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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 13 avril 2024

D'or et d'oreillers de Flore Vesco

Après m'être tant régalée avec De délicieux enfants, je n'allais pas m'arrêter en si bon chemin. J'ai voulu croquer le petit pois de la princesse, même si je savais qu'avec Flore Vesco il fallait que je m'attende à ce qu'elle nous ait mitonné autre chose.

Le titre, déjà, D'or et d'oreillers, me donnait une piste et la couverture, encore une fois si merveilleusement illustrée par Mayalen Goust, me menait directement sur la route des rêves.
C’est un lit vertigineux, sur lequel on a empilé une dizaine de matelas. Il trône au centre de la chambre qui accueille les prétendantes de Lord Handerson. Le riche héritier a conçu un test pour choisir au mieux sa future épouse. Chaque candidate est invitée à passer une nuit à Blenkinsop Castle, seule, dans ce lit d’une hauteur invraisemblable.
Pour l’heure, les prétendantes, toutes filles de bonne famille, ont été renvoyées chez elles au petit matin, sans aucune explication. Mais voici que Lord Handerson propose à Sadima de passer l’épreuve. Robuste et vaillante, simple femme de chambre, Sadima n’a pourtant rien d’une princesse au petit pois ! Et c’est tant mieux, car nous ne sommes pas dans un conte de fées mais dans une histoire d’amour et de sorcellerie où l’on apprend ce que les jeunes filles font en secret, la nuit, dans leur lit…
On retrouve le style de l'auteure et son appétence pour les créations lexicales, comme ce verbe emmitonner (p. 81) qui est si juste. Ce qui est très malin c'est qu'elle ose ne pas dire, et même ne pas créer de nouveaux mots quand les suggérer se révèle plus puissant. Cette astuce permet de passer outre la censure car -il faut le savoir- ce roman est infiltré d'une sensualité épanouie. Elle libère aussi la pensée du lecteur qui pourra se projeter un peu, beaucoup, passionnément, ou pas du tout s'il est très jeune sans que pour autant il se sente perdu.

Elle joue malgré out avec la rhétorique, usant d'anacyclique (p 210) quand le palindrome ne lui suffit plus. Elle reprend des figures classiques qu'elle déplace légèrement ou qu'elle transforme à peine pour leur conférer davantage de modernité. Ainsi le classique jeu "Action ou vérité" prend une nouvelle saveur en devenant "Gage ou aveu" (p. 86).

Flore puise largement dans le monde des contes et en premier lieu dans la Princesse au petit pois. Plusieurs hommages sont notables, dans la couleur dominante de la couverture, dans le nom du village Greenhead (p. 9) et celui du nom du Lord Handerson (qui ressemble furieusement à celui d'Andersen). Elle coud sur la courtepointe qui recouvre le lit vertigineux des motifs empruntés à Cendrillon, Alice au pays des merveilles, au Petit Chaperon rouge, au mythe de Frankenstein et à Barbe bleue. L'allusion à l'interdiction (p. 71) d'ouvrir la petite pièce en bas dans les sous-sols est assez claire et pourtant vous verrez que l'auteure en renverse le principe.

Ses personnages féminins sont tels qu'on les connait en littérature, une mère prête à tout pour marier ses filles, ou à l'inverse, déterminé à conserver son fils. Des soeurs qui sont en position de rivalité. Une héroïne un peu outsider, à la beauté de Shéhérazade, la force de Fifi Brindacier, le courage de Jeanne d'Arc.

On nous mettra en garde car on n’a pas idée de ce qu’une mère est prête à faire pour son enfant (p. 209). On nous rassurera aussi en nous insufflant de l'optimisme parce qu'on ne reste pas éternellement mutilé par une déception amoureuse (p. 227). 

Flore Vesco nous apprend à regarder minutieusement. Ainsi la couverture nous montre une jeune fille endormie dont la chevelure est répandue sur l'oreiller. Scrutez l'image et vous remarquerez une ombre enveloppante qui gouverne ses rêves.

Elle nous enseigne à lire entre les mots et les points de suspension, en remplissant les vides et découvrir l'essentiel du désir et du plaisir féminin. D'or et d'oreillers est à mettre entre toutes les mains, de tous les âges.

D'or et d'oreillers de Flore Vesco, Ecole des loisirs, collection M +, en librairie depuis le 3 mars 2021
Grand Prix SGDL du roman jeunesse 2022
Prix de la Voix des Blogs Ados 2022
Prix Sorcières 2022 - catégorie carrément passionnant maxi

jeudi 11 avril 2024

Saint Romain, second album de Nicolas Réal

J'ai été charmée par le second album de Nicolas Réal (dont je n'avais pas entendu le premier). Ne connaissant rien de lui je suis allée sur son site pour lire sa biographie. La voici telle que l'artiste l'a rédigée :
Il y a, au fond du bar, un dandy décalé habillé de rose, de tendresse et d’auto-dérision. 
Il y a une mélodie qui remplit le lieu et l’esprit, les accapare tout entier, un mélange de sucré-salé entraînant et entêtant.
Il y a au Portugal, le mot "saudade", qui désigne une délicieuse mélancolie, et au Japon le "natsukashii", un vague à l’âme heureux. 
Il y a en France un mot qui manque pour exprimer la possibilité d’une nostalgie heureuse, mais il y a l’univers de Nicolas Réal : la gratitude à l’enfance, passée en Afrique dans les années 80, l’attachement à l’adolescence et à la jeunesse en France puis en Angleterre, le temps qui passe et les amis qui restent, les grands huit des fêtes foraines et ceux de l’existence…
Après un premier opus remarqué en 2022, Gommettes, c’est en Belgique, où il est installé depuis 12 ans, que Nicolas Réal a peaufiné son deuxième album, Saint Romain, annoncé comme un voyage acidulé dans ses souvenirs de jeunesse.

Cet album est plein de surprises, alternant séquences groove et pop, et cela participe à son charme. Il se laisse écouter avec plaisir et c'est sa chance parce que je me demande comment on peut signer le BAT (bon à tirer) d'une pochette sont les textes sont si peu lisibles. Munissez-vous d'une loupe été d'une lampe torche sinon vous passerez à coté. Ces serait dommage car les paroles de Laisse le vent (piste 1) sont très belles et ce n'est pas l'écoute de l'album qui les fait connaître : seule la musique de ce morceau est interprétée au début, et uniquement en piano seul. Il faudra attendre plusieurs minutes pour l'entendre en version chantée (piste 10). Et sans doute davantage l'apprécier car elle arrive après plusieurs chansons fort différentes qui chacune aura travaillé une facette de la voix de Nicolas réal. L'orchestration confère alors une tonalité qui fait penser à la fin à certains morceaux de Christophe.

Le texte de Strip-tease sur Mars a bougé légèrement. Il est question de coeurs sans émotion. ON la retrouve ensuite plus loin (piste 12).

