Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 30 novembre 2023

Dégustation de Crus de la Vallée du Rhône de la Maison Vidal-Fleury

(Mise à jour 3 décembre 2023)
Antoine Dupré, directeur depuis 2020 de la Maison Vidal-Fleury, avait donné rendez-vous à La Bonne Franquetteà un petit groupe, pour découvrir les derniers millésimes, la veille de l’ouverture du Grand Tasting Paris 2023, organisé par Bettane + Desseauve au Carrousel du Louvre.

La tranquillité et l’authenticité d'un cadre comme ce bistrot emblématique de Montmartre où j’étais venue il n’y a pas longtemps, pour la remise des Prix Pudlo, convenait parfaitement pour approcher plusieurs crus de cette maison qui est la plus ancienne maison de la vallée du Rhône, encore en activité. Elle se dresse au cœur du prestigieux vignoble de Côte-Rôtie, à 30 km au sud de Lyon, sur les bords du Rhône.

Fondée en 1781, elle propose l’une des plus larges gammes de Crus de la Vallée du Rhône, dont elle est spécialiste, avec une vingtaine d’appellations parmi les plus prestigieuses de cette Vallée, aussi bien en Blancs qu’en Rouges et même Rosés. Tous se rassemblent derrière une unicité de design dans l’étiquetage, présentant systématiquement le blason comportant le bleu de la maison depuis sa création, l'ancre qui évoque le Rhône, l'outil avec lequel on déserte la Côte-rotie, et en bas, ce fameux vignoble stylisé et arrosé par un soleil ardent.

S’agissant des Blancs, quatre appellations étaient proposées :
- Un Crozes-Hermitage blanc 2021 (Marsanne 95% et Roussanne 5%), que je déguste en premier lieu et apprécie pour robe jaune pâle avec des éclats dorés, la fraicheur de son nez, son parfum, ses arômes de fleurs blanches avec des notes de melon blanc et de poire et sa finale citronnée. Je l’associerai dans quelques jours avec un saumon rôti aux épices.
- Un Saint-Joseph blanc 2022 (Marsanne 70% et Roussanne 30%), plus aromatique encore que le précédent. Cette appellation se développe sur une succession de terrasses granitiques qui surplombent le fleuve sur une cinquantaine de kilomètres. Elle aussi jaune pâle avec des reflets dorés. Le nez révèle des arômes de nectarines et d’écorces d’orange. L’élevage en fûts de chêne donne de la complexité au bouquet avec des notes de fruits secs et de noix de coco. Le milieu de bouche présente un bel équilibre et la finale est remarquable sur des notes fraiches et épicées.
- Un Condrieu 2021 (Viognier 100%) bien entendu exceptionnel, comme tous les vins réalisés avec ce cépage unique qui lui confère une belle acidité naturelle et une complexité aromatique intéressante. Son nez est frais et fruité mêlant touche florale et note de fruits à coque (noisette, amande). Sa bouche, vive puis structurée, est dominée par des arômes d’abricot et de pêche. La persistance aromatique garantit une belle longueur alors que la finale arrive tout en douceur.
Le Condrieu est l’un de ces vins qui est entré dans le Top Ten de mes préférences dès l’instant où je l’ai découvert pour la première fois. Je l’ai choisi ici pour accompagner l’entrée à cause de la présence du bleu, et sachant qu’il supporterait la vinaigrette.
- Un Saint-Péray 2022 (Marsanne 100%) que je n‘ai alors pas goûté, parce que je savais que plusieurs Rouges attendaient.

S’agissant des Rouges, sept appellations étaient proposées :
- Un Chateauneuf-du-pape 2020 (Grenache 85% , Syrah 10% et 5% Mourvèdre) que je n’ai pas dégusté
- Un Gigondas 2020 (Grenache 75%, Syrah 10% et Mourvèdre) aux superbes arômes de fruits noirs
- Un Crozes-Hermitage rouge 2022 (Syrah 100%), un peu moins puissant que le précédent
- Un Saint-Joseph rouge 2020 (Syrah 100%), pour qui aime les vins tanniques
- Un Cornas 2020 (Syrah 100%), qui est un vin que je ne connaissais pas. Les vignes poussent sur du granit et le vin exprime en conséquence une forte minéralisé. On peut dire qu'il a du mordant.
- Un Côte-Rotie Brune & Blonde 2020 (Syrah 95%, Viognier 5% pour lui conférer du soyeux)
- Un Côte-Rotie Côte Blonde La Chatillonne 2018 (Syrah 88%, Viognier complanté 12%)
Comme "toujours", nous avons procédé classiquement par cette dégustation à l’horizontale avant de dîner en nous focalisant sur une seule appellation, la plus noble, véritable étendard de la maison, la Cote-Rotie Côte Blonde La Chatillonnedans trois millésimes 2017, 2007 et 2006 car ce vin a de très belles possibilités de garde.

mercredi 29 novembre 2023

Là personne de Geoffrey Rouge-Cassarat

Comme je suis heureuse d'avoir pu assister à la Première de Là personne de Geoffrey Rouge-Cassarat au théâtre de l'Etoile du Nord, à Paris.

Seulement deux représentations sont programmées ce soir et demain, suite à l'annulation de dernière minute d'un autre spectacle si j'ai bien compris. Alors, forcément, il n'y a pas eu une communication de grande ampleur ni de longue durée sur l'événement et c'est regrettable. mais ce n'est que partie remise et je le défendrai autant demain, dans un mois, dans un an, dans dix ans …

Si vous avez lu un peu vite, un peu distrait, le titre de cette dernière création, vous n’aurez pas remarqué cet accent grave qui change tout. L'artiste a une sensibilité à fleur de peau qui se manifeste par de tous petits détails d’une précision chirurgicale. 

