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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 18 décembre 2024

Un concert de Konstantin Scherbakov pour fêter les 40 ans de l’AAMA

Un concert avec grand orchestre, c’est toujours impressionnant mais j’apprécie beaucoup un moment plus intime, avec un soliste, comme ce fut le cas ce soir avec l’artiste de renommée internationale Konstantin Scherbakov (bien connu des Antoniens mélomanes qui ont déjà eu l’occasion de l’entendre).

Il est arrivé depuis la Suisse où il réside pour une soirée particulière à 20 h 30, le 18 décembre, pour interpréter Mozart au piano dans un concert de 1 heure 20, ce qui a permis aux enfants de ne pas veiller très tard, et aux parisiens de rentrer à une heure raisonnable par le RER tout proche (station Antony-Centre).

Le concert était organisé par l’Association des Amis de la Musique d'Antony (AAMA) qui fête ses quarante ans cette année et qui a particulièrement pensé aux jeunes en leur accordant le bénéfice de la gratuité jusqu’à 18 ans, ce qui témoigne de l’engagement de l’organisateur en faveur de la musique classique.

Intitulé “Une Nuit avec Mozart“ le concert a eu lieu au Théâtre Firmin Gémier/ Patrick Devedjian d’Antony. Si je connais bien cette salle pour y avoir vu des spectacles de théâtre ou de cirque je n’avais pas encore eu l’occasion d’en apprécier l’acoustique en situation de concert et elle a satisfait les exigences de chacun.

Né en 1963, Konstantin Scherbakov a été lauréat de nombreux concours internationaux. En 2001, il a reçu le Cannes Classical Award et le Prix des critiques de disques allemands. Il a donné des concerts dans toute l’Europe et participé à de grands festivals. Il se distingue par un riche répertoire, a enregistré plusieurs émissions de radio et de télévision ainsi qu’une vingtaine d’albums. Ce pianiste est aussi pédagogue et enseigne au Conservatoire supérieur de Winterthur/Zürich. C’était une grande chance de profiter de sa venue en région parisienne (il jouera le lendemain dans ce même lieu un concert avec orchestre sur un programme Bach/Chopin qui affiche complet) en quelque sorte en avant-première et dans une certaine intimité.

Karina Abramian, Présidente de l’association, a rappelé le programme, composé de pièces de Mozart (1756-1791) qui est considéré -et quiconque l’écoute comprend pourquoi- comme étant l’un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique européenne. Cet homme, acharné de travail, emporté trop tôt par la maladie, à seulement 35 ans, a pu composer notamment 18 sonates et une vingtaine d’opéras. 

Cet immense virtuose, au piano comme au violon, a porté à un point de perfection le concerto, la symphonie, la sonate et l’opéra. Il va de soi qu’il faut faire preuve d’excellentes qualités pianistiques pour l’interpréter avec grâce, ce que réussit parfaitement Konstantin Scherbakov, réputé pour son jeu inspiré et ses capacités d’évocation.

Il nous a fait entendre la Fantaisie en do mineur KV 475 puis la Sonate en do mineur numéro 14 KV 457, moins souvent jouée, mais qui complète en quelque sorte la première. Après un court entracte il a poursuivi avec la Fantaisie en ré mineur KV 397 et la Sonate en la majeur, puis la transcription de Liszt sur deux thèmes des Noces de Figaro.

La conception musicale du premier morceau -qui est peut-être la sonate la plus connue de Mozart- est tout à fait audacieuse avec de multiples changements de tempo qui installent une forte intensité de l’expression. L’aisance au clavier du soliste et son sens de l’énergie rythmique ont ici eu l’occasion de se révéler pleinement.

Jouant sans partition, il est habité par chaque note et on remarque vite que les critiques musicaux ont raison de le considérer comme le pianiste de l’équilibre et de la gravité. La Sonate en la majeur est célèbre pour sa troisième partie (Rondo alla Turca) dite Marche turque.

Depuis mon siège je ne voyais pas ses mains sur le clavier du Steinway mais, à ses mouvements d’épaule je me rendais compte qu’il les suspendait régulièrement (parfois jusqu’à trois secondes) très en dessus des notes afin, peut-être de jouer avec le plus de retenue possible. Ses sourcils en tout cas étaient fort expressifs et j’ai souvent eu le sentiment d’assister à une conversation avec l’instrument.

Point n’était besoin d’être spécialiste pour noter les énormes écarts de vitesse dans le jeu et par la même de mesurer la difficulté des oeuvres. Je me suis interrogée sur ce que Mozart avait cherché à provoquer chez l’auditeur et si nous ressentons autre chose, du fait de notre mode de vie qui nous a entrainé vers toutes sortes de musiques. On m’a dit qu’à trois ans il disait : chercher sur le piano les notes qui s’aiment.

Il a choisi pour terminer la fantaisie de Franz Liszt parce qu’elle a connu son âge d’or quand la renommée de l’artiste en a fait un grand succès au XIX° siècle. Il faut lui reconnaître d’avoir inventé le récital de piano, disant avec fierté : le concert, c’est moi. Une assertion qui témoigne combien le talent du compositeur ne serait rien sans celui de l’interprète.
Le soliste est revenu après les saluts avec un morceau d’un autre compositeur, extrait de Casse-noisette de Tchaikowski qui du fait qu’il faut croiser régulièrement les mains, confirmait son incroyable dextérité … en plus de terminer sur des notes joyeuses.

C’était un bonheur immense d’entendre ce soir ce grand pianiste, le seul au monde à posséder à son répertoire, outre l’intégralité des sonates pour piano de Beethoven, toutes les transcriptions symphoniques Litz-Beethoven, et je crois également toutes les oeuvres de Rachmaninov et de Leopold Godowsky, lequel fut un des pianistes les plus recherchés au monde … à son époque car l’immense dextérité de Konstantin Scherbakov lui vaut d’être sollicité par les plus grands festivals, c’est dire notre chance ce soir d’avoir pu l’entendre.
Renseignements complémentaires à propos de l’association auprès de Karina Abramian, Présidente de l"AAMA" : 14 cours Pierre Fresnay 92160 Antony - 06 87 56 64 15 - musikkarina@gmail.com

dimanche 15 décembre 2024

Célèbre de Maud Ventura

Trois ans après le succès de Mon mari, son premier roman, Maud Ventura, fait le portrait d'une chanteuse qui s'est autoprogrammée pour acquérir la célébrité, dans un roman intitulé Célèbre, qu'elle dédie … à son mari.
La célébrité est ma vie. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui.
Cléo grandit dans une famille dont elle déplore la banalité. Dès l'enfance, elle n'a qu'une obsession : devenir célèbre. Au fil des années, Cléo saute tous les obstacles qui s'imposent à elle, arrachant chaque victoire à pleines dents, s'entaillant la cuisse à chaque échec.
À la surprise de tous, sauf d'elle-même, Cléo devient une star mondiale, accumulant les millions de dollars, les villas à Los Angeles et les récompenses.
Ce second roman aborde un thème qui avait déjà été traité par Olivier Bourdeaut dans Florida. J’attendais donc que le sujet soit abordé sous un autre angle. 

On découvre Cléo Louvent épuisée et retirée du monde dans une île déserte (un séjour qui coûte malgré tout une fortune) quelque part dans l’hémisphère sud. Elle fait allusion à des cicatrices qui zèbrent son corps et du coup attire notre sympathie quand elle confie qu’il y a un prix à payer pour la célébrité et il se paie chaque jour (p. 23). On se doute qu’il ne s’agit pas d’argent. Mais on ne se doute pas à quel point elle va payer cher, non pas vraiment sa célébrité, mais le comportement qui lui est associé.