La fête foraine qui sert de décor et d'inspiration au titre éponyme Saint Romain (piste 3) évoque de multiples artistes. Avec cette alternance de voix parlée et chantée, et les ascensions soudaines dans les aigües, illustrant parfaitement les looping du manège.

Pandy Box (piste 4) raconte une bluette hivernale. Rupture de ton et de style avec le Statistype (piste 5) qui fort humoristiquement met en exergue le français moyen? toujours en alternant voix parlée et chantée, nous révélant donc un Nicolas Réal "plus que normal".

Suggestion d'amie (piste 6) poursuit dans la critique sociétale en raillant les réseaux sociaux, avec une évocation discrète d'intonations à la Vincent Delerm.

Tous les cris, les SOS est si éloignée de la version originale que ce n'est qu'à la troisième écoute que j'ai relié avec la chanson écrite et composée par Daniel Balavoine. Le résultat est magnifique. C'est une excellente idée de l'interpréter avec une voix féminine.

Paranormal (piste 8) explore d'autres tonalités.

Masqué (piste 9) est habillé de jolis effets musicaux.

Le petit chemin (piste 11) renoue avec la tradition de la variété française.

On veut bien croire que ce second album est furieusement autobiographique, allant jusqu’à mettre en scène sa propre fille dans le dernier titre, Où est je ? mais avec plus de tendresse et moins de provocation que ne le fit un certain Gainsbourg. Ce titre, écrit par Laurent Bazin et composé par Nicolas Réal est interprété par le père avec sa fille Inès (huit ans) et le clip reprend l'album photos de leurs meilleurs souvenirs de famille.
Saint Romain, second album de Nicolas Réal, dans les bacs le 19 avril 2024

mardi 9 avril 2024

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, un premier long métrage très réussi

Vous connaissez la chanson de Juliette Greco à propos de l’amour tendre d’un petit oiseau pour un petit poisson, nous interrogeant sur la manière de vivre une relation amoureuse quand on est deux personnes ne vivant pas dans le même milieu.

La chanteuse ne donnait pas de réponse. Ariane Louis-Seize reprend la métaphore dans le film qu’elle réalise et qu’elle a coécrit avec Christine Doyon et le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne nous laissera pas sur notre faim.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est un film totalement déroutant. Il combine les codes du film d’horreur, du récit d’apprentissage et de la comédie dramatique comme de la comédie noire avec, pour nous autres français, un bonus puisqu’il est interprété dans une langue que nous comprenons et qui nous est pourtant souvent étrangère, le québécois.

Ce n’est pas si anecdotique de le pointer parce que l’effet de surprise de nombres d’expressions courantes employées outre-Atlantique apporte une note d’exotisme et un décalage qui gomment sensiblement la dimension tragique et renforcent le second degré, un peu à l’instar de Simple comme Sylvain qui a remporté un très grand succès récemment et dont je rappelle qu’il a obtenu cette année le César du meilleur film étranger.
Sasha (Sara Montpetit) est une vampire adolescente qui vit un conflit moral concernant la nécessité de tuer des gens pour se nourrir de leur sang. Sa compassion pour le genre humain empêche ses canines de pousser, ce qui la met en danger. Elle s'alimente grâce à ses parents qui chassent pour elle et lui fournissent des pochettes d’hémoglobine.
Un jour, elle rencontre Paul (Félix-Antoine Bénard), un garçon suicidaire et dépressif, au moment où il s'apprête à se suicider… Lorsque ses canines ont enfin poussé et que ses parents excédés s'en rendent compte, ils l'envoient vivre chez sa cousine, Denise (Noémie O'Farell), peintre portraitiste, qui va tenter de lui apprendre à tuer et se nourrir par elle-même. La jeune fille refuse toujours de sacrifier des vies. Paul est disposé à lui rendre service. Sasha pourrait accepter, mais à condition de l’aider d'abord à réaliser ses dernières volontés, parce qu'elle trouve que c'est vraiment important.
Je ne suis absolument pas fan de films d’horreur, ni même de tout ce qui touche au fantastique. Mais ce film là m’a conquise je suis surprise que, pour son premier long métrage, Ariane Louis-Seize ait si vite pu être aussi précise, sur le plan technique comme scénographique sans parler de la direction d’acteurs qui est parfaite, elle aussi. C’est une réussite qui a été saluée par de nombreux prix et récompenses à des manifestations internationales où il a été projeté en avant-première. J’attends son prochain film avec enthousiasme.

Depuis La peau sauvage, (2016), la réalisatrice avait jusque là tourné des courts métrages qui certes s’étaient démarqués à l’étranger comme en France, sans doute en raison de l'étrangeté de personnages mais qui n'étaient alors qu'en position d'observation. Ici ils restent évidemment étranges, mais avec quelque chose de familier et de poétique qui les rend attachants. L'aspect comique est souvent prédominant ce qui rend l'ensemble tout à fait accessible à un large public.

L'histoire commence presque comme un récit initiatique alors que les codes des films de vampire sont discrètement en place. C'est à peine si on s'étonnera que toutes les scènes se déroulent dans la pénombre ou nuitamment, afin de respecter le code de noirceur typique du genre. Parfois les lampes de chevet clignoteront, apportant une touche surréaliste au récit. Le travail sur les lumières entrepris par Shawn Pavlin, qui reste le directeur photo depuis le premier court métrage, est subtil, instaurant davantage de mélancolie, un peu à la manière de l’expressionnisme allemand plutôt que de l'angoisse. Certaines scènes sont cadrées dans une symétrie parfaite et la caméra est économe de mouvements de manière à vivre dans l'intimité des personnages.

C’est le cinéaste Stéphane Lafleur, connu pour son humour pince-sans-rire qui a monté le film avec finesse.

Le tournage a eu lieu en octobre-décembre 2022 à Montréal et ses environs. Au tout début, la scène d'anniversaire est étrange aussi en ce sens qu'on souhaite au Québec "une bonne fête". Par contre on "fait le parté" pour dire qu'on va à une fête. Le verre de boisson sera appelé "pichet". De la même façon que la tournure des interrogations comme "aimes-tu … ?" est strictement inverse du français qui dira "tu aimes… ?". "Tu sais il est où ?" sera donc équivalent à sais-tu où il est ? On utilisera "en vrai" pour en fait. On demandera "es-tu correct ?" au lieu de "ça va ?". "Prendre sa chance" signifie courir le risque. Il est question de runnings pour désigner les chaussures de sport. On porte un chandail et pas un pull-over (mot d'ailleurs anglais signifiant retirer par dessus la tête). On niaise quand on déconne. "Aucune chance" signifie pas question. On sort "peignée" pour dire coiffée. ll y a une vraie richesse linguistique. Les dialogues sont parfois colorés, toujours mesurés et riches de sens, laissant la place aux silences dès que nécessaire.

