Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 14 décembre 2024

Saint-Ex, le film de Pablo Agüero

Le générique se déploie sur un ciel de nuages en embellie, en toute logique puisqu’il va s’agir d’aviation. Nous sommes prévenus que le scénario est librement inspiré des aventures de Saint Exupery. Il se déroulera de 1930 à 1944, date de la mort de Saint-Ex.

Ne vous attendez donc pas à une biographie qui retracerait le parcours de l’homme. L’histoire se concentre sur une semaine de son métier d’aviateur aux côtés de son immense ami et mentor Henri Guillaumet et de sa femme, Noëlle, tous trois au service de l’Aéropostale.

Leur credo est toujours plus vite, toujours plus loin, toujours ensemble et nous verrons qu’il n’y a jamais trop de sacrifices pour le satisfaire comme leur devise : le courrier est plus important que la vie.
En 1930 Antoine de Saint-Exupéry est pilote de l’Aéropostale en Argentine. Quand Henri Guillaumet, son meilleur ami et le meilleur pilote de la compagnie (peut-être de toute l'histoire de l'aviation), disparaît dans la cordillère des Andes, Saint-Ex décide de partir à sa recherche. Cette quête impossible l'oblige à se dépasser, en faisant de sa capacité à rêver sa plus grande force...
Certes, j’ai été déçue de ne pas suivre l’entièreté de la vie de Saint-Ex. J’espérais un plan séquence sur l’arboretum de Verrières-le-Buisson où il se promenait avec sa fiancée Louise de Vilmorin. On n’apprend rien de son activité littéraire mais on le voit régulièrement dessiner, griffonner serait plus exact. Il est amusant de se souvenir que trouvant les propositions des illustrateurs "trop bien" l'écrivain finira par exécuter lui-même ceux du Petit Prince qu'il voulait simples et maladroits comme un dessin d'enfant.

Cela étant le réalisateur nous offre un hommage vibrant à l'écrivain qui fut aussi un héros, comme Henri Guillaumet, dont on ne mesure pas assez le courage aujourd'hui et dont il faut savoir qu'il a effectué près de 400 fois la traversée de la Cordillère, ce qui lui vaudra le surnom d'ange de la Cordillère après la survie légendaire à son crash du vendredi 13 juin 1930.

Pablo Agüero partage son temps aujourd'hui entre l’Argentine et la France. Il est né en Patagonie en 1977, au pied de l'Aconcagua, à l'endroit même que Saint-Exupéry survola plusieurs jours à la recherche inlassable de son ami perdu. Après des études à l’école de cinéma à Mendoza (Argentine), il s’est présenté au festival de Toulouse et a décidé ensuite de rester en Europe. C’est après avoir vécu la deuxième moitié de sa vie en France que lui vint l'idée de retourner à la Cordillère des Andes pour filmer les aventures de Saint-Ex.

Il explique que Le petit Prince était le seul livre qui se trouvait chez lui quand il était enfant et combien ce conte philosophique l'a aidé à surmonter l'extrême précarité de ses conditions de vie, le poussant à bâtir son propre univers imaginaire, ce qui légitime totalement -si besoin était- son désir de lui dédier un long-métrage.

Il faut louer son travail de recherches préalables qui lui a permis d'apprendre que, des années avant d'écrire son best-seller, l'écrivain avait rédigé une nouvelle sur deux jeunes filles d'origine française qu'il appelait "les petites princesses d'Argentine", qu'il avait rencontrées suite à un accident d'avion et qui avaient comme mascottes... un renard et un serpent ! Il a ensuite découvert l’île aux oiseaux, et compris en quoi l'originalité de sa forme évoquant un chapeau inspira l'un de ses plus célèbres dessins. Enfin Juan Gualberto, le petit berger, qui sauva l'aviateur existe bel et bien. Il a été décoré par Jacques Chirac soixante-et-onze ans plus tard pour avoir retrouvé Guillaumet.