Croyez-moi, passer plus d’une heure les yeux dans les yeux avec lui modifie votre perception. Les codes du théâtre sont inversés dans la première partie du spectacle : l’homme arrive sur la scène, avec son légendaire pull-over rouge, dans une totale décontraction et nous parle comme si nous étions ses bons copains. On pourrait presque jurer qu’on discute avec lui tant il encourage nos haussements de sourcils, nos rires. On est sur la même longueur d’ondes. On est d’accord pour reconnaître que vivre sa vie et ses rêves … Meryl Streep n’a pas osé le faire (dans le film Sur la route de Madison). Elle est restée dans sa maison à plier du linge. Et on attend de lui qu’il nous explique pourquoi on ne choisit pas ce qui nous rend heureux. 

La conversation amicale est suspendue sur cette question. Les différentes réponses possible vont alors nous être non pas données mais offertes et nous les comprendrons parce que, à l’instar d’un mentaliste, Geoffrey a réussi à mettre notre cerveau en condition de les entendre et de les voir. 

Au début, nous aurons la certitude d’être face à un mur. C’est oublier le pouvoir de l’imagination et nous passerons un long moment dans le jardin de la maison qu’il a construite lui-même de ses mains. Et quand nous serons invités à entrer ce sera pour partager le plus profond de ses pensées. 

Certains repéreront des accents de délire paranoïaque, typiques d’une schizophrénie, les signes d’une douloureuse dépression, des preuves de bouffées maniaques, une escalade dans les hypothèses surréalistes alors que la logique échappe à toute logique. 

Le travail sur les lumières est précis, élégant et de toute beauté. Le soin apporté à la sonorisation de la voix du comédien et aux bruits d’ambiance est absolument remarquable (et vous savez combien j’exècre les micros HF qui d’ailleurs ne sont pas utilisés ici). 

Le tableau final est époustouflant. Je ne vais rien dévoiler évidemment si ce n’est qu’il peut faire référence à l’univers de Stephen King. 
Après les saluts, on ne quitte pas tout de suite le théâtre. On a besoin de féliciter l’artiste (qui conjure son émotion en multipliant les grimaces parce que le sérieux n’est que dans son travail) et son équipe. De les remercier de nous avoir ouvert les yeux et affûté les oreilles sur ce qu’il y a de plus essentiel … rêver !

Ça tombe bien, le bar est ouvert et on reste longtemps à discuter les uns avec les autres. L'Étoile du Nord est une scène pour la jeune création danse-théâtre-littérature et Geoffrey Rouge-Cassarat y est en résidence.

D'abord formé au Conservatoire de Lyon, il est entré à 17 ans au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, dans les classes de Daniel Mesguich, Xavier Gallais et Stuart Seide. Son premier texte, Y’a pire, faut pas s’plaindre !, a été primé par Artcena. En 2017, il fonde la Compagnie La Gueule Ouverte. Entre 2018 et 2021, il écrit, met en scène et interprète trois spectacles seul-en-scène : Conseil de classe, Roi du silence et Dépôt de bilan que j'ai tous vus au festival d'Avignon et qui m'ont bluffée tant il parvient à être lui-même et pourtant différent de l'un à l'autre en les enchainant dans un triptyque dont j'avais salué la performance en me jurant de ne jamais plus manquer une seule de ses créations. En 2022, il est auteur en résidence à La Chartreuse.

Titulaire du Diplôme d’État de professeur de théâtre et d’un Master de création littéraire, il est actuellement doctorant du programme SACRe (Sciences Arts Création Recherche) au CNSAD et travaille sur des dispositifs théâtraux ludiques qui offrent à l'acteur.trice une certaine jouabilité : Terrain Vague (2021), Gilgamesh Variations (2022) et Grand-Chose (2022).

Avec Là personne il a voulu travailler sur une expérience de suspense et comme c'est réussi !

Là personne de et avec Geoffrey Rouge-Cassarat
A 20 heures les Mercredi 29 et jeudi 30 novembre 2023
Théâtre de l'Etoile du Nord
16 rue Georgette Agutte 75018 - Paris 01 42 26 47 47
contact@etoiledunord-theatre.com

mardi 28 novembre 2023

Il est interdit de vieillir de Henri Gruvman

Il est interdit de vieillir annonce Henri Gruvman en nous démontrant l’exact inverse sur la scène du Studio Hébertot après avoir joué ce même spectacle fin septembre au théâtre de l’Epée de bois.

Vieillir oui, bien sûr, car nous sommes tous confrontés à cet inéluctable naufrage comme s’en plaignait le général de Gaulle.

Alors autant le faire avec panache et poésie, ce que cet auteur s’emploie à démontrer. C’est lui qui a concrétisé en france le concept de ciné-théâtre. Non seulement il assume ce qu’il a déjà fait mais il prend appui sur les films qu’il a tournés pour aller plus loin, poursuivre le chemin et continuer à nous faire rêver. 

Il danse joliment la salsa et s’adresse particulièrement aux amoureux du théâtre mais il convaincra aussi eux qui n’ont pas la culture ou le recul pour en apprécier toute la subtilité parce que cette problématique du vieillissement est universelle, et que la pièce bouscule cette idée en invitant le spectateur à revoir sa vie à l’aune de sa créativité et de son imagination en effectuant un voyage entre théâtre et cinéma.
Comédien, metteur en scène et auteur, Henri Gruvman combine depuis 50 ans ces différentes activités. Il a commencé sa carrière à la Cartoucherie de Vincennes avec le collectif du Théâtre de L’Aquarium dont il fut membre co-fondateur, Quittant le groupe, il va surtout se faire connaître par ses spectacles de Ciné-Théâtre. Il a ainsi créé "Grugru 1er" au Festival d’Avignon. Trois autres versions ont suivi qui lui ont permis de sillonner le monde et les plus grands Festivals de théâtre et de cinéma.