Les parents semblent mener une vie "normale" excepté leur mode d'alimentation. La mère se plaint d'une charge mentale lourde à porter, préoccupation tout à fait contemporaine. On verra que les deux mères se révèleront désemparées.

La première scène de dévoration est quasi plus surréaliste qu'angoissante. On retrouve ensuite Sasha lisant un ouvrage philosophique alors que ses parents se gavent de films d'horreur. Elle écoutera le trompettiste québécois Jack Kuba Seguin sur un vinyl (peut-être la Trilogie des odeurs) après avoir posé un gâteau sur le centre du tourne-disque. On remarquera que la musique réveillera des états d'âme chez la jeune fille comme chez le garçon.

La pauvre Sasha est hors normes. La mort stimule sa compassion et pas sa faim. Pourtant elle ne se nourrit que de sang. La psychologue conclut à un état de stress post-traumatique. Finalement Sasha tombera sur un panneau d'information des DSA (Dépressifs Suicidaires Anonymes, dont l'équivalent est en France SOS Amitié). 

Interrogée sur la raison de sa venue dans le groupe de paroles la justification de Sasha est large : je vis une situation délicate qui me force à faire du mal sinon je meurs. Pour Paul, un garçon martyrisé, victime de harcèlement scolaire et professionnel, dans certaines situations la mort pourrait être une option intéressante. Il s'affirme prêt à donner sa vie pour une bonne cause. La réalisatrice interroge avec finesse jusqu'où on pourrait aller par amour. Ne dit-on pas "je donnerais ma vie pour toi" ?

Ces deux là sont faits pour se reconnaitre et s'entendre. Paul a une collection de vinyles d'où il tirera celui qu'il estime idéal pour mourir. Suivra un ersatz de scène d'amour reprenant tous les codes du genre qui est un petit bijou. Allongés sur le lit, ils écoutent Emotions de Brenda Lee, une chanson de 1961 dont les paroles (malheureusement nous n'en avons pas la traduction en sous-titrage) collent parfaitement à la situation :
Émotions, qu'est-ce que tu fais ? 
Emotions, what are you doin'? 

Oh, tu ne sais pas, tu ne sais pas que tu vas être ma ruine ? 
Oh, don't you know, don't you know you'll be my ruin? 

Tu me fais pleurer, pleurer encore 
You've got me crying, crying again 

(…) Émotions, s'il te plaît, libère-moi
Emotions, please set me free.

Sasha n'ose pas passer à l'acte. Paul non plus lorsqu'on lui manque de respect. Et c'est Sasha qui va l'aider à s'entrainer à cela. Au bout du compte elle le vengera et se sauvera du même coup.

La musique tient une place essentielle dans ce film. Sasha avait reçu en cadeau un clavier et on avait compris qu'elle a la musique dans le sang puisqu'elle sait d'emblée en jouer. Lorsqu'elle se produit en extérieur c'est L'hiver de Vivaldi qu'elle fait résonner. Chacun des choix musicaux est judicieux. Pierre-Philippe Côté a placé des airs qui tombent à pic. Mysterious Night de TurchaWoW accompagne très bien la scène de l'hôpital avec la mère de Paul, qui elle aussi vit la nuit, mais comme infirmière. Et qui mieux que Andrés Pajares aurait pu accompagner le générique de fin avec son Drácula "Ye-ye" (2007) ?

Je ne connais pas les comédiens qui sont peut-être célèbres au Québec. En tout cas ils avaient déjà tourné avec la réalisatrice. Par contre Sara Montpetit, qui est parfaite dans ce rôle de jeune fille de 68 ans, venait de gagner l’Iris de la révélation de l’année au gala Québec Cinéma pour Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote, avec une profondeur qui avait décidé Ariane Louis-Seize à lui proposer le rôle de Sasha. Elle possède une étrangeté naturelle, tout comme Félix-Antoine Bénard (Paul) qui l'exploite d'une autre manière. Ce sont deux êtres marginaux par rapport à leur milieu social, qui sont très différents, mais qui partagent les mêmes combats intérieurs. Et pour nous, spectateurs, il y a une dimension supplémentaire avec nos propres effrois face à la mort, même si, encore une fois, je dois souligner que l'accent québécois apporte à nous autres une tonalité humoristique additionnelle.

Quant à la fin, que je ne raconterai pas, elle satisfait notre envie de happy end car le spectateur ressent trop d'empathie pour l'un et l'autre pour accepter une issue tragique. Même le personnage de Denise nous était devenu sympathique, les parents également. On est loin de la caricature de la Famille Adams. Ce film finit par devenir paradoxalement une ode à la vie.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d'Ariane Louis-Seize
Scénario : Ariane Louis-Seize, Christine Doyon
Avec Sara Montpetit : Sasha, Félix-Antoine Bénard : Paul, Steve Laplante : Aurélien, le père de Sasha,Sophie Cadieux : Georgette, la mère de Sasha, Noémie O'Farrell : Denise, la cousine de Sasha, Marie Brassard : la tante de Sasha, Gabriel-Antoine Roy : JP, Madeleine Péloquin : Sandrine, la mère de Paul, Marc Beaupré : le clown, Patrick Hivon : le prof d'éducation physique, Micheline Bernard : la directrice de l'école, Ariane Castellanos : Claudie (Dépressifs et suicidaires anonymes), et Geneviève Boivin-Roussy, Emma Olivier, Arnaud Vachon, Isabella Villalba, Sylvie Lemay, Lilas-Rose Cantin : jeune Sasha …
Musique : Pierre-Philippe Côté
Direction artistique : Ludovic Dufresne
Costumes : Kelly-Anne Bonieux
Maquillage : Tania Guarnaccia et Coiffure : Jean-Luc Lapierre
Montage : Stéphane Lafleur
Sortie en Italie : 3 septembre 2023 (première mondiale au 80e festival international du film de Venise)
Canada : 10 septembre 2023 (première canadienne au Festival international du film de Toronto (TIFF))
Canada : 13 octobre 2023 (sortie en salle au Québec)
En salle en France depuis le 20 mars 2024

dimanche 7 avril 2024

Le Rouge et le Blanc, de Harold Cobert

Combien de fois ai-je entendu que, dans la vie, rien n’est jamais ou tout blanc ou tout noir !