Pourrez-vous néanmoins la croire puisqu’elle prévient qu’elle a romancé sa vie (…), fabriqué de faux souvenirs (…) il suffit de raconter un même évènement plusieurs fois. Au bout de la troisième ou de la quatrième occurrence, le passé commence à se recomposer (p. 31) et on comprend qu’elle a réécrit sa vie.

On se sent un peu mené en bateau car un peu plus loin elle nuance : A strictement parler, ma célébrité n’est pas un mensonge, ce n’est pas encore vrai. J’anticipe (p. 92).

On la découvre très vite plutôt dédaigneuse à l’égard de son entourage, voleuse, envieuse, déjà aigrie mais on remarque aussi qu’elle n’a pas davantage de compassion pour elle-même puisqu’elle s’écrase une cigarette sur le bras pour se punir de n’avoir pas réussi ce qu’elle aspirait à faire.

Les “punitions » ne cesseront pas. Elle se taillade bientôt la cuisse au rasoir en représailles de n’être pas à la hauteur d’une certaine Jane Cabello dont elle a étudié la réussite. Je ne connais même pas cette starlette et je sens que je vais avoir du mal à poursuivre la lecture jusqu’à la 541ème page. On sait très bien que,  quoique écrit à la première personne, Maud Ventura n’est pas le personnage en question. Puisque tout a été inventé alors pourquoi y croire ?

Comment plaindre Cléo d’éprouver l’exact contraire du syndrome de l’imposteur ? Je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte (p. 79). Je veux bien apprécier si c’est du second degré mais rien n’est moins sûr. Le doute s’évanouit quand je lis (p. 119) : je ne suis ni riche ni célèbre à 25 ans, comment pourrais-je me réjouir ? Et je pense à cette homme politique qui associait la réussite au port d’une Rolex au poignet. 

Et je ne suis pas certaine qu’elle ait raison d’affirmer que le seul moteur des grandes réussites est la frustration (p. 108). Beaucoup d’assertions résonnent joliment mais sonnent faux. Elle prétend pleurer en silence sous sa douche (p. 112) quand au même moment j’entends chanter Gaëtan Roussel (album Eclectique - piste 1) : On ne pleure pas dans l’eau.

Je ne suis pas psy mais je pense que cette femme a un très grave trouble de la personnalité. Je lis un peu vite le mot scarification et je comprends starification. Maud Ventura aurait-elle cherché à nous offrir un livre de développement personnel dévoilant la meilleure méthode pour devenir célèbre tout en nous prévenant qu’il vaudrait mieux ne pas mettre le petit doigt dans cet engrenage ? Je déteste les injonctions paradoxales. Me voilà servie.

Le séjour sur l’île déserte est un cauchemar mais bien entendu, notre vaillante héroïne se “promet d’aller jusqu’au bout des trois semaines convenues, pas un jour de moins“ (p. 150). Et … je fais comme elle, je poursuis la lecture …

On ne s’isole pas volontairement sur une île déserte si on n’a pas de sérieux comptes à régler avec soi-même (p. 154). Nous y voilà, nous allons savoir enfin quelle est sa motivation profonde et connaître la nature de la vengeance sous-jacente : La célébrité n’est pas une victoire. C’est une vengeance (p. 38).

En fait, non. On aura juste confirmation de son égocentrisme, de son côté calculateur par intérêt, de sa gentillesse pour mieux manipuler l’entourage et faire avancer sa quête absolue de perfection (sauf d’elle-même car elle est le contraire d’une personne parfaite). C’est toujours moi-moi-moi.

On apprend quand-même qu’aux États-Unis les interviews sont scriptées (p. 225) évitant soigneusement d’aborder les 207 sujets interdits au cours d’un enchaînement non-stop de 14 heures d’entrevues. Pour le reste, on sait bien qu’on ne prête qu’aux riches et que les sollicitations abondent par effet boule de neige quand on gagne en notoriété.

On pourrait considérer qu’être célèbre c’est être dispensé d’accomplir des tâches triviales (comme vider le lave-vaisselle et vous vous amuserez du recensement qu’elle liste p. 428) à tel point que le réel parait parfois si loin (p. 314). C’est l’instant où je pourrais m’attendrir un peu car il est vrai qu’on peut vite décrocher de la réalité quand on est soumis à un mode de vie qu’on ne maitrise pas et qui nous est dicté par des conditions extérieures échappant à notre volonté. J’ai expérimenté cette situation quand j’ai travaillé en cabinet ministériel. Tout y est si surréaliste qu’on perd (hélas) le sens du concret en l’espace d’une semaine.

Mais je ne la suis pas quand elle cherche à nous apitoyer en pleurnichant que le succès est plus difficile que l’échec (p. 355) ni lorsque je m’aperçois qu’elle méprise cette classe sociale à laquelle elle n’a eu de cesse d’appartenir. Être pauvre n’est pas une chance, non !

La comparaison avec Miranda, l’exigeante et harcelante patronne du Diable s’habille en Prada, satisfait son orgueil (p. 477). Mais elle est pire que ce personnage qui s’adoucit à la fin. Elle, jamais. Elle reconnaît à son amie Aria (on se demande d’ailleurs au passage comment ses amies font pour la supporter) n’avoir plus beaucoup de tendresse à donner (c’est un euphémisme) en particulier à son conjoint.

Et ce n’est pas le détour qu’elle a fait pour lui acheter des gaufres chez Meert, (dont l’auteure précise que la boutique se trouve rue Elzévir, ce qui est bien entendu exact, et qui me fait penser qu’elle aussi se livre à du placement de produit, quand cela vaut le coup, … sans doute pas avec la marque de luxe française qui -elle- n’est pas citée).

Je m’en veux aussitôt de raisonner ainsi car j’ai moi-même donné les trois adresses du fabricant dans un de mes articles -ici- sans avoir négocié aucune contrepartie). 

Que penser aussi de la façon de Cléo de gagner des instants de tranquillité en se fracturant la cheville ? Est-ce pour nous faire rire (ou pleurer) que l’auteure raconte ses multiples tentatives ? La maladie mentale est de plus en plus évidente. Elle est en plein délire paranoïaque (p. 489) et j’ai peur de finir par effet de contamination par voir mes facultés de jugement altérées.

La lecture des remerciements n’estompe pas du tout mes doutes. Je finis par tout prendre au troisième degré tant le dernier chapitre était insoutenable. Mais voilà que Maud Ventura écrit quelques mots à la toute fin pour rendre hommage à Sophie de Sivry, la fondatrice de sa maison d’édition, L’Iconoclaste, et connaissant cette personne hors normes je ne tergiverse plus. Je sais que sa sincérité est absolue … du moins dans ces dernières lignes.

Célèbre de Maud Ventura, chez L'Iconoclaste, en librairie depuis le 22 août 2024

samedi 14 décembre 2024

Saint-Ex, le film de Pablo Agüero

Le générique se déploie sur un ciel de nuages en embellie, en toute logique puisqu’il va s’agir d’aviation. Nous sommes prévenus que le scénario est librement inspiré des aventures de Saint Exupery. Il se déroulera de 1930 à 1944, date de la mort de Saint-Ex.

Ne vous attendez donc pas à une biographie qui retracerait le parcours de l’homme. L’histoire se concentre sur une semaine de son métier d’aviateur aux côtés de son immense ami et mentor Henri Guillaumet et de sa femme, Noëlle, tous trois au service de l’Aéropostale.

