Le titre induit volontairement en erreur parce que Simple est une histoire compliquée. Je ne suis pas sûre d’ailleurs de l’avoir entièrement comprise.
Antoine Orsini, le narrateur, a une manière bien particulière de raconter ce qui lui est arrivé, dans un langage brut de décoffrage, sans filtre, si bien que lorsqu’il clame avoir tué la très belle Florence Biancarelli, personne ne pense qu’il s’exprime au second degré. Ça arrange tout le monde d’avoir un coupable comme lui sous la main. Le drame a eu lieu dans la nuit du 31 décembre 1986 et l’alibi que revendique Antoine est d’avoir dormi seul, sous-entendu sans la victime. Bien entendu l’argument ne convaincra personne de son innocence. Il sera condamné à une lourde peine de prison.
Antoine est comme on dit en Corse, un baoul, un crétin, un simple d’esprit, Ils pensent que je suis une maladie et ils s'inquiètent pour leurs mômes et la contagion (p.42).
Pourtant l'homme a beaucoup de jugeote, trop peut être... forcément il dérange. De là à le prendre pour bouc émissaire...
Pourtant l'homme a beaucoup de jugeote, trop peut être... forcément il dérange. De là à le prendre pour bouc émissaire...
Le roman concerne le mystère du décès de Florence mais il commence par une autre mort, celle d'Antoine, sans dire comment ni pourquoi, avant que l’auteure ne lui donne la parole. C’est de mon point de vue dommage car le suspens ne se niche plus que dans la question de le savoir coupable ou innocent, mais sans que rien ne puisse changer le cours des choses.
Antoine parle souvent de Magic comme d’un ultra copain. Il faudra attendre la page 101 pour apprendre qui est cet ami qui hélas n’aura pas pu être auditionné par les gendarmes. Son meilleur compagnon aura conservé tous ses secrets, et pour cause.
Entre temps, il aura raconté son histoire à une chaise (p. 17). J'vais prendre la chaise avec moi, je vais pas l'abandonner aux ordures. C'est pas parce qu'on est abimé qu'on est plus bon à rien (...) Moi j'garde tout, je jette pas, et la chaise, j'vais lui trouver une bonne place et un rôle très précis.
L'homme tient aux choses. Il entretient avec la nature un rapport quasi charnel et les objets sont pour lui aussi vivants que les êtres humains. Est-ce la raison pour laquelle il ne supporte pas la chanson Ne me quitte pas ? Il entrera en furie quand (p. 53) il verra partir aux ordures la cabine téléphonique avec qui depuis 1985 il entretenait "un long passé entre nous". Son chagrin est immense.
Ça a beau faire partie du mobilier, une chaise reste en plan si on ne la bouge pas ... Julie Estève a trouvé là une métaphore osée pour nous parler de cet homme qui s'exprime avec une voix d’enfant. Le lecteur avance de façon chaotique dans un récit mené comme une enquête, ponctué des tromperies qui infestent le village, nous amenant à soupçonner plusieurs personnes.
Antoine a un don unique, une forme de lucidité qui lui permet de lire dans l'âme de ses concitoyens et de deviner ce qui arrivera. Par contre il ne sait pas exprimer ses visions avec le filtre qui les rendraient acceptables et il se fait blackbouler de tout le monde, sauf de Florence, qu'il aide comme il peut, et forcément avec maladresse.
On compatit immensément pour cet homme dont la venue au monde a été placée sous de mauvais auspices : Je suis né comme tout le monde sauf que j’ai tué ma mère. C’est un assassinat qu’était pas voulu (p. 117). Privé de l'amour de sa mère il n'a pas davantage reçu celui de son père qui le traitait de Putain de mongol (p. 123) et qui s'exprimait avec une violence jamais contenue. Et surtout la taule qui est pire que tout.
La prison faut pas que je me rappelle sinon mon cerveau va causer des courts-circuits et je pourrai pas retenir les cris en laisse et je serai tout bleu de la tête (...) Un jour je serai plus mongol ! Ici et même plus loin, c'est Antoine Orsini qu'on m'appellera. j'aurai une sacrée réputation et on me regardera avec de l'envie comme avant, en 1983, quand j'étais une mascotte ! (...) Etre un porte-bonheur, c'est pas tout le monde qui peut ! (p. 35 ).
Petit à petit on se prend d'affection pour lui et on le suit dans les méandres de son raisonnement : Paris c’est devenu un gros mot dans nos bouches à la maison (...) Faut savoir qu'un ennemi c'est toujours un autre être humain. Par exemple ça peut pas être un arbre. Jamais entendu dire mon plus grand ennemi c'est les figuiers (p. 32).
J'ai voulu devenir un alcoolique mais j'ai pas réussi ! Au début, on doit se forcer à boire tous les jours même quand on n'a pas soif ! C'est vachement dur, et puis ça coute. Les alcooliques, ils se saoulent pour que la vie soit plus rapide que l'ennui (p. 24).
Antoine a une autre spécificité, celle de ne rien oublier, ce qui est peut-être un indice pour expliquer que la vie lui devienne insupportable (p. 37) : J'ai une mémoire sans limite, y a rien qui s'efface à l'intérieur. Et plus j'avance en âge, et plus tout s'empile, c'est bourré là-dedans !
Alors Antoine raconte, mais dans le désordre et je me suis un peu perdue entre les personnages et leurs surnoms, sa soeur Tomasine, Vanina, qui donne de l'envie (p. 29), Dominique Casanova, Florence, évidemment, et la mère Biancarelli qui se vide de son eau seule dans son coin face au hêtre (p.24), Noëlle (la murène) qui pleure parce que ses enfants sont jamais nés. Elle a un utérus inhospitalier, les médecins ont dit.