Ce personnage inspiré par Keaton, Tati et Chaplin était muet ... Il revient avec lui quelques 30 ans plus tard... Mais cette fois il parle… La combinaison magique du cinéma et du théâtre régénère l’homme âgé qui reprend les habits de sa jeunesse, joue avec les mots avant qu'ils ne se jouent de lui, et s’invente une nouvelle langue qui devient une sorte de grommelot russophone qu'il nous livre à qui vieux vieux.

Son cerceau fait office de loupe et il provoque les rires très souvent en jouant avec son ombre. L'homme est tour à tour sérieux et clown, persuadé qu'on peut arrêter le temps en racontant des histoires, souvent teintées de surréalisme, ce qui serait selon lui de la théatrothérapie.

Pour peu qu’on accepte de le suivre dans ses souvenirs on traversera le quatrième mur pour voyager en sa compagnie au bord de la mer. Il y a de la créativité, beaucoup de sensibilité, un soupçon d’humour pour démontrer qu'on n'est pas sérieux quand on a 77 ans. On y percevra aussi de la nostalgie. Si vous avez du mal à imaginer le résultat, c'est logique. Il se raconte mal, il faut en goûter un extrait :
Il est interdit de vieillir de et avec Henri Gruvman
Les mardis et mercredis à 21h 00 jusqu'au 7 Février 2024
Au studio Hébertot - 78 boulevard des Batignolles - 75017 Paris

lundi 27 novembre 2023

Valse russe de Nicolas Delesalle

Je n’avais pas lu un roman de Nicolas Delesalle depuis Le goût du large, publié en 2016. Et j’ignorais tout de ses origines russes.

Je ne m'étais pas arrêtée ni sur son prénom, qui évoque la Russie, ni sur cette phrase de Mme de Staël qu'il citait dans ce livre : les Russes n’atteignent jamais leur objectif : ils le dépassent (p. 68).

Valse russe est un récit à trois temps, celui d’un vieil Ukrainien qui doit surveiller un prisonnier russe, celui d’un Français (l'auteur) plongé au cœur du conflit sur la terre de ses ancêtres russes, celui enfin de l’enfant en lui qui cherche à comprendre cette terre à travers la mère qui en a fait la sienne. Il en résulte un texte aussi percutant qu’envoûtant, une quête des origines qui offre le monde.

L'auteur exprime avec honnêteté la dualité à laquelle il doit faire face. Il ne recule pas à fair une déclaration d’amour pour sa mère, pour la Russie telle qu’il aimerait qu’elle soit, mais pas comme elle est et enfin pour les ukrainiens car il prend des risques depuis le début de la guerre pour raconter leur histoire (pour Paris Match) et relater ce qu’ils traversent. Mais très vite il reconnait le paradoxe.
J’étais fier de mes origines. Je ne me suis pas rendu compte avec la guerre de l’Afghanistan, ni avec le conflit tchétchène, j’étais trop jeune. Mais en couvrant la guerre en Ukraine j’ai vu les résultats concrets de la politique russe, et pour la première fois j’ai eu honte de mes origines, et donc de ma mère car elle a passé sa vie à tenter de prouver combien les russes méritaient d'être salués et là ça s’effondrait. Il a fallu que j’écrive cette honte, pour la partager.
On sent combien il a le sentiment de se trouver dans une guerre dont il a honte, dont il se sent en partie coupable, alors qu'il ne veut pas pour autant étouffer les sentiments qu'ill ressent.

De sa mère, prof de russe, il avoue être son pire cauchemar, oubliant le vocabulaire plus vite qu’il ne l’apprend. Il nous la décrit "terriblement tête en l’air à tel point qu’elle est capable d’oublier qu’elle est en colère". L'épisode de l'oubli des bagues sur le toit de la voiture (p. 100) est désopilante.Elle est née à Paris de parents russes blancs émigrés de la révolutions de 1917. Elle croit que les Russes de Russie sont presque normaux, en tout cas juste assez normaux pour ne pas avoir envie de détruire le monde même s’ils ont beaucoup souffert après 70 ans de communisme (p. 27).

Nicolas Delesalle voudrait bien avoir les mêmes illusions mais en voyant un chauffeur russe dégeler le réservoir de son camion au chalumeau il a compris que les Russes avaient non seulement une autre manière de réfléchir que les Français mais aussi des notions de sécurité très relatives (p. 58).

En fait le Russe ignore les risques. Il nous le démontre à plusieurs reprises et c'est en partie ce qui rend "acceptable" l’équipement dérisoire des recrues Wagner parmi les prisonniers (p. 76) et qui alimente son dégoût : Ces soldats russes mal, si mal préparés, si mal commandés, et qui se font massacrer dans un terrible tir aux pigeons au nord de Kiev (p. 90) (…) dorénavant il me sera difficile d’être fier de mes origines.

A le lire on comprend que l'écriture de cet ouvrage était indispensable pour tenter de gagner une forme de paix, une fois acceptés le désenchantement et le renoncement. Cet ouvrage apporte un regard légèrement décalé sur ce conflit qui fait chaque soir la une des journaux télévisés et dont l'issue est incertaine.

A titre plus dérisoire, j'ai été amusée de lire l'anecdote de la confusion entre scotch et whisky (p. 124) qui me montre qu'il n'y a pas qu'à mon père que c'est arrivé, comme je le racontais dans cette nouvelle.

Valse russe de Nicolas Delesalle, Jean Claude Lattès, août 2023

dimanche 26 novembre 2023

Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Les derniers mois, exposition au Musée d’Orsay

Quel bonheur de retourner au Musée d'Orsay, cette fois pour une exposition temporaire, sans repasser par les collections permanentes dont vous retrouverez un aperçu ici.

Elle est organisée par l’Établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie de Paris et le musée Van Gogh d’Amsterdam qui l'a présentée du 12 mai au 3 septembre 2023, pour marquer son 50e anniversaire. Elle s’appelle sobrement Van Gogh à Auvers-sur-Oise, Les derniers mois.