Leur credo est toujours plus vite, toujours plus loin, toujours ensemble et nous verrons qu’il n’y a jamais trop de sacrifices pour le satisfaire comme leur devise : le courrier est plus important que la vie.
En 1930 Antoine de Saint-Exupéry est pilote de l’Aéropostale en Argentine. Quand Henri Guillaumet, son meilleur ami et le meilleur pilote de la compagnie (peut-être de toute l'histoire de l'aviation), disparaît dans la cordillère des Andes, Saint-Ex décide de partir à sa recherche. Cette quête impossible l'oblige à se dépasser, en faisant de sa capacité à rêver sa plus grande force...
Certes, j’ai été déçue de ne pas suivre l’entièreté de la vie de Saint-Ex. J’espérais un plan séquence sur l’arboretum de Verrières-le-Buisson où il se promenait avec sa fiancée Louise de Vilmorin. On n’apprend rien de son activité littéraire mais on le voit régulièrement dessiner, griffonner serait plus exact. Il est amusant de se souvenir que trouvant les propositions des illustrateurs "trop bien" l'écrivain finira par exécuter lui-même ceux du Petit Prince qu'il voulait simples et maladroits comme un dessin d'enfant.

Cela étant le réalisateur nous offre un hommage vibrant à l'écrivain qui fut aussi un héros, comme Henri Guillaumet, dont on ne mesure pas assez le courage aujourd'hui et dont il faut savoir qu'il a effectué près de 400 fois la traversée de la Cordillère, ce qui lui vaudra le surnom d'ange de la Cordillère après la survie légendaire à son crash du vendredi 13 juin 1930.

Pablo Agüero partage son temps aujourd'hui entre l’Argentine et la France. Il est né en Patagonie en 1977, au pied de l'Aconcagua, à l'endroit même que Saint-Exupéry survola plusieurs jours à la recherche inlassable de son ami perdu. Après des études à l’école de cinéma à Mendoza (Argentine), il s’est présenté au festival de Toulouse et a décidé ensuite de rester en Europe. C’est après avoir vécu la deuxième moitié de sa vie en France que lui vint l'idée de retourner à la Cordillère des Andes pour filmer les aventures de Saint-Ex.

Il explique que Le petit Prince était le seul livre qui se trouvait chez lui quand il était enfant et combien ce conte philosophique l'a aidé à surmonter l'extrême précarité de ses conditions de vie, le poussant à bâtir son propre univers imaginaire, ce qui légitime totalement -si besoin était- son désir de lui dédier un long-métrage.

Il faut louer son travail de recherches préalables qui lui a permis d'apprendre que, des années avant d'écrire son best-seller, l'écrivain avait rédigé une nouvelle sur deux jeunes filles d'origine française qu'il appelait "les petites princesses d'Argentine", qu'il avait rencontrées suite à un accident d'avion et qui avaient comme mascottes... un renard et un serpent ! Il a ensuite découvert l’île aux oiseaux, et compris en quoi l'originalité de sa forme évoquant un chapeau inspira l'un de ses plus célèbres dessins. Enfin Juan Gualberto, le petit berger, qui sauva l'aviateur existe bel et bien. Il a été décoré par Jacques Chirac soixante-et-onze ans plus tard pour avoir retrouvé Guillaumet.

Si on connait ce contexte on comprend mieux qu'il ait cherché à faire un film poétique sous forme de conte dans l'esprit de Saint-Exupéry, ponctué d'indices qui seront le terreau, dix ans plus tard, de l'un des textes les plus universels de l'Histoire. On accepte alors de voir un héros décalé, éternellement enfantin, presque naïf, capable d'humour et de second degré, désinvolte et inconscient, mais flamboyant de courage qui est formidablement incarné par Louis Garrel, sans doute un de ses plus beaux rôles. Et on pardonne l'invraisemblance à tendre un croquis en plein vol par la porte ouverte pour signaler leur position à son ami pilote alors qu'il est dans la partie inférieure de l'avion collé à une otarie comme à une couverture chauffante (même s'il est exact que le poète garda cet animal dans une baignoire en région parisienne).

Il fait la paire avec Henri Guillaumet, un autre héros, très différent, plus viril, théoriquement infaillible qui lui aussi est parfaitement interprété par Vincent Cassel. L'homme était marié à une suissesse et bien entendu le charmant accent de Diane Kruger ajoute de la crédibilité au personnage. De même que sa coupe de cheveux, inspirée par l'élégance d'Anne Lindbergh, elle aussi aviatrice.

Ce qui est très réussi, outre la combinaison entre les faits réels et les indices auxquels je fais allusion ci-dessus c'est la bascule entre la toute puissance d'Henri et la fragilité d'Antoine qui va s'opérer après l'accident du premier, obligeant le second à devenir meilleur que le premier l'espace d'un moment. Cela nous donne une leçon de vie complémentaire.

vendredi 13 décembre 2024

Paul Galiana sort un nouvel album intitulé De la vie

Voilà encore un chanteur-compositeur que je découvre à travers un nouvel album, De la vie que le guitariste Paul Galiana a sorti le 27 novembre 2024, conçu avec ses fidèles musiciens Alain Gibert à la basse et Guillaume Glain à la batterie.

Rien d'étonnant à ce que les guitares y soient à l'honneur, qu'elles soient électriques, acoustiques, ou dobro, parfois soutenues de claviers (rhodes, piano, orgue).

Il démarre avec le titre qui a donné le nom de l'album, De la vie (piste 1) sur une note un peu rock, me faisant penser aux intonations de Jean-Félix Thiéfaine et qui nous promet de la vie, de la vraie pourvu qu'on accepte la prière comme un réconfort en temps de crise, en l'occurrence la tentative d'assassinat de Salman Rushdie en 2022. Suit Ledru-Rollin (piste 2) qui vous entraine dans le Paris des bistrots où on vivait comme dans un village que Robert Doineau aimait photographier. C'est à la fois le temps qui passe et l'écologie que le musicien célèbre.

En ligne (piste 3) est imprégnée de ruralité avec une nouvelle fois l'évocation du temps qui passe mais avec tendresse. C'est tout juste si on ne se lève pas pour danser nous aussi sur le parquet. Nous défendrons l'automne (piste 4) est interprété avec Clément Verzi dont certains d'entre nous se souviennent peut-être de ses passages dans The Voice après son interprétation de Je te promets qui avait provoqué l'intérêt de tous les membres du jury. Il sera finaliste de l'émission face au grand gagnant, Slimane.

On découvrira un autre duo avec l'artiste estonienne Lembe Lokk avec La fille du train pour Tallinn (piste 8), écrite suite à la lecture d'un article de Libération à propos d'une étudiante ukrainienne fuyant la guerre à destination de … l'Estonie. A signaler les sublimes reprises de cette jeune femme des chansons de Leonard Cohen dans Secret Chords.

Entre le fleuve et la rivière (piste 5) est un hommage à la ville de Lyon, signalant combien cet album a des inspirations autobiographiques. L'artiste s'en explique : Je me suis aperçu que la vie des gens, la vie des villes était le fil rouge qui reliait ces 14 chansons. Pour ce nouvel album, j’ai flâné en chemin, j’ai croisé un blues électrique ici (Genghini blues - piste 7, en hommage au footballeur international français, milieu de terrain sochalien jusqu'en 1982), une valse acoustique plus loin, et puis quelques rock-à-guitares-qui-crachent-leur-mère avant une ballade intimiste. Ce voyage au long cours permet aussi la conversation. Après avoir conté la vie des autres, glosé sur le monde comme il va, je me livre dans mes envies, mes doutes et ma vie.