Seule madame Madeleine aura apporté un peu de douceur à Antoine, et puis son ami Saguézé qui lui apportera chaque jour en prison un carré de chocolat, plus efficace qu’un flacon de pilules pour éloigner la dépression. Mais aucun de ces deux là ne restera longtemps dans la vie d'Antoine, qui au fil des pages est peuplée de morts.
Au-delà de cette histoire tragique on retiendra quelques-unes de ses diatribes poétiques et philosophiques. Comme celle-ci (p.144) : Y a rien qui empêche d’être heureux. Pas même la mort des copains. C’est pas qu’on les oublie, mais c’est pas en permanence qu’on y pense, sinon on aurait des crampes en continue.
La langue dans laquelle l'auteure fait s'exprimer son héros est belle, mais complexe et cette lecture qui demande de la concentration.
L'homme tient aux choses. Il entretient avec la nature un rapport quasi charnel et les objets sont pour lui aussi vivants que les êtres humains. Est-ce la raison pour laquelle il ne supporte pas la chanson Ne me quitte pas ? Il entrera en furie quand (p. 53) il verra partir aux ordures la cabine téléphonique avec qui depuis 1985 il entretenait "un long passé entre nous". Son chagrin est immense.
Ça a beau faire partie du mobilier, une chaise reste en plan si on ne la bouge pas ... Julie Estève a trouvé là une métaphore osée pour nous parler de cet homme qui s'exprime avec une voix d’enfant. Le lecteur avance de façon chaotique dans un récit mené comme une enquête, ponctué des tromperies qui infestent le village, nous amenant à soupçonner plusieurs personnes.
Antoine a un don unique, une forme de lucidité qui lui permet de lire dans l'âme de ses concitoyens et de deviner ce qui arrivera. Par contre il ne sait pas exprimer ses visions avec le filtre qui les rendraient acceptables et il se fait blackbouler de tout le monde, sauf de Florence, qu'il aide comme il peut, et forcément avec maladresse.
On compatit immensément pour cet homme dont la venue au monde a été placée sous de mauvais auspices : Je suis né comme tout le monde sauf que j’ai tué ma mère. C’est un assassinat qu’était pas voulu (p. 117). Privé de l'amour de sa mère il n'a pas davantage reçu celui de son père qui le traitait de Putain de mongol (p. 123) et qui s'exprimait avec une violence jamais contenue. Et surtout la taule qui est pire que tout.
La prison faut pas que je me rappelle sinon mon cerveau va causer des courts-circuits et je pourrai pas retenir les cris en laisse et je serai tout bleu de la tête (...) Un jour je serai plus mongol ! Ici et même plus loin, c'est Antoine Orsini qu'on m'appellera. j'aurai une sacrée réputation et on me regardera avec de l'envie comme avant, en 1983, quand j'étais une mascotte ! (...) Etre un porte-bonheur, c'est pas tout le monde qui peut ! (p. 35 ).
Petit à petit on se prend d'affection pour lui et on le suit dans les méandres de son raisonnement : Paris c’est devenu un gros mot dans nos bouches à la maison (...) Faut savoir qu'un ennemi c'est toujours un autre être humain. Par exemple ça peut pas être un arbre. Jamais entendu dire mon plus grand ennemi c'est les figuiers (p. 32).
J'ai voulu devenir un alcoolique mais j'ai pas réussi ! Au début, on doit se forcer à boire tous les jours même quand on n'a pas soif ! C'est vachement dur, et puis ça coute. Les alcooliques, ils se saoulent pour que la vie soit plus rapide que l'ennui (p. 24).
Antoine a une autre spécificité, celle de ne rien oublier, ce qui est peut-être un indice pour expliquer que la vie lui devienne insupportable (p. 37) : J'ai une mémoire sans limite, y a rien qui s'efface à l'intérieur. Et plus j'avance en âge, et plus tout s'empile, c'est bourré là-dedans !
Alors Antoine raconte, mais dans le désordre et je me suis un peu perdue entre les personnages et leurs surnoms, sa soeur Tomasine, Vanina, qui donne de l'envie (p. 29), Dominique Casanova, Florence, évidemment, et la mère Biancarelli qui se vide de son eau seule dans son coin face au hêtre (p.24), Noëlle (la murène) qui pleure parce que ses enfants sont jamais nés. Elle a un utérus inhospitalier, les médecins ont dit.
Seule madame Madeleine aura apporté un peu de douceur à Antoine, et puis son ami Saguézé qui lui apportera chaque jour en prison un carré de chocolat, plus efficace qu’un flacon de pilules pour éloigner la dépression. Mais aucun de ces deux là ne restera longtemps dans la vie d'Antoine, qui au fil des pages est peuplée de morts.
Au-delà de cette histoire tragique on retiendra quelques-unes de ses diatribes poétiques et philosophiques. Comme celle-ci (p.144) : Y a rien qui empêche d’être heureux. Pas même la mort des copains. C’est pas qu’on les oublie, mais c’est pas en permanence qu’on y pense, sinon on aurait des crampes en continue.
La langue dans laquelle l'auteure fait s'exprimer son héros est belle, mais complexe et cette lecture qui demande de la concentration.
Julie Estève est née en 1979 à Paris. Elle a suivi des études de droit et d’histoire de l’art qui lui ont permis de collaborer à des magazines et de participer à plusieurs catalogues d’exposition. Son premier roman, Moro-sphinx paru chez Stock en 2016 lui valu d’être remarquée par la presse. Une fois n’est pas coutume, c’est donc pour son second roman, Simple, que le groupe des 68 l’a sélectionnée, me permettant de le découvrir.
Simple de Julie Estève chez Stock
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