Aucune exposition n’avait encore été consacrée exclusivement à ce stade final, pourtant crucial, de la carrière de Van Gogh (1853-1890). Durant les deux derniers mois de sa vie, du 20 mai au 29 juillet 1890, à Auvers-sur-Oise, près de Paris, le peintre a produit le nombre phénoménal de 74 tableaux (soit plus d'un par jour) et 33 dessins, parmi lesquels des œuvres iconiques comme Le Docteur Paul Gachet, l'Eglise d'Avers-sur-Oise ou encore Champ de blé aux corbeaux.

Riche d’une quarantaine de tableaux et d’une vingtaine de dessins, l’exposition met en lumière cette période dans un propos thématique : premiers paysages figurant le village, portraits, natures mortes, paysages de la campagne environnante. Elle présente aussi une série, unique dans l’œuvre du peintre, des tableaux absolument éblouissants d’un format allongé en double carré.

Je veux insister sur la qualité des éclairages conçus par le studio 10–30, Léopold Mauger qui a effectué un travail remarquable, dépassant de loin tout ce que j'ai vu jusque là.

Arrivé à Auvers-sur-Oise le 20 mai 1890, Vincent Van Gogh y décède le 29 juillet à l’auberge Ravoux des suites de sa tentative de suicide deux jours plus tôt en se tirant une balle dans la tête en plein champ. Bien que le peintre n’ait passé qu’un peu plus de deux mois dans le village, cette période voit un renouveau artistique, avec un style et un développement propres, marqués par la tension psychique née de la nouvelle situation mais aussi par la création de quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre.

Tous les tableaux présentés ici étant de Van Gogh, je ne mentionnerai donc pas son nom dans chaque légende. Le premier est très connu. C'est le Portrait de l'artiste1889, huile sur toile, Don Paul et Marguerite Gachet, 1949, appartenant au Musée d’Orsay. Ce tableau, réalisé à Saint-Rémy en septembre 1989, est l’avant-dernier de ses 43 autoportraits, peints ou dessinés. Il fait pendant au fameux portrait du Docteur Gachet, peint en juin 90 (non photographié).

Cadré en buste, l'artiste se présente en veston, et non avec l'habituelle vareuse de travail. Tout concentre l'attention sur le visage. Ses traits sont durs et émaciés, son regard cerné de vert paraît intransigeant et anxieux. La teinte dominante, vert absinthe et turquoise clair, trouve son contrepoint dans sa couleur complémentaire, l'orangé feu, de la barbe et des cheveux. A l'immobilité du modèle s'opposent les courbes ondulantes de la chevelure et de la barbe, qui trouvent un écho amplifié dans les arabesques hallucinatoires du fond.

Durement éprouvé par les différentes crises subies à Arles puis dans l’asile de Saint-Rémy, Van Gogh se rapproche de Paris et de son frère Theo pour trouver un nouvel élan créatif. Le choix d’Auvers tient à la présence du Dr Gachet. Médecin homéopathe s'intéressant à la chiromancie, sa véritable passion le portait vers les arts. Il entretenait des relations avec une multitude d'artistes, parmi lesquels Manet, Monet, Renoir et Cézanne. C'est donc naturellement que Van Gogh se présenta chez cette personnalité originale au lendemain de son internement à Saint-Rémy-de-Provence, sur les conseils de son frère Théo. Spécialisé en psychiatrie, il aida de son mieux Vincent à vaincre ses angoisses tout en lui offrant un confort matériel propice à l'épanouissement. Malgré son dévouement, il ne pourra empêcher le geste irrémédiable de Van Gogh, qui devait bientôt se donner la mort.

Il aura été son médecin, un ami, un frère, et l’encouragea à travailler l’eau-forte. Lui-même était graveur, sous le pseudonyme de Paul Van Ryssel et ses gravures sont exposées dans la salle bleue. 

Van Gogh s’était installé au centre du bourg, dans l’auberge Ravoux. Il se jeta dans le travail pour oublier son mal être. On sent la nervosité et la rapidité des traits dans ses dernières toiles. On pourra admirer des tableaux peu connus, superbes, souvent étonnants, rarement signés. Comme celui-là :
Pieta d’après Delacroix, venue d’Amsterdam, peinte en septembre 89.
Les vaches (d'après Jordaens) 1890, huile sur toile, Lille, Palais des Beaux-Arts, dépôt du musée d'Orsay 
Ce tableau est un exercice d'inteprétation d'après une gravure du Dr Gachet de 1873, d'après des croquis dessinés dans les salles du musée de Lille devant "Etudes de vaches" de Jacob Jordaens (1593-1678)  Gravure donnée en même temps que la toile de Van Gogh)

samedi 25 novembre 2023

Quand Toyota s’appuie sur la notoriété d’un chef étoilé pour promouvoir son image de marque

Les plus âgés d’entre nous se souviennent sans doute de l’intérêt pour les spots publicitaires automobiles qui enthousiasmaient les téléspectateurs (et même les cinéphiles parce que dans les années 80 ils se montraient sur grands écrans).

On a connu les Chevrons Sauvages, l’AX sur la Muraille de Chine, la Visa GTi sur le porte-avions Clemenceau, la CX avec Grace Jones ...

Renault, en 1989, demandait à Sergio Leone d’imaginer un film à la gloire de la R19. On y voyait quatre de ces voitures arrimées aux piliers d’un pont pour le retenir de s’écrouler le temps de permettre à un troupeau d’éléphants de traverser la rivière.

Plus modestement, ce même constructeur communiquait sous forme de dessin animé pour la R5. Cette petite citadine d'entrée de gamme surnommée la sorcière allait devenir l'auto que tout le monde voulait avoir, talonnée par la Polo, capable de tout transporter avec l’opiniâtreté d’une fourmi.

