La guérilla des animaux est le premier roman de Camille Brunel mais il n'est pas son premier ouvrage puisqu'il a publié il y a sept ans un essai intitulé Vie imaginaire de Lautrémaont, chez Gallimard.
L'auteur, né en 1986, est titulaire d'un CAPES de lettre modernes, et a enseigné quelques années avant de vouloir consacrer la majorité de son temps à la crise animale, sans pour autant être le jumeau fanatique de son personnage principal Isaac, dont la colère froide et intense, le mène à devenir extrémiste pour faire justice (de son point de vue) aux quatre coins du globe.
Le roman démarre puissamment - on pourrait même dire violemment- dans la jungle indienne par l'exécution de braconniers, assassins d’une tigresse prête à accoucher, et je connais plusieurs personnes qui n'ont pas pu le lire jusqu'au bout, tant le propos est dérangeant.
Ce n'est pas mon cas parce que la démonstration de Camille Brunel est irréfutable : Tant que nous nous soucierons de la faim et de la pauvreté dans le monde, nous ne nous soucierons jamais autant qu'il le faudrait de ce qui n'est pas nous. Nous ne nous mettrons à défendre les animaux qu'après avoir compris qu'il ne nous reste aucune chance (p. 19).
Ce roman est bouleversant. Il donne envie d'agir avant même de l'avoir terminé. Je n'ai d'ailleurs pas perçu de prime abord qu'il s'agissait d'un récit d'anticipation se situant vers 2045 tant les arguments me semblaient "actuels". Peut-être parce que j'ai immédiatement pensé au roman de Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ? que j'avais chroniqué il y a bien longtemps et qui m'avait interpelée sur le sujet, avec pour conséquence de modifier considérablement ma manière de me nourrir.
J'ai eu l'opportunité d'échanger avec l'auteur dont j'apprécie beaucoup les idées qu'il défend avec intelligence et courage. J'ai cependant regretté que le roman s'essouffle dans la seconde partie ... signe peut-être que la cause serait "effectivement" perdue. De ce fait, et alors qu'on dit ça et là que ce livre plait ou déplaît sans mesure je me trouve dans une position plus nuancée.
J'ai eu envie d'adhérer à la cause qui me semblait légitime, et puis j'ai été "épuisée" par la succession jamesbondesque des actions basculant dans une fiction irréaliste et par la comparaison audacieuse du comportement des humains à celui des nazis en territoire occupé (p. 90). On ne peut pas admettre qu'un baleinier soit mesurable à Auschwitz. Que les élevages industriels pratiquent tous des méthodes d'exécution inventées dans les camps (p. 110), même si une telle affirmation culpabilise avec efficacité, ce qui est le premier objectif de l'auteur envers ceux qu'il appelle "les carnistes". Ni que le public d’un parc aquatique mérite d'être exécuté. Et pourtant le réquisitoire terrifiant que fait Isaac dans les pages suivantes est très juste. Et je n'approuve pas davantage son père de couper les ponts avec lui après l'avoir entendu s'exprimer.
Je veux bien croire que la défense de la cause animale ne soit pas un combat politique. Il est davantage que cela, mais je ne peux pas cautionner la guerre, y compris dans une oeuvre de fiction. Il est important d'ailleurs de savoir que Camille Brunel n'est pas adepte de la violence dans sa vie quotidienne.
Au-delà de ces réserves, le livre recèle une force démonstrative, quasi pédagogique (ce n'est pas un hasard si l'auteur place Isaac en situation de faire des conférences devant des auditoires variés). Parce qu'il est vrai (p. 86) qu'une panthère qui a le cancer (...) ne viendra pas se plaindre et que dans la nature personne ne la soignera (dans un parc animalier elle serait peut-être guérie mais les vegans condamnent ces endroits comme toute forme d'exploitation, y compris sans doute des animaux dits "domestiques"). On essaie de sauver les animaux menacés de braconnage, mais pas ceux que l'environnement anthropisé a rendu malades ... et qui meurent silencieusement. (...) Il n'y a pas de statistiques pour vérifier combien de baleines bleues sont décédées des suites de tumeurs cerveau.
Je crois volontiers que les sonars que nous utilisons font aux cétacés l'effet de hurlements. On se doute des conséquences des dégazages en mer (forcément illégaux). Et on devine qu'on nous ment souvent sur l'origine de la viande ... mais sont-ce des motifs à légitimer un militantisme meurtrier ? La survie animale est-elle ennemie du genre humain ? On ne peut plus espérer sauver les deux nous apprend Camille Brunel p. 113). On voudrait croire que non.
Une cause, aussi juste soit-elle, autorise-t-elle le recours à la violence ? On frissonne à lire (p. 108) qu'il faudrait militer comme on tue: sans ambages, industriellement. Il est pourtant exact de considérer que nous avons commencé à consommer de la viande quand nous avons eu l'opportunité de modifier notre régime alimentaire et que l'homme moderne chasse désormais dans les supermarchés des animaux morts. On repense aux Black Panthers dont les actions se déroulaient toujours dans le respect des lois en vigueur aux Etats-Unis (leurs membres brandissant le code civil). Et on apprécie (mais les lecteurs qui auront refermé le livre avant de le terminer ne le sauront pas) que Camille Brunel condamne qu'on puisse envisager de tuer des humains au nom du veganisme (p. 269).
Isaac Obermann (un patronyme que l'on entend comme un cri sauvage et canin) veut agir pour les animaux à l'instar de ce qui est fait pour les humains, en leur réclamant des droits, ce à quoi je ferais observer que bien des peuples indiens d'Amérique du Nord n'en ont pas bénéficié, parce que la découverte n'est pas nouvelle : l'homme est un loup pour l'homme. Alors a fortiori pour les animaux. La question est donc posée, à savoir qui, de l'homme ou de l'animal il est le plus urgent de sauver ... puisqu'il semble acquis que les deux ne pourront plus coexister.
Une chose est certaine en tout cas, on ne peut pas s'apitoyer sur le sort des animaux et ne rien changer à notre mode de vie. Fin observateur de nos travers, l'auteur pointe (p. 206) l'aberration de notre façon d'aimer les animaux : la majorité ne regardent ce qu'ils ont devant les yeux qu'à travers leurs écrans. Il passent plus de temps à regarder les images qu'il sont en train de produire que les animaux eux-mêmes. En somme, ils négligent la différence entre un animal véritable et un animal numérique.
A signaler que Camille Brunel publiera en février un troisième ouvrage (qui n'est pas un roman) chez U.V. éditions, mais qui reste ancré dans la même veine, Le cinéma des animaux, sujet dont il est là encore spécialiste puisqu'il a été critique de cinéma.
La guérilla des animaux de Camille Brunel, Alma éditeur, en librairie depuis le 16 août 2018.
Depuis la rédaction de cet article, j'ai eu la joie de recevoir Camille Brunel dans l'émission Entre Voix que je produis et anime sur Needradio. Vous pouvez en écouter le podcast, qui est disponible sans limitation de durée en allant sur la page Replay du site et dont je vous donne le lien direct ici.
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