Harold Colbert a choisi de nous raconter le XX° siècle à travers le destin tragique de deux frères désunis par une vision politique différente, le premier libéral et le second révolutionnaire, mais liés par l’amour d’une femme.
Russie, 1914. Tout oppose soudain Alexeï et Ivan Narychkine, deux frères issus de l’aristocratie. Alexeï, l’aîné, a hérité de leur père son tempérament déterminé et réfléchi. Libéral, il prône la modernisation et la démocratisation de la Russie. Ivan, lui, ressemble à leur mère : d’un naturel tourmenté et exalté, il épouse volontiers les pensées anarchistes et marxistes.
Quand, en 1917, la Révolution éclate, tous se déchirent et chacun choisit son camp, au risque de devoir un jour s’affronter…
Natalia, leur sœur de lait, fille de leur gouvernante et de l’administrateur des terres familiales choisit d’œuvrer auprès d’Yvan de son propre frère Kolya. Mais oubliera-t-elle les sentiments qu’elle avait (aussi) pour Alexei ?
Je ne peux pas davantage résumer près d’un siècle d’histoire. Car nous allons suivre l’évolution de la Russie à travers le parcours de ces trois personnages, ici fictifs, mais bien entendu sur fond historique réel. Je dirais juste pour vous convaincre de le lire que Le Rouge et le Blanc est construit comme une série télévisée, en six parties, de plusieurs chapitres relativement courts, qui se lisent sans aucune lassitude et qui, s'achevant chacun sur une énigme, donnent envie d'en dévorer le suivant, même quand on a parfaitement deviné la réponse (comme par exemple p. 170 où le nom masqué est évident). On a beau connaître l’enchaînement des évènements dans leurs grandes lignes on se prend au jeu de comprendre comment les deux frères ont traversé les années.

Bref, on est dans l'esprit des feuilletonistes du XIX° : Balzac, Maupassant, Dumas … mais il n’est pas nécessaire d’être familier de ces grands auteurs, ni de littérature russe pour apprécier, même si cela peut aider d’avoir lu auparavant les oeuvres de Dostoievski, en particulier son dernier roman, publié d’ailleurs sous forme de feuilleton, Les Frères Karamazov, dont l’un d’entre eux s’appelle justement Yvan. L’analogie s’arrête là avec le fait que l’action se déroule dans le même pays.

Il n’est pas davantage indispensable d’avoir lu L'Archipel du Goulag. 1918-1956, l’essai d'investigation littéraire d'Alexandre Soljenitsyne publié en 1973. Mais ce sont malgré tout des lectures additionnelles essentielles.

La couverture du livre est magnifique. Ce personnage vu de dos, que j’imagine féminin, pourrait être Natalia, face au monument le plus emblématique de la Sainte-Russie dont chaque tour symboliserait l’homme Rouge et l’homme Blanc, à savoir Yvan et Alexei.

Je salue le travail de l’écrivain qui signe ici une oeuvre majeure. J’ai dans les mois qui viennent de s’écouler, fait l’effort de me rendre au musée de la Grande Guerre, à deux reprises car je sais combien il est important de ne pas oublier. La dernière fois j’ai même été surprise de constater les liens très forts entre la Russie et la France avant et pendant le conflit. Je me suis arrêtée devant cette Boite à musique offerte par le tsar aux officiers de haut rang et dignitaires français en bois, métal, biscuit et verre. Cet objet commémore l'alliance franco-russe et la visite du tsar en 1896. Les deux personnages en porcelaine sont Nicolas II et le président français Félix Faure. La boite joue La Marseillaise et l'Hymne des tsars, hymne de la Russie impériale. Et plus loin j’ai remarqué les uniformes des soldats russes.
Mais au fil de ma lecture du roman, j’ai eu du mal à passer outre les horreurs des combats et la violence des faits. Je sais qu’en ce moment même il se déroule des atrocités comparables et cette lecture m’a constamment renvoyée au contexte géopolitique actuel qui est tout simplement horrible. J'ai apprécié de suivre les différences de points de vue entre Lénine et Trotski, puis des autres grandes figures de l’histoire. J’aurais envie d’adhérer au principe qu’il faille s’oublier pour permettre un avenir meilleur aux plus démunis, mais quand on sait que cet avenir est un autre bain de sang la justification ne passe pas.

Il m'est très difficile d'admettre que les caractéristiques de ce qu'on appelle "l'âme russe" capable de passer de l'amour à la haine en une fraction de seconde, n'acceptant pas les demi-mesures et vivant d'excès puisse excuser quoi que ce soit mais je pense que la lecture du roman d’Harold Colbert est une nécessité en vertu du conseil de Karl Marx : Celui qui ignore l’histoire est contraint à la revivre.

J’espère que l’avenir sera de nouveau paisible et qu’il sera alors envisageable de parler du roman uniquement d’un point de vue littéraire et le coeur léger. Ce n‘est pas le cas aujourd'hui et encore une fois cela n’a rien à voir avec le résultat dont je sais qu’il est le fruit d’une quinzaine d’années de recherches.

Harold Cobert, docteur ès lettres, est l’auteur de plusieurs romans, dont Un hiver avec Baudelaire (Héloïse d'Ormeson, 2009 ; Le Livre de Poche, 2011), Lignes brisées (Héloise d'Ormesson, 2015), La Mésange et l’Ogresse (Plon, 2016 ; Points, 2017), Belle-amie (Les Escales, 2019 ; Pocket, 2020) et Périandre (Robert Laffont, 2022).

Je l’avais rencontré au Salon du Livre, en mars 2019 (ci-dessous avec Catherine Bardon et Brice Homs) et j’avais bien compris que les défis d’écriture le stimulaient. Je ne suis pas étonnée qu’il nous ait offert une oeuvre d’une telle prouesse littéraire que ce dernier roman.
Le Rouge et le Blanc, de Harold Cobert, Les Escales, en librairie depuis le 7 mars 2024

vendredi 5 avril 2024

Combattre loin de chez soi, exposition au musée de la Grande Guerre à Meaux

Je n’avais découvert le musée de la Grande Guerre à Meaux qu’en novembre dernier, à l’occasion de la présentation au public de deux wagons, dont un spécimen unique, blindé, en acier riveté, destiné à acheminer des munitions au plus près du front.

Je m’étais promis de revenir tant j’avais été impressionnée par l’immensité des collections. Il faut compter un minimum de deux heures pour les visiter et on pourrait leur consacrer une journée entière sans en avoir épuisé les ressources.

Le musée propose régulièrement de nouvelles expositions. Celle qui ouvre au public demain, Combattre loin de chez soi. L'empire colonial français dans la Grande Guerre, m’a donné l’occasion d’en apprendre davantage sur ce musée qui, je le rappelle, est le plus important dans son domaine.

Lors de ce déplacement, nous avons été accueillis par Franck Gourdy, vice-président de la Communauté d'agglomération du Pays de Meaux et Audrey Chaix, directrice du musée qui ont rappelé que si le thème s’inscrit dans l’actualité la volonté du musée remonte à plusieurs années, en raison de la volonté de faire vivre la richesse des collections puisque le parcours permanent ne permet de montrer qu’environ 5 000 pièces sur les 70 000 objets et documents composant les collections. Les visiteurs découvriront à 90% des pièces sorties des réserves, de la collection Jean-Pierre Verney, d’autres dons et de la politique d’acquisition.