Volkswagen visait elle aussi une population économe et modeste à travers la campagne "Think small". D’autres marques automobiles affichaient la démesure, comme la Peugeot 206 dans le spot intitulé "Le sculpteur" et se déroulant en Inde. Un jeune homme cassait ses pare-chocs en rentrant dans les murs en avant, puis en arrière. Il demandait ensuite à un éléphant de s’asseoir sur le toit de sa voiture. Sa conduite semblait absurde jusqu'à ce qu'on comprenne qu'il avait transformé et customisé son auto pour la faire ressembler le plus possible à la 206.

Les temps ont changé. Depuis le 1er mars 2022, les publicités des véhicules doivent inciter le grand public à privilégier le covoiturage, les transports en commun et les autres mobilités douces et actives, à l’instar des messages typiques "Mangez cinq fruits et légumes par jour", "Evitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé" ou encore "Pratiquez une activité physique régulière" qui figurent sur les publicités de l’industrie alimentaire.

Désormais, les publicités des véhicules devront intégrer les messages suivants :"Pensez à covoiturer", "Au quotidien, prenez les transports en commun", "Pour les trajets courts, privilégiez la marche et le vélo". La mention #SeDéplacerMoinsPolluer devra également figurer sur tous les supports (sauf la radio). Voilà pourquoi je la mentionne en fin de publication bien qu’il ne s’agisse aucunement d’une communication publicitaire. Tous les constructeurs automobiles qui ne suivront pas cette nouvelle règle, s’exposent à une mise en demeure, suivie d’une amende pouvant aller jusqu’à 50 000€ par diffusion, et même jusqu’à 100 000€ en cas de nouveau manquement.

Forcément, les codes changent et réussir à susciter l’attention sans se faire dénigrer est devenu très complexe. Comment alors rajeunir sa clientèle sans perdre pour autant les fidèles ? C’est l’objectif de Lexus d’être vue plus accessible financièrement avec son nouveau petit SUV compact hybride LBX.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, Lexus est la division haut de gamme du japonais Toyota, créée en 1989, dont le siège mondial est situé à Aichi, au Japon et qui possède des quartiers généraux à Bruxelles en Belgique et à Plano au Texas.

vendredi 24 novembre 2023

Denali de Nicolas Le Bricquir

Il y a des spectacles qu’on aime et dont on ne garde pourtant aucun souvenir. Il y en a d’autres qui marquent à vie. Denali est de ceux-là. Je ne peux pas imaginer qu’il laisse qui que ce soit indifférent.

Pour le sujet, qui témoigne (c’est bien le mot qui convient) de la perte de repères engendrée par l’usage abusif des réseaux sociaux. Pour l’interprétation au cordeau par de jeunes comédiens (donc ultra prometteurs). Pour la mise en scène originale mais toujours à bon escient. Pour l’audace de cette équipe qui doit être félicitée et encouragée à continuer de nous surprendre, de nous interroger et de nous faire vibrer.

Denali est une œuvre de fiction inspirée de faits réels. C’est clairement affiché sur la scène. Voilà qui nous permet de prendre un peu de recul parce que les faits qui vont se dérouler sous nos yeux, en direct, vont être violents, même si nous ne verrons pas une goutte de sang, je rassure les âmes sensibles.
Le mardi 4 juin 2019, Cynthia Hoffman, 19 ans, est retrouvée morte, ligotée et bâillonnée dans la rivière Eklutna en Alaska. Elle a été abattue d’une balle dans la nuque. Les derniers à l’avoir vue sont Denali Brehmer, 18 ans, et Kayden McIntosh, 16 ans. En les interrogeant, les détectives Jessica Hais et Lenny Torres vont mettre à jour une sordide histoire.
A la fin j’hésiterai à prendre parti quant à la culpabilité des adolescents. Ne seraient-ils pas autant victimes que coupables ? Et qui devrait assumer alors la responsabilité de leurs actes ? La faute à notre société, aux parents ? A un défaut d’éducation ? A une surutilisation des réseaux sociaux ? En tout cas leur perte de repères est tragique et on aimerait que ce fait divers ne se répète pas.

La forme est d’une vraie originalité qui a été choisie pour mieux marquer l’esprit du spectateur. On hésitera à parler de théâtre et pourtant c’en est tout à fait. La scénographie intègre les codes de la série policière, en parvenant à projeter le générique, le résumé des épisodes précédents, et bien évidemment de véritables images d’archives à la fin du spectacle. On pourrait penser à un documentaire mais il n’y a aucune vidéo. Toutes les scènes sont jouées en réel. Le public est quasiment face à une illusion d’optique comme si ce qui nous apparait n’était pas réel.

Tout s'enchaîne à un rythme fou. On ne zappe pas une miette de chaque reconstitution. On perd vite la notion du lieu, du temps, et par voie de conséquence de la réalité, … un peu à l’instar de cette jeunesse qui ne voit plus la frontière entre le bien et le mal, le permis et le tabou.

Les paroles des chansons que nous entendons (et dont nous reconnaissons plusieurs titres) défilent sur un banc-titre. Nous ne pouvons pas détourner les yeux de ces textes provocateurs, qui paraissaient inoffensifs tant que nous étions protégés de leur signification par l'emploi de la langue anglaise.

Il faut remercier Nicolas Le Bricquir, auteur et metteur en scène, de nous offrir un moment de thâtreé de cette ampleur et de nous ouvrir les yeux -et les oreilles- sur cette jeunesse qui erre dans un monde d’apparences, façonné par leurs smartphones. L’histoire de jeunes qui se construisent dans le regard des autres, par écran interposé, avec pour seul but : être riches et célèbres, puisque c’est ça, réussir. À tout prix, jusqu'à commettre l'irréparable.

