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vendredi 1 juillet 2011

Faut-il manger les animaux ? interroge Jonathan Safran Foer

L'autre jour je m'interrogeais sur la crainte qu'inspiraient les tomates et les concombres. Ce n'était qu'une fausse alerte. Cette fois c'est très sérieux et beaucoup plus grave même si on peut se dire que la situation est moins critique en France qu'aux États-Unis. Le titre du livre aurait pu être :
Faut-il avoir peur de manger des animaux ?


J'en avais entendu parler au Salon du livre de Paris mais je n'ai eu l'occasion de le lire que ces jours-ci et je suis sous le choc des révélations qu'il contient. Depuis je n'ai jamais autant mangé de légumes. Comme l'écrit l'auteur (p. 248) j'adore le poulet grillé et un bon steak, mais cet amour a des limites. Au cas où vous n'auriez pas le temps ou l'envie de vous plonger dans le texte original je vais vous donner la substantifique moelle de ce livre choc.

Quand l'élevage est pratiqué correctement, l'homme peut offrir à l'animal une vie meilleure que ce qu'il pourrait espérer dans la nature (surtout s'il est un volatile), et presque à coup sûr une meilleure mort (p. 259), plus tardive et plus douce. Dit autrement, c'est le mythe du consentement qui implique un marché "équitable" au moins sur le plan métaphorique, avec la complicité de l'animal dans sa propre domestication et sa mise à mort.

Le souci est que dans le pays de Jonathan Safran Foer il n'y a plus qu'un seul fournisseur national de porc d'élevage traditionnel, le Niman Ranch (p. 213) et les pratiques barbares de Smithfield, le plus grand préparateur de viande de porc vous donnent la chair de poule : les bêtes vivent en espace confiné et privées de toute stimulation. Elles sont mutilées et bourrées d'antibiotiques. On apprend (p. 225) que 50% des enfants élevés sur le site d'un élevage industriel de porcs souffrent d'asthme.

Après des semaines d'investigation et d'espionnage industriel, l'auteur donne des chiffres qui font froid dans le dos.On n'imagine pas de telles proportions : 12300 tonnes d'antibiotiques sont mélangées chaque année à la nourriture des animaux d'élevage, sans compter ce qu'on ajoute en utilisation thérapeutique. (p. 184)

Cela n'empêche pas le taux de maladies évitables transmises par la nourriture : 76 millions de personnes sont victimes d'intoxication alimentaire chaque année aux USA causées non pas par des microbes qu'elles auraient "attrapés" mais bel et bien ingurgités (p. 182).

La pandémie de grippe espagnole qui a tué 50 à 100 millions de personnes en 1918 était en réalité une grippe aviaire. Il est à craindre une catastrophe identique avec une fièvre porcine avec le virus H5N1. Également avec une diffusion de l'Echeria coli, du fait de l'emploi de machines à éviscérer qui éclatent souvent les boyaux. Ceci est écrit en 2009 et les récents évènements ont confirmé le danger à consommer des steaks.

Selon l'auteur 8% des volailles sont infectées par la salmonelle; 70 à 90 % sont porteuses d'agents pathogènes potentiellement mortels, les Campylobacters. On apprend (p.173) que des bains de chlore sont couramment utilisés pour nettoyer les carcasses, les désodoriser et tuer les bactéries.

Je n'aurais pas pensé à désinfecter mon pilon à l'eau de Javel avant de le passer à la casserole. Savoir (p. 87) que KFC est le champion toutes catégories en la matière me coupe l'appétit et je ne me réjouirais pas davantage de croquer dans une dinde le jour de Thanksgiving, surtout depuis que je sais que les premiers colons n'avaient qu'une soupe de pois pour festin à l'époque (p.308).
De toute évidence, l'Amérique n'est pas le pays de la liberté pour les animaux. Dix milliards d'animaux terrestres y sont abattus chaque année. On apprend (p.40) que 3 à 4 millions sont des chats et des chiens, purement et simplement euthanasiés et dont la viande part à la poubelle, posant par là même un problème écologique et économique (en considérant le gâchis d'un point de vue strictement rationnel). Autre scandale pourtant peu dénoncé : la destruction de la moitié des poussins nés aux USA au motif qu'ils sont des mâles et qu'ils n'offriront évidemment jamais les avantages de leur mère (pondeuse). Étant issus de manipulation génétique pour pondre plus que de raison et non pas pour produire de la viande ces pauvres bêtes ne servent à rien. La description des méthodes d'élimination de ces animaux donne le tournis (p.65).

J'ignore quel est le destin le plus pitoyable, entre celui des poulets et celui des porcs, lesquels pourtant seraient d'agréables animaux de compagnie (p.218), vivant joyeux quand ils se trouvent avec des congénères qu'ils connaissent, dans des groupes sociaux stables. J'ignorais qu'ils avaient peur de l'étranger et je comprends mieux l'expression "être copain comme cochon".