C'est bien ce qu'on devine dans Ta place (piste 6) qui aborde un des sujets des plus intimes qui soient (en l’occurrence, son père) avec une musique comme un hommage aux Innocents de JP Nataf et Jean-Christophe Urbain. Elle démarre avec une intro ponctuée de notes que je reconnaitrais entre mille, celles du fameux Blue Hotel de Chris Isaak (1986) et qui reviennent plusieurs fois dans le morceau.

Punchline (piste 9), qui fait référence aux réseaux sociaux, a des sonorités qui font penser à plusieurs titres de Jean-Jacques Goldman lorsqu'il va au bout de ses rêves et que la musique est bonne.

C'est sans doute parce qu'il est né en Espagne qu'il a gardé Le goût de l'horchata (piste 10), du nom d'une boisson à base d'eau de riz, très consommée dans ce pays, comme au Mexique d'ailleurs.

Dans les remerciements on trouvera la mention de Sort Chalandon dont le roman Une joie féroce (Grasset, 2019) lui a inspiré l'histoire de Jeanne Pardon (piste 11), une femme qui à force de se sentir illégitime à tout finit par accepter d'être coupable d'être en vie.

La main qui tremble (piste 12) fait l'éloge de l'incertitude et du doute alors que pourtant, si on a bien écouté Jeanne Pardon, on a compris que le chanteur sait très bien ce qui est vrai, ce qui est faux.

Le signal (piste 13) a pour cadre un autre lieu où vécut Paul Galiana, un immeuble situé en Gironde, derrière la dune, en bordure de la mer laissant passer les voiliers venus d'Oléron. Le décor me parle car je connais ces endroits si attachants.

Sans Paris (piste 14) termine le parcours en s'éloignant de la capitale française pour rejoindre la ville si chère à Brel autant qu'à Dick Annegarn ou plus près de nous, Angèle qui chantait son amour pour Bruxelles en 2021. La vie se teinte d'ironie puisque Dick Annegarn avait beau chanter en 1974 
Bruxelles, ma belle, je te rejoins bientôt
Aussitôt que Paris me trahit
 … l'auteur-compositeur-interprète d'origine néerlandaise, auteur de chansons principalement en français, est resté vivre en France, ce qui n'a pas empêché les élus de la ville, appartenant à la fois à la Communauté française de Belgique et à la Communauté flamande, de le nommer citoyen d'honneur en 2005.

Né en Espagne, et ayant grandi en Haute-Savoie où il a mené durant onze années le groupe estonien Profane, Paul Galiana écrit, compose et joue sur scène depuis l’âge de 16 ans. Il est diplômé de l’Ecole des Technologies Musicales (ETM), à Genève (1996). Arrivé à Paris en 1998, ce guitariste multi-tâches a multiplié les rencontres et les collaborations, du rock à la chanson et du folk au rock, tout en menant son projet personnel, sous le nom de Lune Papa, qui commença à prendre forme dès 2012.

En 2017-18 il participa au projet Champagne pour Jacques Higelin. Il collabora à cette occasion (en tant que chanteur, arrangeur, guitariste, bassiste…) avec des artistes tels que (entre autres) Hey Sarah, Olivier Eyt, La Bestiole, Cat Loris, Armelle Yons, Kiefer ou encore Diabolo… Cette expérience renforça son désir de poursuivre son parcours musical sous son nom propre, avec à ses côtés Alain Giber et Guillaume Glain tout en  donnant à son répertoire une couleur plus électrique et pop, ce qu'il réussit depuis l'EP, Marque-Page sorti en 2021.

Ce qui ne l'a pas empêché cette année de poursuivre les concerts avec, entre autres, Clément Verzi (Zèbre de Belleville) ou Armelle Yons (Café de la Danse) qui est aussi sa photographe.

De la vie, paroles, musiques et arrangements de Paul Galiana
Mixé par Fred Lafage. Dans les bacs à partir du 27 novembre 2024
En concert le 2 février 2025 à la Mécanique Ondulatoire - 8 Passage Thiéré - 75011 Paris
Photo © Armelle Yons

jeudi 12 décembre 2024

Prix du Brigadier 2024

Ce qui est formidable avec les Prix du Brigadier c'est que l'émotion ressentie au cours de la cérémonie n'a pas la même tonalité tous les ans. Le cru 2024, remis comme il est de tradition au Théâtre Montparnasseinauguré en 1886 a particulièrement été marqué par l'humour, en réaction peut-être à ce qu'on ressent en terme de "morosité ambiante".

Les discours officiels, inévitables, n'ont pas été très longs devant une salle très remplie de personnes très heureuses de se retrouver pour célébrer cette 44 ème séance qui commença avec mention particulière à Marie-Hélène Brian pour son implication à l’ART et des remerciements à la Bibliothèque nationale qui en accueille toutes les collections depuis 1969.

Faut-il rappeler que le brigadier est ce morceau de perche avec lequel le Régisseur (Directeur de la scène et par conséquent de la Brigade technique au service du spectacle) frappe les trois coups qui commandent le lever du rideau ? Décorés de velours rouge et de clous dorés, portant la plaque de cuivre gravée au nom du récipiendaire, ils ont été réalisés une nouvelle fois cette année par Xavier Soulabaille, régisseur plateau, à partir de perches provenant pour cette édition du Théâtre Montparnasse, du Casino de Paris et des Folies Bergère. Laurent Terzieff qui le reçut en 1986 disait à propos de cet instrument qu'il était le magicien du temps puisqu'il l'arrête.

Honneur au sexe féminin, c'est Delphine Depardieu qui a reçu la première son trophée pour son interprétation dans Les liaisons Dangereuses à la Comédie des Champs-Elysées, dans l’adaptation et la mise en scène d’Arnaud Denis (jusqu’en avril 2025, à la Comédie des Champs-Élysées).

Stéphanie Fagadau, la Directrice de la Comédie et du Studio des Champs-Elysées, le lui remit au terme d’un très joli discours évoquant la naissance de son rôle de Madame de Merteuil, que la comédienne accepta de reprendre en l’espace de deux jours, et qui devint un chainon marquant dans le fil de son chemin. Delphine salua ses co-acteurs et les techniciens mais n’en resta pas là. Sobrement vêtue d’un pantalon noir et d’un pull blanc, coiffure sage, elle exprima combien il lui fut difficile d’assumer de porter un nom célèbre et de gagner ses propres galons dans un métier qu’elle adore et où d’autres avant elle s’y sont taillés une place de premier ordre.
Il y a vingt ans, on m'avait conseillé de changer de nom. Mon père (Alain Depardieu, producteur de cinéma, est le frère de Gérard) m'a encouragée à travailler pour le faire oublier au profit de mon prénom. Je vis cette récompense comme un adoubement qui va me permettre d'effacer tout sentiment d'imposture. C'est important pour moi qui n'ai jamais eu de prix scolaire et qui a même redoublé le CP. Quand on m'a appris la nouvelle, j'ai pleuré au téléphone. J’avais tant de fois assisté à la cérémonie depuis la salle en me disant " bon ben ça c'est le prix des grands et … je n'y crois toujours pas ". Cela signifie que les gens du métier ont compris que je n'étais pas là uniquement grâce à mon nom, mais parce que j'ai un amour des textes et de la scène. J'ai toujours voulu me faire un prénom.
Le second Prix du Brigadier de l'année 2024 échut à Maxime d'Aboville pour son interprétation dans Pauvre Bitos de Jean Anouilh, mis en scène par Thierry Harcourt (jusqu’au 5 janvier au Théâtre Hébertot). Michel Fau s’était porté candidat pour le lui remettre. Il s’en est acquitté avec le potentiel comique qu'on lui connait, mais qui ce matin était particulièrement en verve : Je t'aime à la ville comme à la scène, c'est pas si fréquent (…) Tu conjugues folie et rigueur comme les grands jardins à la française. Malgré tes deux Molières garderas-tu ton insolence ?