Denali a été créé dans le cadre du Concours Jeunes Metteurs en Scène 2021 au Théâtre 13. Il a remporté à l'unanimité le Prix du public, ce qui lui permit d'être ensuite accueilli en résidence au Centquatre-Paris en février 2022 pour le retravailler afin de l'amener plus loin dans son esthétique et son écriture. On ne s'étonnera pas que la forme actuelle ait été un succès au dernier festival d'Avignon.

On lui souhaite de surprendre longtemps tous les publics.
Denali de et mis en scène par Nicolas Le Bricquir
Avec Lucie Brunet, Lou Guyot, Caroline Fouilhoux, Jeremy Lewin, Lauriane Mitchell, Guillaume Ravoire
Assistante à la mise en scène Charlotte Levy
Musiques Louise Guillaume
Au Studio Marigny
Carré Marigny, à l'angle de l'avenue des Champs-Élysées et de l'avenue de Marigny, 75008 Paris.
du 17 novembre au 31 décembre 2023
du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 16h
La photo qui n'est pas logotypée A bride abattue est une photo de répétition réalisée par Louise Guillaume

jeudi 23 novembre 2023

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée

Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée est typiquement le spectacle dont on ne peut faire que des compliments.

Le texte et l’interprétation sont très justes. Les costumes élégants. Même si nous sommes davantage dans une cave que dans un grenier les vieilles pierres de ce cadre naturel composent un décor qui convient à merveille.

La pièce d’Alfred de Musset est intemporelle puisque le thème est la naissance du sentiment amoureux et sa déclaration.

Le seul bémol serait peut-être sa brièveté mais l’équipe artistique a trouvé une parade en demandant à Isabelle Andréani de créer une brève « comédie- proverbe » dans son contexte le plus intime en regardant l’auteur par le trou d’une serrure, comme une petite souris...

Après s’être plongée dans le secret de sa vie, tumultueuse et mouvementée, elle a imaginé que ses deux serviteurs pourraient témoigner de son quotidien, de ses tourments, de ses amours et leur a accordé le droit de commenter ses œuvres. Comme l’explique le cocher, quand on fait ce métier on attend beaucoup, ce qui laisse du temps pour lire. Ainsi, au fil de ses découvertes avec la servante il va découvrit qu’il ont une passion commune pour les livres, les poèmes et les pièces d’Alfred de Musset. Ils pourront même donner, à travers certains extraits de ses écrits, tout l’éventail de son style. Et nous assisterons aux prémices de leur connivence alors qu’ils font un décryptage croustillant des amours de leur patron avec Georges Sand. 

Placée en « lever de rideau », La clef du grenier d’Alfred nous donne les éléments de compréhension de l’œuvre de l’écrivain en révélant certains de ses secrets... avant d’enchaîner avec la pièce proprement dite.
À Paris, en septembre 1851, la servante et le nouveau cocher de la maison pénètrent dans le grenier d’Alfred de Musset pour récupérer les harnais du coche... C’est alors qu’ils découvrent des textes inédits et le récit d’anecdotes piquantes qui vont bientôt les conduire à jouer eux-mêmes Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée et progressivement se déclarer de façon singulière leur amour...
Il y a beaucoup de fantaisie dans cette pièce qui procure sans nul doute un grand plaisir aux deux comédiens. Leur connivence est savoureuses. Les dialogues sont une suite de réparties souvent très drôles.  Les batailles de mots s’enchaînent. Avec de jolies trouvailles comme celle consistant à cacher une déclaration d’amour en la découpant en morceaux de manière à ce qu’elle n’apparaisse que si on pense, par exemple, à ne lire qu’une phrase sur deux.

S’il est nécessaire que le public accourt à la création d’un spectacle il est bon également qu’il songe à venir (aussi) plus tard. Car il ne faut jamais arrêter de parler du théâtre. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée n’en est pas à sa première saison et elle n’a rien perdu de sa fraicheur. C’est l’apanage des valeurs sûres.
La clef du grenier d’Alfred d’Isabelle Andreani
Suivi de  Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée d’Alfred de Musset 
Mise en scène de Xavier Lemaire  
Avec Agathe Quelquejay et Michel Laliberté 
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris
Jusqu’au 09 janvier 2024
Les mardis à 19h15
Relâche le 26 décembre
Une pièce accessible à partir de 12 ans

mercredi 22 novembre 2023

How to have sex, le film de Molly Manning Walker

Je suis allée voir How to have sex après avoir visionné la bande-annonce et sachant que la réalisatrice, Molly Manning Walker le dédiait à  à "tous ceux qui ont été agressés sexuellement".
Afin de célébrer la fin du lycée, Tara, Skye et Em s'offrent leurs premières vacances entre copines dans une station méditerranéenne ultra fréquentée. Le trio compte bien enchaîner les fêtes, cuites et nuits blanches, en compagnie de colocs anglais rencontrés à leur arrivée. Pour la jeune Tara, ce voyage de tous les excès a la saveur électrisante des premières fois… jusqu'au vertige. Face au tourbillon de l'euphorie collective, est-elle vraiment libre d'accepter ou de refuser chaque expérience qui se présentera à elle ?
Tara en est le personnage principal. Elle porte bravement un collier marqué Angel. Elle est douce, confiante, peut-être un petit peu trop crédule. Elle n'a que l'intention de faire la fête avec ses deux meilleurs amies à Malia (en Crète) et sans doute en ramener de bons souvenirs. Le trio est joyeux et affiche le bonheur simple d'être ensemble. Mais les rencontres ne seront pas à la hauteur de leurs rêves. 

Le thème du consentement est largement traité depuis quelques années. Il y eu d'abord le questionnement Est-ce dire oui que ne pas dire non ? qui était bouleversant dans la pièce de théâtre Pompiers. Il y eut bien entendu les témoignages émouvants de Camille Kouchner et de Vanessa Spingora (plus réussi selon moi en livre qu'en version cinématographique).

Et voilà que Molly Manning Walker creuse différemment le sujet en démontrant que dire oui ne signifie pas forcément donner son accord en pleine conscience. La violence est toute en retenue et c'est évidemment poignant.