Après avoir présenté l'exposition, je me rendrai dans les collections permanentes et je mettrai l'accent sur quelques pièces, en complément de ce que j'ai écrit en novembre dernier. C’est Johanne Berlemont, responsable du service de la conservation, qui assura les deux visites.

L'exposition s’attache à expliquer la portée et les particularités de la participation de l’Empire colonial français au premier conflit mondial dans les multiples registres de l’engagement, des conséquences et des héritages. Elle entend faire connaitre et analyser le rôle des hommes de l’Empire engagés dans la guerre en mettant en avant une histoire partagée.

Elle apporte des clés de compréhension de l’histoire et des mémoires des anciennes colonies et territoires français. En effet, cette histoire entre la France et son Empire est à la fois ancienne et éminemment contemporaine dans le contexte particulièrement sensible de l’écriture de l’histoire coloniale. Le musée a choisi d’adopter une position mesurée, rigoureuse qui s’inscrit dans la continuité de sa collection permanente, bâtie sur les aspects sociétaux et militaires de la Grande Guerre.

L’approche, qui est pluridisciplinaire, donne à saisir les enjeux des récits historiques à travers la présentation de figures, de données scientifiques, d’oeuvres, de documents et d’objets issus des collections du musée ou de celles de partenaires institutionnels.
Nous serons invités à suivre quatre personnages fictif, Adama, Edouard, Phan et Jean-Charles, représentatifs du vécu des hommes issus des différents territoires de l'Empire colonial français. Le parcours de visite est didactique sans prétendre à l’exhaustivité avec plusieurs espaces élargis pour accueillir un public spécifique comme les élèves, qui pourront poser leurs questions et trouver des réponses s’organise autour d’un fil rouge à la fois chronologique et thématique avec trois sections principales.

Il faut rappeler que la guerre de 1870 se termina par une défaite française qui eut pour conséquences la chute du Second Empire français et de l'empereur Napoléon III, suivie de la proclamation de la Troisième République. Sur le plan du territoire, la France est amputée de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine. Mais elle conserve l’héritage d'un empire colonial constitué sous l'Ancien Régime (îles Caraïbes, île de la Réunion, comptoirs en Inde), sous la monarchie de Juillet (prise d'Alger en 1830) et enfin sous le second Empire (implantation en Indochine). Bientôt auront lieu la colonisation de Madagascar et d’une partie de l’Afrique (où plusieurs pays européens seront récents). Un ministère des colonies est créé en 1894.

Un des premiers objets présentés est cette Assiette historiée "Madagascar" représentant des tirailleurs haoussas datée entre 1881et 1919, provenant de Utzschneider & Cie, Manufacture de Sarreguemines
Les troupes de la Marine changent de nom pour s’appeler à partir de 1900, Troupes Coloniales. Elles s’ajoutent à l’Armée d’Afrique (sous-entendu, Afrique du Nord). Chacun a son uniforme et le tombeau (nom donné à la pièce entourée d'un galon effectuant une boucle simulant une fausse poche) est d'une couleur distinctive du régiment (garance au 1er, blanc au 2°, jonquille au 3°).  La veste se porte au dessus d'un gilet ("sédria") en drap bleu avec galon garance autour du col et au milieu de la poitrine.
Comme mentionné précédemment, le tombeau rouge est celui du premier régiment. A ce moment là les magasins vendent des panoplies pour que les enfants puissent s’habiller de la même manière que les soldats. Un exemple est présenté en vitrine (cf photo de gauche). Sur l’uniforme des Tirailleurs sénégalais (beige sur la photo de droite) on remarque les lettres T et S brodées d’or sur le revers du col.

jeudi 4 avril 2024

Dans l’atelier de Leonardo Cremonini, exposition, au Pavillon Conti

J'ai visité en avant-première l’exposition "Dans l’atelier de Leonardo Cremonini" qui se tiendra du 5 avril au 29 mai 2024 au Pavillon Comtesse de Caen (27, quai de Conti, 75006 Paris) de l’Institut de France.

L’Académie des beaux-arts a voulu, à travers elle, rendre hommage à l’œuvre graphique de cet artiste majeur de la deuxième moitié du XX° siècle (1925 à Bologne-2010 à Paris),  et membre associé étranger de l’Académie des beaux-arts où il enseigna de 1983 à 1992 la taille douce, la sérigraphie, et l’estampe.

On le connait jusqu’à présent surtout pour ses peintures. En quelque 75 pièces, l’accrochage se propose de rendre compte de la puissance et de l’originalité de son œuvre imprimée qui va être montrée pour la première fois au public, suivant un parti pris chronologique révélateur de la montée en puissance des thématiques et de leur récurrence : la plage et l’été, l’enfance et ses mystères, la dialectique intérieur/extérieur, la sensualité des corps ou encore les surgissements de formes aléatoires dans la nature.

Les oeuvres ont été choisies parmi les presque 200 pièces (gravures, lithographies, sérigraphies, dont 160 éditions originales et une trentaine d’épreuves de fond d’atelier) données par son fils unique, aujourd'hui architecte à Paris et seul héritier, né en 1963 de son union avec Giovanna Madonia, linguiste. Pietro a monté deux corpus rassemblant au moins une épreuve de chacune des estampes réalisées par son père, qu’il a transmis en octobre 2022, d’une part à une institution italienne de Bologne, et d’autre part française, en l’occurrence l’Institut de France, parce que son père avait enseigné aux beaux-arts.

En parallèle de l’exposition, l'école des Beaux-Arts de Paris publie le catalogue raisonné de ses oeuvres gravées, réalisé par Anne-Marie Garcia, par ailleurs commissaire de l’exposition, et qui s’est livrée à un énorme travail de défrichage et de sélection des oeuvres accrochées parmi les "états". Choisir un ordre thématique aurait sclérosé l’ensemble. Elle a préféré suivre la chronologie de manière à faire ressortir le processus, quitte à donner un sentiment de carambolage qui est le reflet de ce qu’il avait dans la tête. En tout cas, l’exposition réservera de multiples surprises à qui songera à aller et venir d’une salle à l’autre. Il ne faut pas hésiter à regarder les oeuvres dans le détail, en s’approchant de manière à tenter d’appréhender sa vision du monde.

Ce fut aussi une gageure de réaliser un catalogue raisonné imposant de décrire la technique, ce qui ne fut possible que grâce à l’appui de trois experts. Mais c’est une rédaction simplifiée qui a été choisie pour les cartels.