Maxime reçut effectivement deux fois le Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre Privé, en 2015 pour The Servant et en 2022 pour Berlin-Berlin. Tout le monde aura compris l’ironie de la situation lorsque Michel Fau enfoncera le clou en disant adorer la cérémonie des Molières puisqu’il n’en est jamais reparti avec une statuette alors qu’il a été nominé neuf fois depuis 2014 pas plus que sa pièce Lorsque l'enfant paraît, dont il est le metteur en scène, nominée dans quatre catégories l’année dernière.

Maxime d’Aboville lui a emboité le pas en allant encore plus loin dans l’humour afin sans doute de masquer l'émotion car il se souvenait parfaitement que son maître Michel Bouquet -qui avait aussi interprété Bitos- avait reçu ce Prix avant lui. Il le cita en soulignant son humilité : tu es plus intéressant toi qui m’écoutes que moi qui parle.

Il s’est réjoui pour Delphine Depardieu, sa camarade d’apprentissage chez Jean-Laurent Cochet, et son metteur en scène Thierry Harcourt qui lui porte chance (il était aussi le metteur en scène de The Servant). Également Francis Lombrail le directeur d’Hébertot qui a fait preuve d’un heureux courage en exhumant (sic) Bitos soixante ans après sa création par Michel Bouquet qui, rêvant que le rôle soit repris, s’en était ouvert à Francis Lombrail. Ce fut l’occasion de rendre hommage aux risques pris par les producteurs … dont on parle peu au théâtre.
Michel Bouquet m’a inspiré énormément. Il fait partie, à l’instar de Louis Jouvet ou de Charles Dullin, de ces quelques phares qui ont hissé le théâtre à une hauteur spirituelle. Jean Anouilh, monté trois fois dans le théâtre privé cette année, et ce n’est pas rien. Il a refusé toutes les récompenses officielles, n’acceptant en 1971 que la seule qui soit véritable à ses yeux, le Prix du Brigadier. Le grand théâtre est aussi la traversée d’une cruauté (Delphine pourrait dire la même chose).
Maxime avait passé une audition pour reprendre le rôle, devant un parterre de personnalités du théâtre autour de Myriam Feune de Colombi -qui demeure l’âme de ce lieu- dont il imita la voix justifiant au cours d’une conversation téléphonique que le comédien nous restitua avec un effet comique des plus jouissifs, qu'il n'interprèterait pas ce rôle sur la scène du Théâtre Montparnasse en lui donnant l'argument imparable qu'il était beaucoup trop beau garçon. Excuse bidon, comme l'avenir le prouva, puisque c'est grâce à ce rôle qu'il est aujourd'hui récompensé.

Un Brigadier d'Honneur fut décerné à Geneviève Casile, Sociétaire honoraire de la Comédie Française pour l'ensemble de sa carrière et nous n’attendîmes pas le rappel de ses rôles pour lui faire une standing ovation. Il lui fut remis par Karen Taïeb, Adjointe à la Maire de Paris en charge du patrimoine, de l'histoire de Paris et des cultes qui rappela quelques-uns des plus grands moments de la comédienne étoile du théâtre dont le rêve était de devenir danseuse étoile, comme sa fille Hélène Babu (à l’affiche de la Serva amorosa) tandis que sa petite-fille Eva Loriquet est elle aussi comédienne.

Elle a joué Electre, Célimène, Elvire, Elmire, Junie, Bérénice, Andromaque, Chimène et Roxane. Elle fut Marie-Antoinette ou la marquise Cibo de Lorenzaccio pour le cinéaste Franco Zeffirelli, Lucrèce Borgia, Isabelle d’Angleterre des Rois maudits, Marie Stuart, Elisabeth d’Angleterre, la reine de Ruy-Blas ou encore Dona Sol dans Hernani sous l’aile de Robert Hossein, plusieurs fois comtesse, Sarah Bernardt, Carmen dans Le Balcon de Jean Genet, dirigée par Georges Lavaudan, mais encore Mère Marie de l'Incarnation dans le Dialogue des Carmélites, mis en scène par Gildas Boudet à l’Odéon en 1987 dans lequel Catherine Salviat, présente dans la salle, fut sœur Constance de Saint-Denis.

Fort élégamment et sans micro, Geneviève Camile a exprimé d’une voix douce sa joie de savoir son premier brigadier, offert par il y a trente ans par l’Administrateur de la Comédie Française à l’occasion de son départ sera rejoint par celui-ci, nettement plus beau au demeurant. Elle a profité de l’occasion pour faire le bilan de ce qui fut le meilleur moment de sa carrière, sa jeunesse, quand elle ne pensait qu’à la danse, une discipline qui lui a enseigné à se tenir droite, à jouer avec grâce et en affichant un sourire inébranlable; Elle aussi s’exprima avec beaucoup d’humour, confessant que l’obtention de trois premiers prix d’interprétation l’avaient mise en panique. Elle a apprécié la fantaisie invraisemblable des années 60 et plus que tout le rapport avec le public.

Ce que n’a pas dit cette “reine d’affiche“ de 87 ans c’est que sa carrière est loin d’être achevée. Elle fut cet été au Théâtre des Gémeaux, pendant le festival Off d’Avignon, Julia Maesa, dans Héliogabale, qui n'est pas une pièce facile et qu’elle accepta parce que le metteur en scène était Pascal Vitiello.

Cette 44 ème cérémonie fut l’occasion de célébrer deux créateurs, l’une pour les costumes, l’autre pour les lumières en décernant un Brigadier d’Honneur respectivement à Mine Verges remis par une Anne Delbée bouleversante d’émotion et à Jacques Rouveyrollis remis par Laurent Béal.

Le parcours de la première nous fut retracé par Anne Delbée qui avait promis à la grande costumière que promis-juré elle n’aurait pas l’obligation de parler en public. A 89 ans, celle qui fit du velours noir son emblème, dirige toujours l’atelier de costumes du Moulin Rouge et il semblerait que ce ne soit pas chose facile car réaliser un string en strass exige plus de compétence que tailler un costume XVII° : il ne s’agirait pas de risquer de blesser la peau d’une danseuse. 

Ses drapés ont embelli d’immenses artistes comme Juliette Gréco, Dalila, Barbara ou Nana Mouskouri dont la robe blanche a fait sensation dans le théâtre antique où elle interpréta la Marseillaise pour l’ouverture des Jeux Olympiques de 2024. Elle a habillé des milliers d’interprètes, du boulevard à la tragédie, en passant par la danse, l’opéra, le cabaret, la télévision, les variétés et la haute couture … jusqu’à Mickey. Tous se sont glissés dans des costumes conçus pour préserver leur liberté de mouvement.

Éblouie par Gérard Philipe, elle partit en stop pour Avignon et son festival. Non sans avoir commencé (comme l’héroïne de Autant en emporte le vent) par se trafiquer une robe dans une paire de rideaux pour se présenter à son avantage dans le monde du spectacle où elle rêvait de se faire une place. Son second souhait était de monter à Paris et elle y construisit une oeuvre à la hauteur de celles des Compagnons du devoir. Tu mérites ce prix pour les cathédrales que tu as bâties ajouta Anne Delbée, permettant à Mine de rester muette puisque tout avait été dit, si ce n’est confirmer qu’elle avait voulu faire ce métier pour n’être pas devant mais derrière.

