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mardi 17 décembre 2024

Les roses fauves de Carole Martinez

J’avais envie de lire Les roses fauves parce que j’apprécie le style de Carole Martinez mais je n’avais pas encore concrétisé l’intention. Avoir entendu l’auteure en lire de larges extraits à l’occasion du Salon du Livre Merveilleux de Châtenay-Malabry a précipité ma lecture.

Je vous souhaite d’avoir, vous aussi, un jour l’occasion de vivre un moment d’une telle magie. Certes, la présence de Karine Herrou Gonzalez, danseuse de flamenco, et du guitariste Cristóbal Corbel, a largement contribué à créer l’atmosphère adéquate. Ce n'est pas un hasard si une voix flamenca chante sur le chemin (p. 89).

Je salue le travail de ce trio qui mériterait totalement d'être à l'affiche d'une petite salle parisienne. D'abord parce que l'auteure a été comédienne et interprète donc admirablement les dialogues de son livre, écrit dans une forme de prolongement de l'immense succès de son premier ouvrage, Le coeur cousu, publié en février 2007, mais dont la lecture peut tout à fait être indépendante.

On apprend d’ailleurs dans celui-ci que le titre de son premier roman fut une idée de son éditeur, et sans aucun rapport avec la tradition dont il va être question dans Les roses fauves (p. 52).

Elle rencontre Lola à l’occasion d’une résidence d’écriture, dans un petit village breton. Elle vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, et se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs.

Son héritage est composé d’une boiterie qui l’a longtemps tenue à l’écart, d’une armoire de noces bretonnes ornée de roses de bois sculptés et de cinq cœursbrodés par des femmes de sa lignée espagnole, quand elles ont senti la mort venir et gonflés de bouts de papier sur lesquels étaient écrits leurs secrets. Une coutume andalouse veut qu’on se les transmette de mère en fille aînée, toutes prénommées Dolorès, sans jamais les découdre ni en lire les papiers qu’ils emprisonnent … à moins que l’un d’entre eux ne se rompe sans aide extérieure. Je suis la gardienne d’une histoire que j’ignore et qui ne m’appartient pas. L’origine de la douleur s’est perdue (…), et trouve sa réponse, peut-être, dans le coeur déchiré (p. 70).

La construction adoptée par Carole Martinez alterne les réflexions intérieures de l’auteure sur le processus créatif, les dialogues avec Lola la postière, détentrice des cœurs et la retranscription de leur contenu, autorisant une dimension surréaliste proche du conte pour répondre à la question de savoir si nous sommes écrits par ceux qui nous ont précédés.

Je crois aux histoires de famille, à leur capacité à nous hanter (p. 55). Le lecteur hésite néanmoins à prendre cette fable pour argent comptant mais l’auteure a tout de suite justifié sa position : Un roman n’est pas une mensonge puisqu’il ne se présente pas comme la vérité, même s’il s’en donne les apparences (p. 67). Elle insiste même : Contrairement à Lola je ne pense pas qu’il y ait une frontière nette entre la réalité et la fiction. Le roman surtout nous entraine sur des territoires flous, il occupe les lisières (p. 97).

Boiter fut longtemps interprété dans les campagnes comme un signe de pacte diabolique. Un vieil homme considère que les boiteuses ont un pied en enfer et, au moindre faux pas, elles entraînent les gens dans le malheur. C’est de passer le seuil trop souvent entre la vie et la mort qui leur donne cette démarche. Elles savent faire ça. Revenir chez les vivants pour les faire chier (p. 306). Et le fait que Lola se soit quasiment métamorphosée en une très belle femme renforce l’animosité.

On comprendra au fil des pages que Lola est au carrefour de son histoire familiale et de celle du village, au carrefour des vivants et des morts, là où s’épanouissent les roses fauves et les douleurs anciennes, là où ces fleurs se gorgent de sang et de désir (p. 320).

C’est devenu obsessionnel pour l’auteure qui ne demande même pas à Nelly comment ces roses ont pu sortir de mon roman et arriver chez elle (…) cette terreur que j’éprouve face à quelques roses en bouquet (p 304). On comprend que le passé opère des résurgences. On croit que tout s’oublie mais “des rhizomes ont creusé l’inconscient collectif “(p. 320). Ces phénomènes sont d‘autant plus naturels pour Carole Martinez que sa grand-mère l’a élevée dans un monde magique (p. 321).

Née en 1966 en Moselle, Carole Martinez est devenue professeur de français après des études de lettres. Elle a enseigné en France, en Espagne et en Irlande. En 2005, elle a profité d’un congé parental pour se lancer dans l’écriture, inspirée par les contes que lui racontait sa grand-mère.

Son premier roman, Le coeur cousu (2007) situe l’action dans un village andalou imaginaire et suit les aventures de Frasquita, une couturière aux pouvoirs magiques. Ce livre reçoit de nombreux prix, dont le Prix Renaudot des lycéens et le Prix Ulysse.

En 2011, elle publie Du domaine des murmures, une histoire se déroulant au XII° siècle, qui lui vaut le Prix Goncourt des lycéens et qui fut brillamment adapté au théâtre cette année. La Terre qui penche (2015) sera lui aussi autant imprégné de réalisme que de fantastique. Après Les roses fauves, son dernier ouvrage, Dors ton sommeil de brute (2024), sera sélectionné pour plusieurs prix.

Elle est également scénariste pour le cinéma et la télévision, et écrit des pièces radiophoniques pour France Culture. Son style d’écriture, marqué par une grande sensibilité et une imagination fertile, aborde des thèmes universels tels que l’amour, la quête d’identité et les relations familiales. 
Bla

Les roses fauves de Carole Martinez, Gallimard, 20 août 2020
Sorti depuis en édition Poche

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