Elle a disposé de peu d’archives, composées essentiellement d’un carnet, de quelques agendas et des lettres conservées par deux de ses éditeurs, Il Bisonte de Florence et la fondation Adriano Olivetti de Turin. Par chance, l’artiste a dès le début, daté, signé et justifié chacune des épreuves. Par contre, s’il leur a attribué un titre, il n’a pas toujours reporté celui-ci sur l’œuvre même, préférant les moduler dans le temps. Anne-Marie Garcia a remarqué qu’ils ne sont pas très stables d’un tirage à un autre et que parfois un jeu de mots, entre le français et l’italien, complexifie encore leur attribution.
Il sole negli occhi, (planche 4), lithographie, 19, impression en six couleurs sur vélin, 74,4 x 50 cm

Cremonini a converti en eau-forte et sérigraphie beaucoup de dessins et même de peintures qu’il avait exécutés auparavant, en en modifiant éventuellement le cadrage ou l’échelle. Il pouvait travailler de nombreuses années sur plusieurs tableaux en parallèle.

Ce qui est fabuleux dans cette exposition c’est qu’elle fait comprendre comment il pratique tout à la fois la gravure, la lithographie et la sérigraphie jusqu’au paroxysme, allant jusqu’à superposer les techniques, mélanger les encres, multiplier les couleurs, saturer le papier, découper les cuivres, juxtaposer les plaques pour obtenir du relief, gaufrer, laisser des empreintes digitales (comme sur cette lithographie ci-dessus où la main entière évoque les continents quand on la regarde de loin), ce qui à chaque fois, représentait un nouveau défi pour ses imprimeurs.
Finestre al balcone, Fenêtre au balcon, (planche 2), lithographie, 1968, 
impression en treize couleurs sur vélin, 50 x 74,4 cm
On a très vite les enfants, parfois les yeux bandés, fouillant le thème de colin-maillard cher au graveur qui, s'il ne travaille pas les yeux fermés, oeuvre tout de même à l’envers.
Mosca cieca, Colin-maillard, lithographie, (planche 3), 1968,
impression en neuf couleurs sur vélin, 50 x 74,2 cm

Umberto Eco disait de Cremonini que sa peinture est une fenêtre qui devient théâtre où il raconte, organise des intrigues ambiguës et sous-entend une série de raisonnements [visuels bien sûr] sur le rôle du sujet, du regard, du désir et de la voluptéPour lui, les miroirs servent non pas à se regarder mais à épier ce qu'on ne devrait pas voir. 

En tant que linguiste, la mère de Pietro, a ouvert à Cremonini le monde intellectuel et universitaire. Il sera admiré par ses pairs tels que Francis Bacon et par les plus grands intellectuels de son temps, à l’instar d’Alberto Moravia, Italo Calvino, Umberto Eco, Louis Althusser, Michel Butor ou Régis Debray qui interprèteront son art, puissamment poétique et l’atmosphère métaphysique et mélancolique de sa peinture en clé psychanalytique et philosophique.

Althusser, qui n’a écrit que sur un artiste, lui consacrera un texte. Michel Butor publiera Les parenthèses de l’étéItalo Calvino verra dans ses oeuvres la réminiscence et le souvenir. Quant à Alberto Moravia, il sera sensible au voyeurisme de l’enfance. C’est une chance que ces textes aient été rassemblés par la commissaire pour figurer au catalogue.

mercredi 3 avril 2024

L’homme Femme de Laurent Viel

Laurent Viel aime chanter. Particulièrement les auteurs à qui il voue une passion. Surtout Jacques Brel, Barbara et Sylvie Vartan. Mais vous remarquerez d’autres sources d’inspiration déployées dans son dernier spectacle L’homme Femme.

Et alors que la question du genre est un thème largement d’actualité il ne tranche pas, jouant sur les deux tableaux. Il l’affirme dans la chanson éponyme.

Il se produit tous les mercredis à 21h00 depuis le 20 mars (jusqu’au 26 Juin 2024/ relâche le 12 Juin) dans une des caves du Théâtre de l'Essaion qui convient parfaitement à la formule qu’il a concoctée.

Laurent Viel s’affirme Homme-Femme. Il est tout autant Chanteur-Comédien. Ce spectacle, qui n’est pas nouveau puisqu’il a été créé il y a un an, se compose de 14 chansons, certaines anciennes, d’autre récentes, abordant les thèmes de l’enfance, la sienne comme le désir d’enfant par la GPA, de la blonde Sylvie, de l’amour, du genre et de la sexualité, du parcours d’une vie, de la brune Barbara, de la résilience… avec en bonus une artiste invitée à chanter avec lui à la fin car Laurent aime depuis toujours chanter en duo.

Le show commence et se clôture sur une évocation de Marcel Proust. L’ambiance se rapproche davantage du cabaret que du tour de chant. Les vidéos imaginées par Antoine Le Gallo habillent joliment les pierres apparentes en de savantes compositions kaléidoscopiques. J’ai particulièrement apprécié celle qu’il a conclue sur les paroles de La machine avec la chorégraphie de Raphaël Kaney Duverger interprétée par Isabelle Aichhorn, qui signe la mise en scène du spectacle.

C’est un spectacle où les paroles comptent. Alors, forcément, on y est attentif, quelles soient de Laurent Viel, qui conjugue les talents d’auteur, compositeur et interprète ou des plumes qui ont collaboré avec lui comme Philippe Besson, Yann Cortella, Romain Didier, Thierry Garcia, Xavier Lacouture, Marie Nimier …

Après une évocation de Marcel Proust, qui bouclera d’ailleurs le récital, Laurent interroge l’assemblée avec une chanson qu’il interprétait déjà dans « Viel chante d’Eon dit … le chevalier » (Ai-je vraiment compté ?) : je me suis égaré / J’ai tant voulu la gloire, les honneurs / Il est trop tard 

Le chanteur est plongé dans une totale obscurité mais on devine une épaisse fumée qui va se teinter de rubis alors que nous découvrons un ours en peluche de la même tonalité en équilibre sur l’épaule, symbole absolu de l’enfance par laquelle l’artiste tenait à commencer car elle le renvoie à la solitude … et à la nudité.

Quelques pas de danse (et il y en aura plusieurs au cours de la soirée) et voici Ventre Z, mi-parlée, mi-chantée, interrogeant sur la GPA, avec des paroles de Pascal Mathieu, qui a également écrit la suivante, Le fil du courant, traversé de clins d’œil à l’univers de la jolie blonde, alias Sylvie Vartan, qui fut la première à donner envie de faire de la scène. Elle dont le visage n’est plus sur l’oreiller mais sur le mug qui rivaliser avec l’ours en peluche sur le tabouret.

L’orchestration est magnifique et fait regretter l’absence de musiciens. On ne s’attendrait bien entendu pas à un orchestre symphonique mais un clavier, une guitare, une batterie accompagneraient formidablement le chanteur qui ne serait plus contraint à une forme de solitude. A d’autres moments c’est la présence de danseuses qui nous manquera.

