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mardi 18 juillet 2023

Ceux qui restent de Jean Michelin

Peut-être faut-il être encouragé pour lire Ceux qui restent parce que le sujet semble très masculin. La couverture donne immédiatement un indice et la quatrième de couverture est très claire :
Comme chaque matin, l’aube grise se lève sur l’immuable routine de la garnison. Mais cette fois, Lulu manque à l’appel, un caporal-chef toujours fiable, toujours solide, Lulu et son sourire en coin que rien ne semblait jamais pouvoir effacer. Aurélie, sa femme, a l’habitude des absences, du lit vide, du quotidien d’épouse de militaire. Elle fait face, mais sait que ce départ ne lui ressemble pas.
Quatre hommes, quatre soldats, se lancent alors à sa recherche. Trois le connaissent bien, le quatrième non mais ils sont du même monde et trimballent les mêmes fantômes au bord des nuits sans sommeil. Si eux ne le retrouvent pas, personne ne le pourra.
Jean Michelin, dont c’est le premier roman, a écrit plus qu’un roman policier sur la recherche d’un disparu. Il fouille de façon originale le thème du stress post-traumatique qui, bien entendu résonne encore plus aujourd’hui alors que la guerre s’invite à tous les journaux télévisés. Si la publication remonte déjà à un an, ce libre reste donc -hélas- d’une brûlante actualité.

Il connait très bien le contexte puisqu’il est lieutenant-colonel dans l'armée de terre, et qu’il a effectué des missions au Kosovo, en Guyane, en Afghanistan et au Mali, notamment. Il écrit très bien et est l’auteur de Jonquille, un récit autobiographique, paru en 2017 chez Gallimard. Sous-titré Afghanistan 2012, il y racontait le quotidien d’un régiment sous un angle documentaire.

Cette fois il a choisi la fiction pour témoigner de l’esprit d’équipe qui soude ceux qui endossent le treillis et qui subissent l’état de guerre, dans ce qu’elle a d’horrible, lorsqu’elle confronte à la mort, sur ce qu’on appelle un « théâtre d’opération », sauf que c’est tout sauf du cinéma.

Il démontre que le stress post-traumatique frappe sans crier gare et que nos mécanismes de protection sont personnels. L’armée tente pourtant d’en prévenir les dégâts en prévoyant un sas de décompression au retour de mission. Je me souviens avoir été impressionnée par Voir du pays, un film de Delphine et Muriel Coulin, sorti en 2016, racontant le retour de deux jeunes femmes militaires, qui, comme tous les soldats qui revenaient d’Afghanistan, devaient passer par un sas de décompression de trois jours dans un hôtel cinq étoiles, à Chypre. 

En cas d’incident grave en cours de mission l’armée a prévu un autre protocole, en confiant  à un(e) psychologue le soin d’identifier ceux qui sont potentiellement trop affectés pour continuer (…. parce que) un stress post-traumatique n’est pas forcément lié à l’ancienneté, ni à l’expérience ( p.41).

Ce roman est très lísible, facilement compréhensible malgré la présence de mots de lexique inhabituels pour nous civils. Je n’ai jamais été en appui sur une zone et j’ignorais le sens exact de traiter une cible, mais j’ai deviné l’essentiel. On est complètement inclus dans le groupe qu’on a le sentiment d’avoir infiltré. Mais on est autant dans l’intimité des femmes qui demeurent éloignées des actions.

Les chapitres sont courts et s’enchaînent entre l’ici, l’ailleurs et là-bas, autrement dit entre le présent, la recherche et le passé. On voyagera dans le temps mais aussi dans l’espace puisque nous irons jusque dan les forêts guyanaises.

De manière totalement différente de Stéphanie Hochet qui raconte la disparition de William Shakespeare, Jean Michelin nous présente une histoire de fuite qui n’a rien à voir avec la construction de soi. Il semblerait que les départs volontaires soient assez fréquents dans l’armée où l’administration finit assez vite par lâcher l’affaire, d’abord en suspendant la solde puis peu après en qualifiant l’homme de déserteur (p. 110). Ici, pas question, au motif qu’il faut toujours ramener « ceux qui restent ».

Ce qui est fort bien décrit c’est aussi la perte de motivation ressentie par exemple par Romain qui n’avait plus cet élan des premières fois, ni pour la guerre, ni pour rien du tout (p. 60) et qui songe à retirer sa candidature au concours d’officier. Stéphane, le plus ancien, a pris sa retraite. C’est rien de partir, C’est vivre avec, vivre après. C’est ça qui est difficile (p. 207).

On partage l’attitude des épouses, habituées à enfiler un masque devant les enfants, les amis, la famille alors qu’elles se rongent les sangs de savoir leur conjoint courir des risques et ne rien leur dire, puisque leurs actions s’effectuent dans le secret.

On est au coeur de la routine, la vieille routine, la saloperie de routine indispensable des camps contre laquelle viennent s’épuiser des régiments entiers, à répéter les mêmes gestes, apprendre des mêmes erreurs, mettant une brique par-dessus l’autre pour se construire quelques certitudes avant de partir pour une zone de guerre (p. 112). L’armée a ses codes mais c’est aussi un morceau de société où le racisme se manifeste. Marouane en fait les frais.

Jean Michelin nous raconte tout cela, en composant une histoire où l’entraide, l’amitié et l’amour prennent leur place. En interview il s’exprime avec modestie, sans revendiquer une filiation avec des écrivains soldats comme Pierre Schoendoerffer qui nous a laissé un témoignage très fort sur la guerre d’Indochine. Il minimise son mérite en rappelant qu’être militaire et écrivain n’a rien d’original depuis Jules César. Il n’empêche qu’il nous embarque bel et bien, que son écriture est belle et qu’on espère qu’il nous offrira d’autres romans, qu’ils soient ou non inspirés de l’exercice de son métier.

Ceux qui restent de Jean Michelin, Editions Héloïse D'Ormesson, en librairie depuis le 18 août 2022

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