Jacques Rouveyrollis est l’homme de toutes les situations, autant à l’aise dans la simplicité que dans l’opulence, capable d’éclairer une scène modeste (et de le faire de manière sublime) que de positionner 5000 projecteurs sur Johny Hallyday. Qui n’a jamais lu son nom sur un programme ? Lui aussi fit preuve d’humilité en nous disant : Le théâtre m’a permis de ne jamais m’ennuyer. C’est toujours la première fois.

La cérémonie se poursuivit avec le dévoilement d’une plaque commémorative à l’entrée du théâtre à la mémoire de Myriam Feune de Colombi qui le dirigea de 1984 à 2021.

mercredi 11 décembre 2024

Mon premier coffret Elmer

Offrir un livre à un enfant … pour Noël ou à une autre occasion, quelle bonne idée bien sûr, mais lequel ?

Tous les adultes ont rencontré dans leur enfance cet éléphant bariolé créé par David McKee (1935-2022) en janvier 1989 … et donc plus vieux que la plupart des parents qui ont eu un enfant il y a trois-quatre ans et plus.

Mais savent-ils comment cet animal est passé du gris aux couleurs de l’arc-en-ciel ?

L’école des loisirs a eu la très bonne idée d’éditer à l’approche des fêtes de fin d’année un coffret contenant Elmer en version doudou, adapté aux petites mains, avec le premier album de la série, celui qui explique la métamorphose, et qui reçut le Prix du Salon du livre de Cherbourg, 1991.

Cette première aventure d'Elmer en format relié, aux coins arrondis,  nous apprend qu’Elmer supporte mal adaptée aux petites mains différence qui le distingue des autres éléphants. Mais il découvrira que sa singularité ne l'empêche pas de rester le même bon Elmer pour ses amis.

David McKee est né dans le Devonshire, en Grande-Bretagne. Il a suivi des études artistiques au Plymouth Art College. Au début de sa carrière, il a régulièrement vendu des dessins humoristiques à des magazines et à des journaux tels que le Times, le Punch et le Reader’s Digest. Puis, il a très vite trouvé sa voie dans les livres pour enfants. Son premier album fut publié en noir et blanc par Abelard-Schuman en 1964.

C’est en s’inspirant des tableaux de Paul Klee, et de ses formes géométriques que l’illustrateur qui aimait dessiner des éléphants eut un jour l’idée de l’habiller de carrés multicolores et d’imaginer l’histoire qui l’a rendu célèbre, Elmer, a été publiée en France en 1989 et devint l’une des séries les plus emblématiques de la littérature pour la jeunesse. Elle témoigne de l’humanisme de son créateur : les thèmes de l’inclusivité, de la tolérance et de l’amitié traversent les différentes aventures et s’adressent aux enfants du monde entier.

David McKee a été lauréat du BookTrust Lifetime Achievement Award en 2020 pour avoir sa contribution incroyable à la littérature enfantine, qui traverse les cultures, les générations et les langues.
Mon premier coffret Elmer, David McKee, traduit de l'anglais par Elisabeth Duval, chez Kaléidoscope, Ecole des loisirs
En librairie depuis le 6 novembre 2024.

mardi 10 décembre 2024

Noël de Jeanne Ashbé

Comment parler de Noël à un tout jeune enfant ? Jeanne Ashbé s’adresse admirablement aux tout-petits. Elle a grandi dans une famille nombreuse, remplie d'amis, de cousins, de jeux, de fous rires et de disputes ! Après ses études universitaires elle a travaillé au Québerc comme thérapeute du langage dans un très grand hôpital pour les enfants.

À son retour en Belgique, et après la naissance de ses enfants elle a commencé à illustrer des livres... d'école ! Et très vite, ce sont ses propres textes qu’elle a mis en images et elle anime aussi des formations à la lecture. Elle a aussi la passion de la cuisine et du violoncelle. Elle a obtenu de nombreux prix en Europe, en Asie et aux Etats-Unis et ses livres sont traduits dans une douzaine de langues.

Elle a conçu cet album sans texte, comme un imagier, et ce n’est pas par négligence. Il concernera les petits (et les parents) de toutes les nationalités, ce qui est précieux pour moi qui ai une petite-fille qui grandit sur un autre continent, situation de plus en plus fréquente.

L’absence de mots sous les illustrations contraint l’adulte à imaginer l’histoire et à la raconter. De tels moments de lecture partagée sont précieux parce qu’ils favorisent le développement du langage et de la pensée de l’enfant qui aimera pointer du doigt ce qui l'intéresse. 

Ce livre-ci est exemplaire. L’auteure a manifestement pensé chaque détail. La couverture est rouge comme le manteau du père Noël, avec le mot Noël écrit sobrement en lettres bâtons dorées. L’enfant apparaît comme dans la focale d’une lampe de poche. On le surprend en train d’accrocher une boule à la branche d’un sapin, symbole fort de la période. Deux autres boules scintillantes émergent d’un carton, semblable probablement à celui que ses parents auront descendu d’une armoire pour décorer le sapin familial

Sa posture et son geste sont un peu raides, comme le sont les tout-petits qui sont encore maladroits. Ce qui peut intriguer, c’est le petit personnage portant un bonnet pointu et tendant le bras, évoquant aussi bien un animal qu’un lutin, en tout état de cause imaginaire, et qui est sans doute son doudou préféré.

Les pages cartonnées, épaisses, aux bords arrondis, sont faciles à tourner et ne présentent aucun danger à être manipulées. Dans la première double page on remarque une évocation de la fameuse lettre au père Noël que l’enfant (qui n’est ni tout à fait un petit garçon, ni tout à fait une petite fille) a "crapouillé" en l’accompagnant d’un premier dessin de bonhomme. On retrouve le doudou qui a tenté de l’imiter.

Page suivante, l’enfant n’est plus seul. Il a participé avec sa maman à l’accrochage d’une couronne sur la porte de la maison. Le doudou est absent et c'est une autre peluche qui est cachée, mais discrète. Ensuite, on découvre l’illustration de la couverture, mais cette fois complète.

A chaque fois un détail figure en gros plan, page de gauche, tandis que celle qui est située en regard explique ou "raconte" la scène. L’attente doit être difficile car on surprend l’enfant en train de scruter le ciel. Puis c’est un goûter avec des camarades qui  se régalent de chocolat au pied du sapin.
La veille de Noël,  l’enfant déposera ses chaussons au pied du sapin. Le lendemain, il découvrira son cadeau, et le doudou n'aura pas été oublié.

Cet opus est le 14 ème exemplaire d’une série d'imagiers sans texte, donc permettant d’échanger librement dans toutes les langues, mettant en scène Lou et Mouf dans leurs premières expériences de vie. Elle a été imaginée par l’auteure pour faciliter les relations entre les parents et les enfants. Car bien évidemment il faut raconter des histoires aux enfants sans attendre qu’ils soient en âge de dialoguer avec nous. De la même façon qu’on n’attend pas qu’ils parlent pour s’adresser à eux avec la parole.
Noël de Jeanne Ashbé, collection Les images de Lou et Mouf, chez Pastel, École des loisirs
En librairie le 6 novembre 2024

lundi 9 décembre 2024

20 ans pour l’Espace cirque d’Antony (92)


Quelques heures se sont écoulées entre notre arrivée sur l’ Espace Cirque d’Antony et l’arrivée sur la piste d’un gâteau d’anniversaire XXL, digne des vingt dernières années.