Être un poisson ne vaut pas mieux. Le taux de mortalité des saumons d'élevage est de 10à 30 %, ce qui est considéré comme très acceptable par les éleveurs (p.241). Ils nagent dans une eau souvent sale, infestée de poux de mer et sont affamés 7 à 10 jours pour réduire leurs déchets pendant leur acheminement jusqu'aux sites d'abattage. Les mises à mort des poissons occasionnent sans nul doute plus de souffrance que celles des bœufs. Et à propos de la mort lente des poissons (p.45) on se demande qui supporterait de voir quelqu'un planter une gaffe dans le museau d'un chien ...

Vivre en pleine mer n'est pas davantage gage de bien-être quand on sait l'ampleur de ce qu'on appelle le bycatch, ou prise accessoire (p.66). Pour 500 grammes de crevettes d'Indonésie, ce sont 13 kilos d'autres animaux marins qui ont été tués (inutilement cela va de soi) et rejetés à la mer pour y pourrir. 145 espèces sont massacrées de façon routinière et gratuite pour pêcher du thon et Jonathan Safran Foer en dresse la liste exhaustive. On aboutit à 4,5 millions d'animaux marins détruits par an (p. 242), ce qui autorise à comparer la pêche au chalut de fond à la destruction de la forêt pluviale.

Assez vite l'auteur admet (p.73) qu'il s'est trouvé confronté au dilemme entre créer une situation sociale confortable (ne plus manger de viande et militer en ce sens) et agir de façon socialement responsable. Ainsi, considérant que les hommes auraient envie de manger de la viande, autant alors participer à la construction d'abattoirs respectueux des animaux (tout en continuant à dire que la solution passe nécessairement par une consommation réduite de produits animaux, p.295).

En effet les grands trusts d'élevage industriel se débrouillent pour racheter les abattoirs pour en priver les petits éleveurs qui travaillent dans le respect de la tradition, ce qui les empêchent de poursuivre leur activité. Le problème c'est que les éleveurs (américains) ne peuvent pas produire sans réinventer une structure rurale aujourd'hui détruite.

Or il est de salut public de permettre à ces élevages de subsister même s'ils ne pèsent pas lourd face aux 450 milliards d'animaux terrestres élevés industriellement chaque année, génétiquement manipulés, contraints à une mobilité réduite (moins d'une feuille A4 pour une poule), nourris d'aliments non naturels comprenant des anti-microbiens.

Et comme si cela ne suffisait pas il faut ajouter au tableau que cette forme d'élevage est la première cause du changement climatique en participant au réchauffement planétaire pour 40% de plus que l'ensemble des transports dans le monde (p.60).

Pire encore : les animaux d'élevage américains produisent 130 fois plus de déchets que la population humaine, soit 39 tonnes de merde par seconde. La capacité de pollution de cette merde est 160 fois supérieure à celle d'eaux usées municipales, non retraitées (p.223). Une pollution dont les frais ne sont pas assumés par les grosses sociétés qui trouvent plus rentables de payer des amendes pour activité polluante que de modifier leur système. Smithfield, qui abat 1 porc sur 4, engrange 12 milliards de bénéfices annuels. (p. 226)

L'auteur donne des clés pour comprendre, fournit de multiples témoignages et pose des questions qui mettent mal à l'aise. Par exemple quelle quantité de souffrance suis-je prêt à tolérer pour ma nourriture (p.147) ?

Ce n'est pas parce que le problème a pris une dimension abstraite (on ne voit plus les animaux) qu'il n'existe pas. Et quelqu'un qui mange régulièrement des produits animaux issus de l'élevage industriel ne peut se dire écologiste sans séparer radicalement ce mot de son sens.

Les solutions sont minces mais il en existe. Outre le financement d'abattoirs aux règles strictes on gagnerait à imposer un étiquetage plus détaillé. Interdire l'expression "volaille de plein air" si une simple porte (fermée à clé) sépare les poulets de l'extérieur. Mentionner le nombre d'espèces détruites par la pêche industrielle ... Ne plus accepter qu'un animal souffre dans les abattoirs, ni dans les élevages.

Et surtout (p.143), considérer que si les consommateurs en sont pas prêts à payer les éleveurs pour qu'ils fassent correctement leur travail alors ils ne devraient pas manger de viande.

Au risque de me répéter la situation n'est pas aussi dramatique en France où il existe des éleveurs qui travaillent admirablement. Je me suis promis d'ouvrir l'œil en la matière et je rêve de pouvoir adhérer à une AMAP qui fournirait aussi de la viande. Ce n'est pas si simple et je mettrai à jour ce billet lorsque j'aurai une réponse précise à apporter.

Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer, aux éditions de l'Olivier, 2010

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