La réalisatrice n'est pas tout à fait la seule à pointer cette aspect. Il est très présent dans le livre Ce qui nous rend vivants dont les actrices précisent dans une note (p. 445) qu'en France une femme sur six fait son entrée dans la sexualité par un rapport non consenti ni désiré.

On espère tous que les choses vont changer. Ce film y participe.

How to have sex, le film de Molly Manning Walke
Avec Mia McKenna-Bruce, Lara Peake, Enva Lewis, Shaun Thomas, Samuel Bottomle
Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023
En salles depuis le 15 novembre 2023

mardi 21 novembre 2023

Madame Marguerite … avec Emilie Chevrillon

Je connais bien Madame Marguerite  Cette pièce a été écrite par Roberto Athayde. Je l’ai vue interprétée avec une émotion sans pareille par Annie Girardot. Je l’ai redécouverte dans la version plus politique de Stéphanie Bataille. En la reprenant, Emilie Chevrillon la transforme en une sorte de stand up surréaliste à la limite de ce qu’on appelle une performance, mais je suis sûre qu’on peut revenir le lendemain, l’interprétation sera identique.

Toujours est-il que les actions s’enchaînent comme si elles n’avaient pas été prévues et que la comédienne, habitée par un feu intérieur, s’embrase et disjoncte littéralement. C’est du grand art. Il faut beaucoup de technique pour jouer autant border-line avec un tel naturel et une impertinence ultra controlée dans un décor évoquant une salle de classe d’avant-guerre.

Bien entendu, étant régulièrement repris dans le monde entier il n’a d’intérêt sur scène que si la proposition est différente des précédentes. Sinon, autant le lire, ce que je recommande aussi car le propos est diablement d’actualité. Les dictatures n’ont hélas pas disparu et il faut sans relâche dénoncer à quelle folie peut conduire la soif de pouvoir.

Ce monologue tragicomique pour une femme impétueuse, interprété par les plus grandes comédiennes avec un succès constant, avait été écrit au Brésil pour dénoncer la tyrannie. Universel et plus que jamais d'actualité, il nous confronte à la folie.

Le spectacle fourmille d’astuces pour traduire ce dérèglement. L’enseignante, la fleur au tableau, la tête sur le plateau, est comme écrasée par la responsabilité, apparaît parfois de taille lilliputienne, minuscule sur sa chaise haute, ou au contraire géante pour effrayer, menacer, bref s'imposer, bidouillant un artifice derrière son bureau.

La mégalomanie de l’enseignante de CM1 n’est exacerbée que pour mieux en dénoncer les excès. Les enfants ayant la manie de tout prendre à rebours devraient -contrairement à l’ordre qui leur est donné- n’avoir qu’une envie, celle de désobéir pour vivre en adulte libre.

Le texte a été traduit en français par l’auteur lui-même, sans édulcorer sa force et sa liberté d’expression. Les injures, gros mots et propos excessifs se multiplient avec insolence et sans tabou.

Sous couvert de comédie, la comédienne devient tragédienne en laissant libre cours à une infinie palette de talents : actrice, mais aussi danseuse, chanteuse, mime … et même contorsioniste. Elle sait tout faire, y compris nous entraîner dans une séance de yoga ou de lévitation. Sa souplesse est vertigineuse. Ses mimiques sont désopilantes. Ses roulements d’yeux valent ceux d’un tambour.

On se souviendra d'elle fredonnant Manhã de Carnaval, la si jolie chanson du compositeur brésilien Luiz Bonfá et du parolier Antonin Maria, apparue en 1959.

On se souviendra d’elle dansant sur la musique d'un film de Chaplin un tango endiablé avec un squelette sur la musique typiquement argentine de La Cumparsita de Carlos Gardel. Ou encore de son interprétation du Lac des cygnes.

On se souviendra car on ne risque pas de l'oublier, cette leçon sur l'horreur qui se cache derrière les rires et les bravos. Tant il est vrai que dans certains pays la vie est un coup de massue.
Madame Marguerite de Roberto Athayde
Mis en scène par Michel Giès
Avec Emilie Chevrillon
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris
Les mardi et mercredi à 21 heures jusqu’au 17 janvier 2024

lundi 20 novembre 2023

Dégustation Pessac-Léognan de Château de France chez Dame Augustine

Il m'est facile de conserver des souvenirs visuels, d'engranger des musiques (dont je ne mémorise pas toujours le titre et le nom du compositeur). Les souvenirs gustatifs sont plus vagues, hormis curieusement pour les fromages. Sauf à en faire son métier nous ne sommes pas éduqués pour constituer une bibliothèque de saveurs.

Voilà pourquoi je suis toujours enthousiaste à la perspective de faire une dégustation d'un cru que je connais déjà. Aujourd'hui, ce fut Pessac Leognan de Château de France. Est-ce parce que le nouveau millésime répond à la promesse que l'on pressentait il y a quelques mois, est-ce parce que Lilian Douchet, le chef de Dame Augustine a particulièrement su trouver les meilleurs accords, toujours est-il que je l'ai apprécié encore davantage que l'an dernier.
Arnaud Thomassin, propriétaire et directeur de cette propriété familiale de 40 ha en AOP Pessac-Léognan, peut être fier de ses dernières cuvées. Elles sont déjà prometteuses et révèleront tout leur potentiel après quelques années de garde. Ainsi le Château de France rouge 2018 gagnera à être conservé encore dix ans.

Nous avons commencé par une dégustation classique à l'horizontale avec les blancs 2022 puis avec les rouges 2021 parmi lesquels il manquait le Bec-en-Sabot, certes quasi confidentiel mais si intéressant.

N'existant qu'en rouge, il a été créé en 1992 et fut le premier à porter le nom d’un oiseau, en l’occurrence un étrange oiseau rare, vivant dans les marais à papyrus de l’est de l’Afrique, dont l'étiquette comporte une illustration.