Si on connait ce contexte on comprend mieux qu'il ait cherché à faire un film poétique sous forme de conte dans l'esprit de Saint-Exupéry, ponctué d'indices qui seront le terreau, dix ans plus tard, de l'un des textes les plus universels de l'Histoire. On accepte alors de voir un héros décalé, éternellement enfantin, presque naïf, capable d'humour et de second degré, désinvolte et inconscient, mais flamboyant de courage qui est formidablement incarné par Louis Garrel, sans doute un de ses plus beaux rôles. Et on pardonne l'invraisemblance à tendre un croquis en plein vol par la porte ouverte pour signaler leur position à son ami pilote alors qu'il est dans la partie inférieure de l'avion collé à une otarie comme à une couverture chauffante (même s'il est exact que le poète garda cet animal dans une baignoire en région parisienne).

Il fait la paire avec Henri Guillaumet, un autre héros, très différent, plus viril, théoriquement infaillible qui lui aussi est parfaitement interprété par Vincent Cassel. L'homme était marié à une suissesse et bien entendu le charmant accent de Diane Kruger ajoute de la crédibilité au personnage. De même que sa coupe de cheveux, inspirée par l'élégance d'Anne Lindbergh, elle aussi aviatrice.

Ce qui est très réussi, outre la combinaison entre les faits réels et les indices auxquels je fais allusion ci-dessus c'est la bascule entre la toute puissance d'Henri et la fragilité d'Antoine qui va s'opérer après l'accident du premier, obligeant le second à devenir meilleur que le premier l'espace d'un moment. Cela nous donne une leçon de vie complémentaire.

Si le scénario écrit par Pablo Agüero est inspiré de la vie des protagonistes il a conservé beaucoup de citations au mot près. Il est exact que Saint-Exupéry disait J’ai volé parce que je te voyais voler, toi Henri Guillaumet. Et que celui-ci reconnaitra J’ai continué à marcher parce que je te voyais voler. La vertu de l'exemple et sa réversibilité a animé toute l'existence de Saint-Exupéry et de nombreux héros.

Les images de ciel sont au-delà du magnifique et très souvent on aimerait brandir une télécommande pour imposer la pause et profiter plus longtemps du blanc sur blanc d'une tempête de neige ou du bleu-gris pétillant d'une mer de nuages que le soleil du crépuscule incendie soudain de tons orangés... Mais on est au cinéma et le film continue de se dérouler. J'ai fugitivement pensé à une exposition de photos de ciels de Grégoire de Gaulle que j'ai vue récemment.

On ne peut qu'être admiratif de la volonté qu'il fallut à l'équipe technique pour surmonter pendant deux ans les températures en-dessous de zéro même si ce sont des drones qui ont fait l'essentiel du travail (d'ailleurs on n'aurait pas pu imaginer de telles prises de vue il y a plus de 15 ans). Ils ont sélectionné des images qui semblent irréelles et pourtant non, obtenues au lever et au coucher du soleil. On retrouve la qualité de la photographie qui valut à Claire Mathon un César pour Portrait de la jeune fille en feu, le film de Céline Sciamma avec qui elle a fit plusieurs films, également avec Maixen, Thierry de Peretti ou … Louis Garrel (Les deux amis en 2015).

Leur beauté et leurs couleurs contrastent avec les hangars qui sont englobés dans une sorte de noirceur romantique caractéristique des années trente, proche du "noir Soulages", profond, mais brillant et texturé, qui renvoie le reflet de la lumière. On s'accordera pour convenir que Saint-Exupéry est le héros romantique par excellence, tout autant capable de rêver que d'accomplir des exploits. La compétence des deux hommes à réfléchir comme des ingénieurs de grande école, imaginant un turbo-réacteur pour voler au-dessus de 4000 mètres, la création d'une piste d'atterrissage nocturne en suivant le feu des paysans comme les marins suivent les étoiles dans le ciel et même de nouvelles voies de passage entre les montagnes.

J'ai a contrario été un peu dérangée par le collage des prises de vue des pilotes dont on voit immédiatement qu'elles ont été tournées en studio. On se croirait revenu au temps des débuts du cinéma, quand Méliès expérimentait les premiers effets spéciaux en hommage aux voyages de l'impossible. S'agissant d'un film onirique le parti-pris de  Pablo Agüero se justifie totalement.