Nous en parlions, la voici en majesté, Sylvie Vartan, dont on reconnaît à peine la voix mais qui se dessine très vite avec des références très explicites à plusieurs titres de ses chansons que Xavier Lacouture a agencés façon puzzle ( Comme un garçon, La Maritza, L’amour c’est comme une cigarette, Nicolas …), en soulignant d’un trait large qu’il s’agit bien d’elle au cas où nous n’aurons pas compris.

La longue dame brune, alias Barbara, rivalise avec la précédente, et on pourrait écouter longtemps son phrasé si particulier. La musique a été fort à propos composée par Romain Romanelli qui fut si longtemps son accordéoniste. Je signale que le spectacle-hommage qu’il lui consacre, L’homme en habit rouge, est un bijou.

Laurent enchaine en changeant de rythme avec une chanson dont il a écrit paroles et musique (avec Yann Cordella) : Qu’est-ce qu’il y a d’aussi beau ? Bien qu’il commence par j’aime les filles à talon (…) et qui jouent les princesses, les affirmations qui suivront renverseront le paradigme tout en faisant écho troublant au premier grand tube sur toutes les radios FM, en 1981, J’aime regarder les filles de Patrick Coutin. Cette année-là Barbara chantait Regarde, quelque chose à changé, mais il ne s’agit pas du tout du même changement que celui que Laurent nous confie ce soir. Sylvie, plus nostalgique, chantait quant à elle Toute une vie passe / pleure des lettres d’amour et des coups de coeur / change. On n’oublie rien mais il faut garder pour soi un coeur déchiré quand l’amour s’en va.

Il y a une autre référence musicale (nous dirons un hommage, et ma mémoire n’a pas retrouvé de quel titre il s’agit qui, bien évidemment n’a rien à voir avec la chanson d’Alain Souchon mais plutôt avec une balade moyennageuse) dans la magnifique interprétation suivante, La machine (texte plein d’émotions de Xavier Lacouture) alors qu’une suite de notes électro ponctuent la chorégraphie superbement démultipliée à l’infini :
Elle passe l’aspirateur (…) pour aspirer son bonheur en poussière.
Elle refait les mêmes gestes pour calmer sa douleur. (…)
Quelques tee-shirts et un jean défilent dans la machine / Roulent au rythme du tambour.
Elle a relu la lettre / Le temps s’est arrêté / Elle retire de la machine/ Un homme en uniforme bleu / Mort au son du tambour.

Voilà Monsieur, totalement ancrée dans la tradition de la chanson à texte et où l’hommage est cette fois évident à Jacques Brel. Laurent Viel chante la suivante dos au public. Elle m’évoque le début du spectacle avec la référence explicite à Proust et la première chanson, Ai-je vraiment compté ? Il enfile ensuite une veste rouge, assortie à ses chaussures, pour interpréter Dans le corps d’un homme.

Voix de gorge dans Pianiste de bar pour célébrer Keith Jarret, Meredith Monk, et … Richard Clederman. La fumée noire masque l’artiste qui, en voix parlée célèbre cette fois Cole Porter, Gerschwin, et … toujours Richard Clederman.

Les belles paroles écrites par Philippe Besson pour Au temps qui nous reste abordent un thème très actuel, celui de la fin de vie.

Enfin arrive la chanson éponyme du spectacle : Quand je pense Homme je me sens Femme / Je dis Elle / Je pense à moi (…) Il faudrait trancher … mais pourquoi ? interroge Laurent avec malice en concluant Et l’avenir va me donner raison. Les paroles explorent la dualité, le double, mais nous ramènent aussi à l’enfance.
Laurent a l’habitude de chanter en duo. Il a l’excellente idée de solliciter chaque mercredi une interprète différente pour chanter avec lui. C’était Armelle Yons le soir de ma venue et le moment fut très réussi. J’étais particulièrement heureuse de voir cette artiste à ses côtés puisque j’ai chroniqué très récemment son dernier album. Ils ont interprété "L'amour que l'on n'a pas fait" et qui aurait pu conclure le show qui s’acheva quelques minutes plus tard par Une dernière danse.
L’homme Femme de Laurent Viel
Les mercredis à 21h00 jusqu’au 26 Juin 2024 (relâche le 12 Juin)
Théâtre de l’Essaion
6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris - Tél: 01 42 78 46 42

mardi 2 avril 2024

Du thé pour les fantômes de Chris Vuklisevic

Bien que je ne sois pas friande de littérature fantastique j’avais soif de découvrir Du thé pour les fantômes parce que je fais confiance aux choix du comité de sélection du prix des lecteurs d’Antony
Agonie est sorcière. Félicité, passeuse de fantômes. Le silence dure depuis trente ans entre ces deux filles de berger, jusqu’au jour où la mort brutale de leur mère les réunit malgré elles.
Pour recueillir ses derniers mots, elles doivent retrouver son spectre, retracer ensemble le passé de cette femme qui a aimé l’une et rejeté l’autre. Mais le fantôme de leur mère reste introuvable, et les témoins de sa vie, morts ou vivants, en dessinent un portrait étrange, voire contradictoire.
Que voulait-elle révéler avant de mourir ? Qui était vraiment cette femme fragmentée, multiple ?
Leur quête de vérité emmènera les sœurs des ruelles de Nice au désert d’Almería, de la vallée des Merveilles aux villages abandonnés de Provence, et dans les profondeurs des silences familiau
J’aime le principe d’inciter le lecteur à sortir de sa zone de confort en lui proposant des ouvrages vers lesquels il n’aurait pas tendu la main. Il ne suffit pas de suggérer pour emporter l’adhésion. Force est de constater en refermant le livre que ce genre ne deviendra pas ma tasse de thé. Et pourtant la couverture était belle et pleine de promesses à l'instar de la prescription de l'éditeur : Entrez dans le salon de thé. Prenez une tasse chaude à l’abri de la pluie. Écoutez leur histoire.

Le style alerte de Chris Vuklisevic aurait pu me plaire. Sa manière de surnommer les sorcières avec le mot "masques" est intéressante (p. 28). J'aime cette sentence voulant que Quand on est vivant, on occupe les places que les morts ont laissées. C’est la règle. La description de la redoutable Félicitée m'a fait sourire : toujours habillée de gris. Un sourire à vous donner des cauchemars de congélateur (p. 34).