Avant de nous régaler d’un bonbon coloré translucide nous ne pouvions pas zapper les discours (quoique j’ai vu quelques malins qui se sont faufilés une heure trente après le début de la soirée). Il est vrai que les pouvoirs publics sont de précieux partenaires de l’Espace cirque et ils tiennent à ce que ça se sache et ne s’oublie pas.

Certains ont d’ailleurs les mots justes pour retracer l’histoire de ce pôle national, un des 14 existants dans notre pays et le seul en Ile-de-France. Leurs mots sont choisis pour signifier le vide et le fragile inhérents aux arts du cirque, témoignant combien l’acte du circassien est courageux et éminemment politique.

D’autres répètent, peu ou prou, les mêmes arguments. Tous s’accordent pour conclure combien avoir accueilli 84 chapiteaux différents proposant 695 spectacles ayant touché 210 000 spectateurs, enfants et adultes, sur 20 ans est une prouesse, preuve indéniable aussi de la capacité du cirque à parler à tous en remplissant un rôle crucial sur le plan de l’éducation artistique sur tout le territoire en multipliant (aussi) les interventions dans les écoles, les foyers, les Ehpad.

Antony est devenu au fil de ces années un pôle d’excellence et de référence majeure dans le domaine du cirque contemporain. Ce bilan est le résultat du soutien sans faille des institutions, combiné au dévouement des équipes et à l’énergie du binôme qui en assure la direction : Delphine Lagrandeur et Marc Jeancourt.

L’endroit est un lieu où se confirment les talents mais aussi où s’en découvrent de nouveaux. Il agit comme une rampe de lancement, sur laquelle se conjuguent la création, le dialogue, l’innovation, l’aventure et l’extraordinaire dans le domaine du cirque contemporain, mais pas exclusivement, en tout cas toujours loin du stéréotype d’un cirque figé dans le passé.

dimanche 8 décembre 2024

Le sang des innocents de S.A. Cosby

Je ne me serais sans doute pas penchée sur Le sang des innocents si le livre de S.A. Cosby n’avait pas été choisi par les bibliothécaires de la Ville d’Antony pour figurer dans le prix des lecteurs. D’abord parce que c’est un roman policier, genre que je n’affectionne pas particulièrement. Ensuite parce qu’il se déroule dans un pays régi par la violence et où les affrontements ethniques sont encore quotidiens.

Cet aspect peut d’ailleurs constituer un atout, puisque le roman offre une sorte de témoignage sur la manière dont s’organisent les rapports humains dans le sud des États-Unis mais franchement je trouve la situation si déplorable que cette lecture m’a troublée.

Il est de notoriété publique que les américains ont la gâchette facile. Le Comté de Charon compte plus d'armes à feu que d'habitants (p. 219), et cela ne va pas réduire la violence, loin de là. Qu'un adolescent ait tiré dans un établissement scolaire n'est pas un point de départ surprenant.

La drogue est partout. Ce n'est pas étonnant pour eux que le père de Titus ait échangé sa bouteille de whisky contre une bible. Le nombre de congrégations est effarant et leur influence affecte la faculté de réflexion des "fidèles". Enfin, voir écrit -je dirais noir sur blanc- l’ampleur des tensions raciales, de la pauvreté et de la violence font encore davantage froid dans le dos.

S.A. Cosby est Afro-Américain et connait parfaitement le sud-est de la Virginie où sa famille est installée depuis des générations. Impossible de mettre en doute son analyse de l’héritage funeste de l’esclavage et de la guerre de Sécession. La presse a souligné la lucidité de son regard sur son pays et les dépossédés qu’elle condamne à une vie sans avenir. Après Les Routes oubliées (prix Nouvelles voix du polar) et La Colère, ce troisième roman s’inscrit sur la même voie.

Il se projette sans doute dans son personnage principal, Titus Crown, un ancien agent du FBI, revenu à Charon, la terre de son enfance, pour y devenir le premier shérif noir. Ses motivations sont très fortes comme il le confie à son frère Marquis : à la mort de maman je me suis juré de tout faire pour protéger les gens et j’ai également décidé que je ne laisserais plus rien au hasard dans ma vie. (…). L’église ne pourra jamais nous immuniser contre le poison dans lequel on baigne au quotidien. C’est pour ça que j’ai choisi d’entrer dans la police (p. 334).

Il est intéressant de constater que la police ne fonctionne pas selon la même organisation outre-atlantique. Nous ne savons pas ce qui relève de la police de Virginie ou de la police d’Etat pas plus qu’on ne connait le champ de compétences d’un shérif, ce que j’imagine que tout lecteur américain sait parfaitement. L’étoile de shérif n’est pas qu’un insigne que nous avons vu dans les westerns. Elle est toujours distinctive et s’obtient en fonction des résultats d’une élection par les habitants de la communauté. Cela ne signifie pas que la personne élue fera l’unanimité. D’ailleurs si les Noirs sont fiers de la position de Titus, ils restent pour la plupart méfiants quant à sa probité, allant jusqu’à le traiter de sale Bounty (p. 62) et les Blancs ont des doutes comparables. Pas facile dans un tel contexte de faire régner la loi avec une légitimité qui n’est pas totalement acquise même si son passage au FBI lui vaut une admiration sans bornes de la part de ses électeurs (p. 121).

L'intrigue de départ est assez simple : Le fils d’un des meilleurs amis de Titus a tiré à bout portant sur l'enseignant préféré du comté avant d'être abattu par un de ses hommes sanas qu'il ait pu s'interposer. L'affaire va se compliquer au fil des pages et on découvrira un monde très pourri à mesure que Titus se livre à une course contre la montre pour tenter d'éviter d'autres crimes.

A plusieurs reprises l’auteur soulignera la méfiance à l’égard du Shérif Crown et singulièrement des noirs alors qu’il s’est présenté pour que justice leur soit rendue. Je ferais ce reproche principal à S.A. Cosby de régulièrement répéter les mêmes phrases presque au mot près. Aussi bien sur ce point qu’à propos de la mort de sa mère, décédée depuis trente ans d'une sclérodermie qui fait d’elle une héroïne, et dont le manque reste cruel, qu’enfin sur le degré d’attachement qu’il a à sa ville natale … dont je peux dire que je ne l’ai trouvée sur aucune carte, mais là n’est pas l’important.

L’administration elle aussi n'est pas équivalente à la nôtre. La ville est dirigée par un président du Conseil de Comté, blanc et très riche, qui s’oppose de manière récurrente au shérif qu’il soupçonne d’avoir bénéficié d’une discrimination positive (alors que non) et qui est obsédé par l’organisation d’une kermesse censée rapporter beaucoup d’argent … quitte à troubler l’ordre public.

Je ne connaissais pas la citation qui est faite d’un poème de Yeats (p. 226), un auteur irlandais prix Nobel de littérature, et les extraits de la Bible qui émaillent le récit ne me sont pas du tout familiers. Parfois surgit un texte poétique en italiques (par exemple p. 227). Celui-ci s’achève sur le fait que tôt ou tard les petites villes livrent leurs secrets mais pour cela, il faut d’abord payer le prix du sang.

Ce n’est sans doute pas un hasard si le propriétaire du terrain où les policiers vont devoir fouiller déclare que la terre est la seule chose qui compte (p. 117), une déclaration qui fait écho aux paroles qu’on murmure à l’oreille de Scarlett O'Hara, dans le mythique roman de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent. On ressent fréquemment combien le roman s'adresse à un lectorat imprégné de culture américaine, familier de l'atmosphère de malédiction caractéristique du sud des Etats-Unis, et sachant que faire allusion au port d'une combinaison orange fluo (p. 170) signifie qu'on risque l'emprisonnement.