Il y a un autre "personnage" important dans ce film, c'est la musique, qui est signée de Christophe Julien. Il a créé des sons nouveaux en fusionnant des bruitages avec des instruments réels : le charango, minuscule guitare des Andes à 12 cordes, le thérémine, tout premier instrument électronique de l’histoire qu’on joue sans le toucher, et les ondes Martenot, instrument du début du XX° prisé par Olivier Messiaen. Cela permet de faire jouer un air inspiré de Bach à une éolienne, de faire rouler un train sur un rythme de tango, de faire chanter le vent des montagnes ...

Outre les références à Saint-Exupéry il y a peut-être aussi celle au Boréal-express que Chris Van Allsburg écrivit et illustra en 1986 et qui fut adapté au cinéma.

Pablo Agüero a eu la bonne idée d'écrire des paroles en français sur la musique métamorphosée d'un des premiers tangos de l'histoire, El Choclo, une chanson paillarde devenue un tube planétaire (interprété, notamment, par Nat King Cole). Il faut réécouter les paroles originelles :
Con este tango nacio el cielo y con un grito
Salio del sordido barrial buscando el cielo

Avec ce tango, le paradis est né et avec un cri
Il a quitté le quartier sordide à la recherche du ciel

Devenu Le temps des amants, il a proposé à Yseult de l'interpréter en jouant une chanteuse de cabaret et c'était une excellente idée d'oser métisser le tango argentin avec la variété française.

Je salue en conclusion l'oeuvre de Pablo Agüero qui parvient subtilement à nous montrer  ce qui a nourri l'imaginaire de Saint-Exupéry … dont l'écharpe flotte joliment dans le vent, quand bien même il n'est pas réaliste de filmer son visage impassible alors que la température est censée être voisine de -10° et que soufflent des vents violents. Il ne faut pas oublier que ces aviateurs risquaient quotidiennement leur vie dans des avions juste pour acheminer le courrier plus vite.

Il n'y a aucune fiction dans leurs performances. L'accident de Guillaumet est un fait historique et a bien eu lieu lors de sa 92ème traversée des Andes, aux commandes de son Potez 25, par une météo exécrable. Il opte de passer par le Sud et non par le Nord comme il était d'usage. Mais, à court d'essence il se pose en pleine tempête de neige aux abords de la Laguna Del Diamante. Il passera les deux premières nuits enveloppé dans son parachute, dans un abri qu'il a creusé dans la neige sous l'aile de son avion retourné. Puis, au matin du 3 ème jour, alors que le temps s'est calmé, il aperçoit dans le ciel un avion parti à sa recherche. Il tire une fusée de détresse mais l'avion continue sa route sans le voir. Il décide alors de partir à pied, après avoir inscrit sur la carlingue de son avion et comme le film en témoigne : N'ayant pas été repéré, je pars vers l'Est. Adieu à tous, ma dernière pensée sera pour ma femme. Il espère pouvoir effectuer les 60 km qui lui permettront d'atteindre la plaine. Malgré le froid et la fatigue il se force à ne pas s'endormir (pour ne pas mourir). Il sera découvert cinq jours et quatre nuits plus tard près d'un ruisseau par le jeune Juan Gualberto Garcia, qui avec sa mère, va le secourir.

Son exploit "impossible" donnera lieu à une phrase mémorable : Ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait. Saint-Exupéry la reprendra plus tard dans Terre des Hommes, dans lequel il relate l'aventure de son ami. Et pour redire combien leurs parcours sont parallèles, on peut souligner que lorsque fin décembre 1935, Saint-Exupéry s'écrasera dans le désert libyen en compagnie de son mécanicien, il marchera lui aussi dans la direction de l'est, celle de la vie, que Guillaumet suivit dans la montagne.

Saint-Ex de Pablo Agüero
Avec Louis Garrel, Diane Kruger, Vincent Cassel, Yseult … et la voix de Benoît Magimel
Directrice de la photographie Claire Mathon
Musique de Christophe Julien
En salles le 11 décembre 2024

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)