
Tout cela nous est raconté du point de vue de Judith Anderson, désormais au crépuscule de sa vie, célèbre pour son second rôle dans Rebecca d’Alfred Hitchcock. Elle nous immerge dans la suite d’événements survenus à l’automne 1939, lors du tournage à Hollywood.
J’ai retrouvé les personnages présents dans le roman de Zoé Brisby mais aussi ceux qui traversent la pièce qui était interprétée si brillamment par Catherine Silhol au Poche Montparnasse il y a quelques semaines. Elle incarnait Vivien Leigh se confiant à un public de journalistes dans une conférence de presse fictive.
Chaque célébrité a ses failles et si on éprouve de l’empathie pour l’une d’elles il n’est pas très commode de "changer de camp" en sympathisant avec une de ses adversaires. Car, on le sait bien, elles étaient tûtes rivales. Les metteurs en scène et les producteurs en profitaient pour tirer les ficelles. Si bien que même si la scène est fort bien écrite je me suis demandé si Serge Moatti n’avait pas un peu forcé la mesquinerie de Vivien Leigh pendant les trois jours où elle a imposé sa présence sur le tournage (p. 56).
Je n’avais pas perçu immédiatement si la silhouette féminine de la couverture était de face ou de dos, ce qui illustre bien toute l’ambiguïté du propos de Michel Moatti. A l’instar de Rebecca, morte ou suicidée gisant au fond d’une barque, nous sommes ballotés par les vagues du souvenir au gré de la volonté (perfide évidemment) de Judith Anderson, la si angoissante Mme Danvers, gouvernante du manoir de Manderley.
Le roman reste encore un des meilleurs romans policiers de tous les temps. Le film d’Alfred Hitchcock fut un immense succès qui se concrétisa par l’Oscar du premier film. Mais à quel prix !
On sait aujourd’hui combien Alfred Hitchcock manipulait et maltraitait ses actrices. Sa perversité était abyssale et sur ce point Serge Moatti n’est pas un lanceur d’alerte. Nous autres français n’avons pas perçu l’injonction d’ordre moral (p. 48) imposé par le sénateur William Hays (que dénonçait bien entendu Zoé Brisby dans son roman) alors que des comportements autrement plus répréhensibles étaient étouffés dans une atmosphère malsaine de compétition.
On sait encore moins qu’Hollywood fut le théâtre de meurtres touchant des femmes qui n’avaient même pas acquis le statut (d’ailleurs ultra fragile) de starlette. Il nous glace le sang en les qualifiant de casting parallèle aux films qui se tournaient (p. 29).
En tricotant les coulisses du tournage avec des faits d’actualité de l’époque il réussit, avec ce douzième ouvrage, un roman noir éclairant l’envers du décor et restaurant la mémoire de tous les sacrifiés sur l’autel de la notoriété, victimes des cinglés attirés par les collines de Beverley (p. 201). Il nous donne aussi envie de retrouver Rebecca, tout autant le livre que le film pour les comprendre avec davantage d’acuité.
Journaliste, docteur en sociologie et ancien professeur à l’université, Michel Moatti est aussi l’auteur de Retour à Whitechapel, unanimement salué par la critique, de Tu n’auras pas peur, prix Polar de Cognac 2017, et de Darwin, le dernier chapitre, prix Max Gallo 2024.
Rebecca dans l’ombre d’Hollywood, de Michel Moatti, éditions Hervé Chopin, en librairie depuis le 7 mai 2025
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