Je l’avais associé l'an dernier avec un "simple" croque-madame avec lequel s'accordaient son nez de groseilles, d'airelles, de tabac, de clou de girofle et de framboises, et en bouche, ses flaveurs minérales et de fruits rouges. 

Le Coquillas 2021 a été récolté pendant une année difficile (en raison des gelées) mais aromatique. Son nez est très harmonieux et doux, d’abricot confit, lychee et fruits à chair blanche, puis de miel. La bouche est joliment structurée, parce que gras et fraîcheur se combinent avec beaucoup d’élégance, laissant place à une finale minérale.

En rouge, “Coquillas” évoque encore la présence de nombreux coquillages dans plusieurs parcelles de la propriété.La robe est grenat assez profond avec un nez de fruits noirs frais et de réglisse et une touche de fumé. La structure s’achève sur des notes minérales et finement poivrées.

dimanche 19 novembre 2023

Les aliénés du Monument National

Savez-vous ce qu’est un aliéné ? C’est le terme employé au Mobilier national pour désigner un objet libéré de son appartenance aux collections nationales. Signifiant dès le XII° siècle "rendre autre", "détacher" il est devenu synonyme de folie lorsqu'il s'agit d'êtres humains mais conserve son sens premier pour les meubles qui sont devenus sans valeur et dont il convient de se débarrasser.

Par un retournement de situation, une quarantaine d'artistes ont pu avoir carte blanche pour sublimer 53 pièces destinées à être détruites et qui sont désormais élevées au rang d’œuvre d’art. Ce qui est particulièrement intéressant pour éduquer notre regard c’est leur placement devant des tapisseries tissées entre 1951 et 2016 dans les manufactures des Gobelins, de Beauvais ou d'Aubusson

J'ai été enthousiasmée par l'idée et par la réalisation de ce travail qui est présenté dans une exposition en accès libre et qui devrait passionner tous les âges, qu’on soit (ou pas encore) fan de décoration et d'upcycling.
Cette publication est illustrée par les oeuvres qui ont été réalisées et les tapisseries devant lesquelles elles sont placées. Leur titre et les noms des artistes sont mentionnés en fin d’article pour ne pas ralentir la lecture.
C'est la seconde fois que le Mobilier national propose à des artistes de réinventer ses trésors en disgrâce en leur donnant toute liberté denréinventer, embellir, modifier, sublimer ces objets. Je n'avais jamais franchi les portes de cet endroit jusque là et j'ai été séduite. Cette institution, pour ceux qui ne le sauraient pas, est le garde-meuble officiel de la République. Il conserve dans ses collections les meubles du pouvoir français, qu'il soit royal, républicain ou impérial. Ce garde-meuble exceptionnel peut ainsi meubler et fournir du matériel aux bâtiments officiels, tels que le palais de l'Élysée, ou les ministères.
Créé au XVII° siècle par Louis XVI, le Garde-Meuble de la Couronne, devenu le Mobilier national est, depuis toujours un acteur majeur dans la valorisation et le développement des métiers d’art et du design. Il a aujourd'hui trois missions principales : meubler les bâtiments officiels de la République, assurer la conservation de la collection et promouvoir la création contemporaine. Il se charge aussi de :
- Créer pour le compte de l’État du mobilier et des œuvres textiles ;
- Conserver et restaurer ses collections constituées de 100 000 objets textiles et mobiliers ;
- Perpétuer et transmettre les savoir-faire et techniques traditionnels des métiers d’art grâce à 7 ateliers de restauration ;
- Mettre en valeur son patrimoine par des expositions, prêts et publications.
Les meubles conservés par le Mobilier national sont "inaliénables" : ils ne peuvent être ni cédés ni vendus. Après des siècles d'existence, les collections sont très conséquentes... comptant plus de 180 000 meubles. C'est pourquoi un tri est parfois fait, pour se débarrasser de certaines pièces devenues sans valeur après avoir perdu leur caractère patrimonial au fil des années. Inutilisés, en mauvais état ou sans intérêt historique particulier, ces meubles peuvent alors être détruits, vendus ou réutilisés après avis d’un comité scientifique et devenir donc "aliénés" pour être remis à l'administration des Domaines pour être vendus.
La démarche de les confier alors à des artistes contemporains est à la fois artistique et écologique, certes insolite et osée mais intéressante. Tables, chaises, bureaux, consoles, chevets, chandeliers, commodes... Tous les meubles cédés se voient parés de couleurs, de nouvelles matières, de nouveaux volumes... Une fois réinterprétés, remodelés, redécorés voire transformés par les artistes ils retrouvent une valeur patrimoniale et réintègrent les collections du Mobilier national. Plusieurs films sont projetés dans lesquels les artistes expliquent la manière dont ils se sont saisi du projet et comment ils ont procédé.
Qui sait, ils seront peut-être choisis un jour pour embellir un salon ministériel. Que l’art contemporain redonne leurs lettres de noblesse à des meubles qui ont perdu leur intérêt patrimonial est une approche innovante et originale qui permet de préserver ce mobilier tout en s’inscrivant dans l’ère du temps avec une volonté de réutiliser l’existant.
Pour l’anecdote, l’idée de la première exposition a germé sur les trottoirs parisiens en tombant sur une commode Louis XVI sans valeur historique abandonnée dans la rue et attendant d’être récupérée par les encombrants. Yves Badetz, ancien inspecteur au Mobilier national et conservateur au musée d'Orsay, prend conscience du rejet dont sont victimes les meubles anciens de familles.
Il songe à l’impact écologique qu’ils pourraient avoir  …s’ils étaient réutilisés puisque les remplacer par du neuf implique de couper des arbres ou de polluer les rivières italiennes pour produire du marbre. Souvent robustes, on ne leur reproche que leur style un peu "vieillot".

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