Mais cet humour parfois mélancolique n’a pas suffi pour pimenter ma lecture. Je me suis ennuyée sans parvenir à me projeter ni dans le personnage de Félicité ni dans celui d’Agonie, et peut-être encore moins dans celui de leur mère (Carmine dont je lisais le prénom comme étant calamité), si bien que je m'égarais constamment et que je n'ai pas été jusqu'au bout pour recevoir cette récompense promise par l'auteur : je vous donnerai toutes les vérités de ceux qui ont vécu cette histoire (p. 29). J'avais pourtant suivi la prescription de l'éditeur

Chris Vuklisevic, qui écrit aussi sous le pseudonyme Ada Vivlada, est une écrivaine française. Originaire du sud de la France, elle a vécu à Paris puis en Irlande avant de s'installer désormais en Bretagne

Sur les huit titres déjà lus, et chroniqués, mes préférences n’ont pas bougé. Ce sont Les contemplées et Ruby Moonlight qui restent en tête (liens vers toutes mes chroniques sous l'article). Il en reste deux pour perturber ce palmarès et me faire changer d’avis.

Du thé pour les fantômes de Chris Vuklisevic, chez Denoël, en librairie depuis le 3 mai 2023
Liste des livres sélectionnés pour le Prix des Lecteurs d'Antony :

lundi 1 avril 2024

Dégustation pascale avec Newtable à l'Hôtel Pilgrim (Paris)

Sans doute vous êtes-vous régalés de chocolat hier puisque c’était Pâques. Je n’ai pas récidivé la dégustation que j’avais faite la semaine dernière, à l’initiative de Newtable, dans un cadre années 70 en plein cœur de Paris, à deux pas de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

C’était à l'Hôtel Pilgrim qui est un vrai havre de paix élégant et contemporain. Son style raffiné convenait parfaitement à la symphonie de douceurs chocolatées dont nous fîmes plusieurs bouchées.

Les tables avaient été placées en enfilade pour accueillir l’ensemble des produits proposés en dégustation, après que nous les eûmes immortalisés en photo, ce qui ne s’est pas fait sans une certaine pagaille parce que les uns tenaient à leurs clichés, les autres avaient déjà le couteau à la main, prêts à frapper dans les coques. Beaucoup de maisons de renom avaient livrés leurs chefs d’œuvre. Certains gigantesques, démesurés, d'autres tout petits. Tous délicieux.

Ce fut l'occasion de belles découvertes de la part de certaines maisons que je ne connaissais absolument pas, d’autres dont j’avais vaguement entendu parler et bien entendu des plus célèbres qui, comme je le pressentais, restaient fidèles à leur réputation.

On voit ainsi en bout de table des Oeufs Éclosion apportés par Les Belles Envies dont le design est très intéressant. Tout à l’heure, c’est leur entremet qui va nous surprendre et provoquer un plébiscite.
L'entremet Éclosion façonné généreusement par Les Belles Envies a fait l’unanimité. L’assemblage de croustillant chocolat noisettes et grué de cacao, biscuit Gianduja chocolat noisettes, crème brûlée chocolat noir, ganache montée chocolat au lait et glaçage chocolat noir a séduit tous les gourmets.
J’ai trouvé très mignonnes les adorables loutres de Wiliam Artigue, qui les a conçues sans doute pour plaire autant aux grands qu’aux petits. Derrière, on devine sur la première photo la Colombe de Pâques de Christophe Louie hyper moelleuse avec ses inclusions composées avec de 2 chocolats Mayan Red (vient directement du Nord de la jungle du Honduras) de la Maison Xoco, lait 48% et Noir 70%.

Christophe Louie est un pâtissier technicien de la gourmandise qui est parti en Italie pour se former auprès de Mauro Morandin. Il en est revenu avec un fragment de levain naturel qu’il nomma naturellement « Mauro ». C’est avec lui qu’il peut faire découvrir en France les brioches traditionnelles italiennes, le panettone mais aussi le Pandoro et cette Colombe que j’ai beaucoup aimée.

Je n’en pas fait de gros plan mais vous remarquerez sur la table une bouteille de rosé sans alcool de La Vie en Zéro du vignoble Producta. J’ai adoré l’idée mais ce vin gagnerait à exister avec un dosage en sucre plus bas. J’ai donc préféré le Crémant de Loire brut De Chancenny.
La maison Potel et Chabot était présente avec une Cartographie et le Méridien qui est une barre en chocolat noir Pérou, noix de Pécan et fève Tonka. Aossortiment de bonbons chocolat noir et lait Pérou et Equateur, praliné pignons de pin praliné pistache. Mais aussi avec un merveilleux Oeuf Atlas, ci-dessous.
Il rivalisait avec l’Oeuf Bijou, issu d’un méticuleux processus de dix jours réalisé par l'Hôtel Park Hyatt Paris Vendôme sous la cheffe Naraé Kim. Cette coque en chocolat noir, sur socle garni de praliné, avec sélection de biscuits est un délice absolu.
Plus fantaisistes, le s drôles de poissons de Chapon, l’oeuf en chocolat Equateur et le Poisson Globe, garni d'un mélange de fritures sèches et pralinées et d'un assortiment d'oeufs pralinés.
Un peu plus loin on pouvait goûter les tablettes et l’Oeuf Goeland, qui sont d’ingénieuses créations de Néogourmet, par le chef Thierry Marx
L’immense Oeuf Dans La Coque n’a pas davantage résisté aux appétits gourmands que les petits Oeufs à Bascule colorés et déclinés selon quatre recettes d'Alléno et Rivoire, toujours innovateurs. Le Grand Oeuf de Plaq a lui aussi terminé en petits morceaux. Egalement les élégants Oeufs aux noisettes caramélisées et l'Oeuf Prestige d'Hugo & Victor qui ont privilégié des ingrédients simples et bien sourcés, sans sucres ajoutés ni d’édulcorant, pour des chocolats et gourmandises qui sont censés nous vouloir du bien ! 

Bref, n’est restée que poussière de chocolat de cette si jolie table qui rassemblait toute la gamme de ce qu’on peut avoir envie d’offrir en cette période pascale : depuis les oeufs en chocolat et les traditionnelles fritures chocolatées, jusqu’aux réalisations prestigieuses en termes de volume et de design sans oublier la brioche et l’entremet.

Pour ceux d’entre vous qui ne connaîtraient pas Newtable je précise que cet organisme propose depuis 2022 un programme d'évènements uniques et conviviaux au travers de dégustations, des afterworks, des dîners thématiques, des pré-ouvertures, et bien plus encore.... annoncés par une newsletter à laquelle on peut s’inscrire gratuitement. L’adhésion au Club est réalisable en ligne ici

Dégustation de Pâques du 26 mars 2023
Organisée par Newtable avec Les Belles Envies, l'Hôtel Park Hyatt, Néogourmet de Thierry Marx, Plaq, Wiliam Artigue, Potel et Chabot, Christophe Louie, Hugo & Victor, Chapon, Alléno et Rivoire
Et pour les boissons Le crémant de Loire brut De Chancenny Et Le rosé sans alcool de La Vie en Zéro du vignoble Producta
A l’hôtel Pilgrim au 11 rue de Poissy - 75005 Paris dont Alceste (ci-dessus) est une barmaid très au fait des dernières tendances.

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