Ceci posé, l'intrigue est très bien construite et représentative de ce pays. Je suis donc heureuse d'avoir eu l'occasion de lire ce roman et je retiendrai le nom de l'auteur même si je ne suis pas pressée d'en lire d'autres parce qu'il y a trop de violence dans celui-ci. Je n'ai jamais été familière de lectures dont le héros évoque la perversité d'Hannibal Lecter (cité p. 184 pour donner une pointure) dans Le silence des agneaux, même si j'avais été ravie d'apprendre que Marie-Laure Brunel lui doit sa vocation à devenir première la profileuse française comme elle le raconte dans Avant que ça commence.

Ce que j'ai par contre beaucoup apprécié ce sont les références à des dictons familiaux, sans doute parce que les paroles pleines de bon sens de ma grand-mère ont bercé ma propre enfance. Albert, le père de Titus a mis en garde son fils : un homme qui ne te regarde pas dans les yeux quand tu lui parles est un homme qui ne te respecte pas (p. 192). Ou, plus loin, par sa mère : la vérité est encore à faire ses lacets que le mensonge a déjà parcouru la moitié du monde (p. 214).

La cohésion familiale entre Titus et Marquis, et leur père Albert est un bel exemple. Il y a certes dans cette ville de Charon de véritables ordures mais on rencontre aussi des hommes qui se conduisent dignement. A l'instar de leur père qui a sauvé des familles de la famine en cultivant un potager et du même coup sauvé de la prison en leur fournissant de quoi nourrir leurs gosses sans être obligés de braquer la caisse d’une supérette (p. 283). Et Titus lui-même fait preuve d'éthique dans chacun de ses actes.

Et puis, en fin de compte,  son amour indéfectible pour la ville de son enfance et son obstination à rendre justice aux victimes, quel qu'en soit le prix à payer, est vraiment honorable et digne d'intérêt, même s'il va commettre dans les dernières pages un acte qui est répréhensible … bien que prêtant à sourire.

Le sang des innocents de S.A. Cosby, traduit par Pierre Szczeciner, chez Sonatine, en librairie depuis le 11 janvier 2024, déjà Grand Prix des Lectrices de ELLE 2024 catégorie Policier

samedi 7 décembre 2024

Da Capo, l'épopée du Circus Ronaldo

Quelques jours après l'émouvant Sono io ? je retourne le Circus Ronaldo pour un spectacle combinant tous les arts du cirque avec le théâtre.

Da Capo c’est une formule qui en musique signifie "reprendre au début". C’est le cheminement qu’a suivi Danny Ronaldo pour raconter l’histoire d’une dynastie de circassiens où certes, toutes les spécialités sont maîtrisées mais pour qui le théâtre et la musique sont terriblement importants.

Le résultat est éblouissant, foisonnant et surtout extrêmement joyeux sous la toile du chapiteau tendue comme un ciel bleu.

Danny arrive et commence par installer précautionneusement la doyenne de la troupe, sa maman Maria Van Vlasselaer, au premier rang avant de s’adresser au public en italien … et pourtant il est belge, et je me rendrai compte plus tard qu'il parle parfaitement notre langue. Il nous promet un "momento exceptional" en nous faisant comprendre qu'ils sont tous très honorés de présenter l'histoire du Cirque Ronaldo.

Cette histoire de famille va se dérouler sur sept générations en prenant la forme d'une grande parade, au cours de laquelle seize artistes de tous âges vont envahir la piste, et nous faire traverser les siècles pour parcourir l’histoire réinventée de 180 années de cirque et de partage. Jonglage, acrobaties sur fil, mime, artisanat, trompette, tuba et rock’n’roll seront au rendez-vous pour nous émerveiller et nous faire vivre un grand spectacle comme une célébration.

Ça commence avec l’entrée fracassante d’une 4 L rutilante. Nous sommes en 1971 et une dispute s’ensuit parce que tout a commencé bien plus tôt, à Gand en 1842, lorsque d’Adolf Peter Van den Bergh, un tout jeune garçon de quinze ans fugua pour rejoindre un cirque allemand comme palefrenier avant de tomber amoureux d’une comédienne de commedia dell’arte et plus tard de devenir cavalier acrobate.

Evidemment les lampes posées au sol comme des bougies sont emblématiques de la période. Tout comme les tréteaux du cirque ambulant d’autrefois sur lesquels s’ébattent Pierrot, Colombine et bien entendu Arlequin, dans la pure tradition de la pantomime. C’est une jolie idée de simuler le jeu des artistes derrière le rideau, situant de facto le public dans la position d’être installé dans les coulisses. Les rires enregistrés confortent cette impression.

On apprécie aussi de voir porté l’antique costume de clown qui était revêtu dans le Circus Wulff.

Nous ne serons pas à cheval sur les dates. Nous aurons compris que Danny situe la naissance du cirque contemporain de ses parents, donc en 1971, alors que son frère est plus rigoureux et impose qu’on remonte aux origines. Chacun cherche à imposer la pancarte comportant la date revendiquée plus haut que l‘autre. Nous concentrerons notre regard sur les performances dont certaines sont époustouflantes.et s’enchaînent avec virtuosité. Et nous dirigerons nos oreilles vers les musiciens qui jouent chacun de plusieurs instruments.

J’ai été éblouie par l’orchestre des cuivres menée par un géant dressé sur des échasses et un cracheur de feu, entraînant le bonimenteur et la petiote de la dernière génération en tutu.

J’ai adoré l’apparition du cheval articulé dirigé par deux hommes qui le font vivre comme un véritable animal qui va être dompté comme le ferait un torero dans une arène.

Ils sont capables d'exécuter des numéros sur une scène minuscule où la pitchoune minuscule devient jongleuse. Ta-ta-ta-ta … on nous fait chanter la marche nuptiale devient Mendelssohn fort à propos après nous avoir fait assister en « live » au fameux coup de foudre des ancêtres. Le chariot se. transforme en table de banquet et la musique prend des accents de musique tzigane.

Je n’avais jamais vu une ballerine faire des pointes sur des verres et des bouteilles. Quel numéro ! Sans doute un de ceux qui étaient pratiqués autrefois et qui ont disparu du répertoire. Et quel humour de nous montrer l’envers du décor en nous initiant aux bruitages avec la machine pour faire le vent, le bâton de pluie version XXL pour faire entendre le bruit des vagues, et la plaque de métal qui, secouée, résonnera comme le tonnerre.

On devine que l’électricité est inventée et plusieurs spectateurs sont invités à venir s’asseoir sur des bancs vite disposés sur la piste devant une scène improvisée, brutalement interrompue par une alerte aérienne, annonçant la guerre tandis que sonnent les cloches de l’église.

En cette période de pénurie il est légitime de nous offrir un ultra-simple numéro de marionnette avec juste un poupon manipulé par Danny sur le dessus de son pied avec une canne évoquant celle de Charlot.

On ressent combien le cirque empreinte au cinéma, y compris au muet et au noir et blanc, en réponse aux emprunts que le cinéma lui a fait dans les années précédentes. Et comme l’histoire avec un H majuscule se déroule simultanément on n’est pas surpris de voir les évocations d’épisodes qui ont marqué nos propres parents comme la libération de la France par les soldats américains débarquant sur un vrai Dodge WC 54 dont la taille est impressionnante et sur lequel les numéros de cirque réussissent à prendre appui.

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