enfer. Elle ne sait pas encore que celui qui vient de l’engager n’est autre que Donatien Alphonse François de Sade, celui qu’on surnommera "le divin marquis"…
Sans être pour autant historien, Ludovic Miserole a pour spécialité (de plume) de restaurer la mémoire d'hommes et de femmes inconnus de la grande histoire mais dont la vie aura été déterminante. La dernière servante à la Conciergerie de Marie-Antoinette, Rosalie Lamorlière, fut l'héroïne de son second livre, succédant à Zamor, le nègre républicain, relatant le parcours d'un enfant indien de 8 ans acheté par Louis XV pour l'offrir à Mme du Barry, et qui témoigna contre elle à son procès.
Avec cette nouvelle "affaire" il nous plonge dans le Paris d'une période marquée par les principes qui caractérisèrent le règne de ce roi, marqué par la puissance de la religion.
Le travail de documentation de l'auteur est évident et permet d'instaurer la confiance avec le lecteur qui ne mettra rien en doute. L'écriture est fluide. Elle respecte les codes de l'époque et pourtant ne dérange aucunement notre oeil contemporain. Ludovic Miserole ne nous fait grâce d'aucun détail sur les perfidies du célèbre marquis tout en parvenant à demeurer pudique. On apprend comment Sade employait la cire blanche ou rouge pour torturer ses proies. A l’exception d’une scène (inévitable) au cours de laquelle il martyrise la pauvre Rose cet ouvrage pourrait quasiment être mis entre toutes les mains.
L’auteur a effectué un remarquable travail d’archiviste pour restituer l’ambiance de la région parisienne à la fin du XVII° siècle, aussi bien la capitale que ses faubourgs. Si bien qu’outre le fait d’en apprendre davantage sur la vie mouvementée du marquis on comprend très bien quels étaient les rapports de classes et comment un tel comportement a pu longtemps rester impuni. Du moins jusqu’à ce que des femmes courageuses ne le fassent plier. On accorda très longtemps davantage foi à un seigneur qu’à une prostituée, même si le témoignage de l’une d’elles valut à Sade d’être emprisonné à Vincennes (p. 192). D'une certaine manière les temps ont peu évolué lorqu'on regarde des parcours comme celui de Jacqueline Sauvage, à croire que les violences faites aux femmes ne seraient pas "recevables".
On ne manquera pas de faire également le parallèle avec l’affaire DSK qui, elle aussi, s’est inscrite dans un contexte politique. Les deux hommes doivent pareillement leur sortie de prison à l’affection (et l’argent) de leurs épouses. Comme si "tout" pouvait s’arranger avec de l’argent !
L’analyse des attitudes féminines est particulièrement intéressante dans le roman de Ludovic Miserole. Bien que le siècle soit plutôt misogyne on remarque de beaux portraits de femmes, dans plusieurs couches sociales, avec des émergences féministes. Il a bien eu raison de s’intéresser au destin de cette Rose Keller dont la rencontre avec le marquis fut déterminante, pour l’un comme pour l’autre. On suivra avec intérêt le cheminement de la pensée de Rose, assignée par Julie (une autre femme ayant subi les outrages de Sade) à venger son sexe. Le combat est inégal et elle va fléchir devant une somme rondelette, au risque de perdre l’amitié de cette compagne d’infortune. Mais comment résister ?
L’exemple vient d’en haut puisque le roi aime les belles femmes plus que de raison et le libertinage se répand comme un serpent malveillant (p. 106). L’auteur démontre qu’on imite le roi dans l’espoir de lui plaire. Néanmoins ces agissements ne sont pas du goût de tout le monde, en particulier de certains notables qui tiennent à la réputation de leur banlieue, loin des tumultes parisiens où l’on est plus anonyme. Ceci explique que Rose Keller ait pu bénéficier aussi de quelques appuis masculins.
On découvre Renée Pélagie, l'épouse, très amoureuse de Sade, qui se doutait mais préférait ne pas connaitre les détails (p. 29), qui fait ce qu'elle peut mais qui peut "peu" en raison du rôle de ses parents.
Car on essaie partout de sauver les apparences à tout prix (même s'il doit en coûter beaucoup d'argent). Si on imite le roi on ne souhaite pas ternir la réputation de sa famille. On sera prompt à étouffer le scandale au mépris du plus élémentaire des cas de conscience. On ne compatira cependant pas au désarroi de Madame de Montreuil, la mère de Renée Pélagie, qui est la première à œuvrer en ce sens avec une force de caractère habilement décrite par l’auteur. Elle cherche à protéger sa fille autant que son gendre en se faisant aider de l'oncle, l'abbé de Sade, dont l'attitude est pour le moins louche. Elle ne ménage ni ses efforts, ni son argent pour le protéger, parce que, nous apprend l’auteur, elle l’aime comme son fils (p. 156). Il faut savoir qu'il encourt tout de même la peine de mort et qu'il avait déjà été emprisonné après le scandale provoqué par une autre femme avant Rose, Jeanne Testard.
Elle ira très loin pour sauver Sade malgré lui. Ce sont deux personnes au fort caractère. Ecoutons la sermonner sa fille : Vous apprendrez ma fille qu'à trop aimer on se met en danger (p. 130). Se plaindre c’est quelque part renoncer (p. 346). Il ne faut point hésiter à se faire haïr s’il en découle votre bonheur.
Ludovic Miserole établit un portrait sans concession du marquis mais il souligne quand même le dévouement de Jacques Langlois, son laquais. Il a aussi une manière particulière de parler de lui, justifiant ses pratiques par l’absence de croyance religieuse. A ses yeux de philosophe, la profanation de reliques religieuses n’aurait pas plus de conséquence que celle d’une statue païenne (p. 192). Sade s’estime même victime de l’hypocrisie de son époque. L’homme affiche un optimisme à toute épreuve alors que le viol et le blasphème sont malgré tout punis par la loi. On comprend aussi que ses motivations sont personnelles. Il ne vit pas dans la débauche pour plaire au roi. Lui n’a soif que de liberté absolue, libérée de tout carcan. Il rêve d’une terre où la jouissance serait le but ultime. (…). Souffrir pour se sentir vivre et posséder pour être invincible (p. 280).
Il acceptera néanmoins de se plier à la solution que lui imposera sa belle-mère pour éviter un procès aussi diffamant que destructeur (p. 298) et que je vous laisse le plaisir de découvrir au fil d’une lecture passionnante.
Ludovic Miserole tricote la vérité, puisée minutieusement dans les sources historiques avec un certain niveau de fiction pour faire sortir de l'ombre des coulisses de modestes anonymes d’un Paris (et de ses faubourgs) très différent de celui que l'on connait désormais.
J'ai lu avec intérêt ce roman qui fait penser à l'atmosphère qui se dégage des Liaisons dangereuses et qui m'a rappelé un spectacle vu dans le donjon du château de Vincennes, dans le cadre d'une édition d'un Festival des caves.
Je rappelle que French Pulp, contrairement à ce que le nom laisse entendre, ne publie que de la littérature francophone, toujours populaire, essentiellement "noire" : polar, angoisse, anticipation, espionnage, grandes sagas, les féroces (exofiction).
L'Affaire Rose Keller de Ludovic Miserole, French Pulp, dans la catégorie des Féroces, en librairie le 13 septembre 2018
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire