Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 25 août 2025

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé tome #2 Le roi des ombres

J’avais à peine refermé le tome 1 que je me suis plongée dans le second tome de Sans soleil. Trois ans ont passé et nos héros ne s’étaient pas revus.

Jean-Christophe Grangé dresse une brève mise au point sur la progression de la maladie, car le SIDA reste très préoccupant (p. 22). Est-ce que cela explique que le style ait perdu de la vitalité en terme d’humour malgré, de temps en temps, des injonctions au lecteur, le suppliant : ne riez pas !

En tout cas les références à l’astre sont multiples et fréquentes. En voici quelques unes : fondre comme neige au soleil (p. 75), l’astre luminescent (p. 105), le soleil chatoie (p.115), le soleil est partout, non pas le soleil : l’infini (p. 127), soleil implacable (p. 131), course assassine du soleil dans le ciel (p. 132), coup de soleil (p. 138), le soleil et la mort s’unissent pour ne faire plus qu’un (p. 139), Heidi est submergée par le soleil, noyée d’éblouissement (p. 140), le soleil saigne (p. 144), le soleil ne perce pas la canopée (p. 152), abasourdi de soleil, des soleils ardents, le soleil blanc (trois mentions sur la seule page 218), le soleil revient en percée éblouissante avant de baisser déjà (p. 227), une jungle montante à l’assaut du soleil (p. 293), le soleil au garde-à-vous (p. 307), coucher de soleil rouge ardent (p. 354). Inversement on le compare parfois à la lune qui peut être à son zénith. Un soleil gelé (p. 61).

Et puis bien sûr c’est l’inscription Sans soleil, gravée à l’intérieur de l’anneau dit Prince-Albert qui apparaît pour la première fois p. 151 et revient régulièrement et justifie le titre du diptyque.

Manifestement Jean-Christophe Grangé est féru de musique. Il nous rappelle (p. 21) que Tainted Love, le tube de Soft Cell, qui est universellement connue et appréciée, est devenue une chanson sur le SIDA. Il a recours a deux références musicales pour caractériser les deux tomes. Le premier, "Disco Inferno", est une fameuse chanson des Trammps, créée en 1976 et tirée de l'album éponyme. Il atteint un succès considérable avec l'avènement de Saturday Night Fever, album-événement de la bande originale du film La Fièvre du samedi soir.

Quant au second, "Le Roi des Ombres" est aussi un titre de chanson, écrite et interprétée par Mathieu Chedid bien après la période au cours de laquelle se situe l'action du roman mais sans doute pas choisi par hasard car il y est tout de même question d'hécatombe …

Nous voilà en 1986, soit quatre ans après avoir quitté la fine équipe. Heidi est en vacances à Tanger dans le riad marocain du richissime publicitaire Caroco que nous connaissons déjà. Ségur est évidemment toujours confronté à cette maladie, désormais officiellement appelée Sida, qui ne cesse de faire des victimes. Swift est toujours à la PJ, sans crier victoire tant il est persuadé que le tueur court toujours.

Alors qu'ils n'ont plus de liens, Heidi leur envoie un appel au secours après la découverte du cadavre dépecé à la machette de son hôte... Swift et Ségur volent au secours de la jeune femme et c'est le début d'une nouvelle enquête. La rumeur a enflé à propos du patient zéro. A l’inverse de ce qu’on connaîtra pour la pandémie de Covid, on ne sait pas comment a démarré la maladie en France. La frousse est le seul argument (p. 16). Caroco est donc devenu un pestiféré et sa mort n'est pas une surprise mais la traque sera ponctuée d'épisodes plutôt étonnants.

Ségur manifeste pour el moment une certaine joie à ce voyage car il sent les vibrations de ce qu’il appelle sa Terre promise. Il s’était juré de retourner sur le continent africain qui l’avait tant touché quinze ans auparavant (p. 41). Nous voyagerons avec lui au Maroc, en Afrique noire, au Zaïre et en Haïti.

Le trio va de nouveau collaborer avec la police locale mais dans un pays qui est une dictature royale comme le Maroc elle n’est pas une science exacte (p. 82). Et pourtant, estime son collègue marocain, garder la foi, c’est la moitié du chemin parcouru.

On notera une certaine préoccupation écologique de l’auteur à propos du continent africain, soulignant combien des tas de sacs en plastique s’accrochent aux branches d’arbre faméliques comme des feuilles mortes de la modernité (p. 130).

Ségur entraînera la jeune Heidi -et nous avec- en la convainquant que tout le monde dans sa branche peut vouloir un jour se rendre utile. Quand ils seront en Haïti en juin 1986 ce sera l’occasion de nous faire revisiter l’histoire cauchemardesque, et souvent insoutenable, de ce pays (p. 191-96). Des évènements terribles hélas si vrais qu’il est inutile d’inventer. Il y a vraiment de quoi … être cramponné à sa table de lecture comme un môme à une auto-tamponneuse (p. 191).

Haïti c’est l’Afrique dans un verre de rhum, un patchwork qui cuit au soleil, tranquille (p. 264). Et ce sera là que le dénouement aura lieu.

Sans soleil de Jean-Christophe Grangé tome #2 Le roi des ombres

mercredi 20 août 2025

Patronyme de Vanessa Springora

Son premier roman, Le consentement, avait été une détonation. En lisant la quatrième de couverture du second, Patronyme, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un nième ouvrage sur le secret d’un parent autrefois nazi comme beaucoup, hélas, ont couché sur le papier, sans doute dans l’espoir de pouvoir se laver de leurs origines, dont ils ne sont d’ailleurs évidemment pas coupables.

Mais Vanessa Springora est une autrice de grande envergure et une fine analyste. Si bien que non seulement elle confirme ses qualités mais elle réussit à nous captiver par cette histoire qui est aussi un peu la notre pour peu qu’on se sente concernés par la géopolitique européenne.
Elle n'a pas revu son père depuis dix ans quand elle est appelée par la police pour venir reconnaître son corps sans vie. Dans l’appartement de banlieue parisienne où il vivait, et qui fut jadis celui de ses grands-parents, elle est confrontée à la matérialisation de la folie de cet homme toxique, mythomane et misanthrope, devenu pour elle un étranger. Tandis qu’elle s’interroge, tout en vidant les lieux, sur sa personnalité énigmatique, elle tombe avec effroi sur deux photos de jeunesse de son grand-père paternel, portant les insignes nazis. La version familiale d’un citoyen tchèque enrôlé de force dans l’armée allemande après l’invasion de son pays par le Reich, puis déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme, et travaillant pour les Américains à la Libération avant de devenir "réfugié privilégié" en tant que dissident du régime communiste, serait-elle mensongère  ?
C’est le début d’une traque obsessionnelle pour comprendre qui était ce grand-père dont elle porte le nom d’emprunt, quelle était sa véritable identité, et de quelle manière il a pu, ou non, "consentir", voire collaborer activement, à la barbarie. Au fil de recherches qui s’étendront sur deux années, s’appuyant sur les documents familiaux et les archives tchèques, allemandes et françaises, elle part en quête de témoins, qu’elle retrouvera en Moravie, pour recomposer le puzzle d’un itinéraire plausible, auquel il manquera toujours des pièces. 
Dans ce texte kaléidoscopique, alternant fiction et analyse, récit de voyage, légendes familiales, versions alternatives et compagnonnage avec Kafka, Gombrowicz, Zweig et Kundera, Vanessa Springora questionne le roman de ses origines, les péripéties de son nom de famille et la mythologie des figures masculines de son enfance, dans une tentative d’élucidation de leurs destins contrariés.
Éclairant l’existence de son père, et la sienne, à l’aune de ses découvertes, elle livre une réflexion sur le caractère implacable de la généalogie et la puissance dévastatrice du non-dit.

Comment en serait-il autrement dans une Tchécoslovaquie qui a changé cinq fois de frontières, de nationalité, de régime, prise en tenaille entre les deux totalitarismes du XXème siècle ? À travers le parcours accidenté d’un jeune homme pris dans la tourmente de l’Histoire, c’est toute la tragédie du XXème siècle qui ressurgit, au moment où la guerre qui fait rage sur notre continent ravive à la fois la mémoire du passé et la crainte d’un avenir de sauvagerie.

Patronyme de Vanessa Springora, Grasset, en librairie depuis le 2 janvier 2025

samedi 16 août 2025

Faire soi-même la pâte brisée …

Faire soi-même la pâte brisée … c'est de la tarte, justement. Je ne plaisante pas car c'est franchement hyper simple.

Il suffit de respecter la proportion de 1 (portion de margarine) pour 2 (de farine), et de ne pas oublier le sel. C'est très facile à malaxer. On fait juste attention de ne pas ajouter "trop" d'eau, environ un quart de verre.

Et surtout on laisse reposer au frais minimum une heure, voire toute une nuit.

J'ai coup sur coup exécuté une version dessert en tarte aux poires, et une version "entrée" en tourte champignon-poivron rouge-haricots verts (en garnissant avec des restes).
La tarte aux poires est composée d'un appareil à flan : deux oeufs, deux cuillères à soupe de farine, deux cuillerées à soupe de crème fraiche et un sachet de sucre vanillé. Ensuite on pose dessus les quartiers de fruit et on enfourne. Dix minutes avant la fin de la cuisson on ajoute des amandes effilées qui vont blondir joliment.
J'avais un peu trop de pâte ce qui m'a permis de faire des petites roses que j'ai placées entre les fruits. C'est exactement la même pâte que j'ai faite en version salée. J'ai hésité à y ajouter du thym en poudre. Une autre fois …

mercredi 13 août 2025

Refaire l’amour de Xavier de Moulins

Xavier de Moulins est un des auteurs que j’aime lire. Depuis quelques années il s’est concentré sur les affaires familiales. Refaire l’amour est inspiré d’une histoire vraie de féminicide. Une de plus, direz-vous (je pense en particulier au livre éponyme que j’ai lu il y a quelques jours), mais son approche est originale puisqu’elle est faite du point de vue de l’ex-épouse du meurtrier en insistant sur le stress post-traumatique dont elle est victime, notamment parce qu’elle ne peut se résoudre à occulter une culpabilité diffuse.
"Ai-je ma part dans ta chute ? Cette question me hante. Je le crois, Olivier, et ça me tue. Une partie de moi se sent complice de ce que tu as fait.
Dis-moi que je me trompe ! Dis-moi que c’est faux ! Sors-moi de là, nom de Dieu ! Tu me dois bien ça".
Irène vient donc dix-huit mois après les faits, chercher refuge dans la maison où vécurent ses parents et qui à juste titre continue de mériter son surnom de "cabane". Elle est bâtie à l’ombre d’un arbre imposant et protecteur qui monte jusqu’au ciel. Il a été étrangement baptisé Thomas, un prénom qui évoque la réflexion, la quête de vérité et une personnalité ayant de fortes valeurs.

Le roman fait alterner de brefs extraits d’ordonnance judiciaire et des descriptions de l’état dépressif de cette femme qui a recours aux cigarettes, aux anxiolytiques et à l’alcool pour tenter de mettre ses souffrances à distance. On comprend qu’elle devra faire face à deux échéances. La première, qu’on imagine douloureuse, sera l’estimation d’un prix de vente plausible pour cette maison à laquelle elle reste très attachée. La seconde à la retrouvaille avec sa fille programmée le lendemain pour faire connaissance avec son petit-fils. On devine qu’elle appréhende ce moment en raison d’un différend dont on ne connait pas complètement la teneur.

La question de la culpabilité de la survivante est peu habituelle s’agissant d’une ex-épouse qui avait toutes les raisons de ne pas éprouver la moindre empathie à l’égard de sa rivale. L’auteur la justifie par un raisonnement complexe d’où il ressort qu’en se croyant protégée (un mot qui revient régulièrement) auprès de son ex-mari Irène aurait manqué de clairvoyance, et surtout lui aurait trop facilement cédé : il n’aimait pas la contradiction, lui préférait les confrontations, débattre et avoir raison. J’ai fini par me taire (p. 75). Il ajoute qu’elle a conçu de la honte à se taire, parce que se taire, c’est accepter, et accepter, c’est être complice. Le moindre souvenir devient une preuve dans le procès qu’elle mène à charge contre elle-même. Ainsi le fait qu’Olivier adorait tirer à la carabine aurait dû l’alerter.

Xavier de Moulins établit un parallèle avec le film Les choses de la vie, quand le personnage interprété par Michel Piccoli a encore le choix entre deux trajets, soit la route du retour vers son domicile, soit celle qui doit le conduire vers sa maîtresse, Romy Schneider. Il choisit en quelque sorte la mauvaise puisque c’est celle où il aura un accident mortel.

Eloïse le lui fait entrer de force dans le crâne : tu dois en finir avec cette culpabilité de survivante et retrouver ta vie (p. 216). Sur le papier je n’y suis pour rien. Mais dans ma tête, cette chanson-là sonne faux.

Elle se sent victime consentante … et complice (prise en étau dans une sorte de syndrome de Stockholm). Et pourtant elle souhaiterait se libérer et faire ou refaire de nombreuses choses, y compris l’amour (d’où le titre).

J’ai aimé la fin presque ouverte, et plutôt positive, à l’inverse de ce qu’on aurait pu imaginer en lisant que la violence n’éteint jamais sa lumière. Les victimes donnent la vie à d’autres victimes (p. 102).

Les autres critiques de romans de Xavier de moulins sont ici

Refaire l’amour de Xavier de Moulins, Flammarion, en librairie depuis le 5 mars 2025

dimanche 10 août 2025

Propre de Alia Trabucco Zerán

Le titre français, Propre, n’indique rien de ce que cet adjectif désigne, mais en espagnol, Limpia, suggère clairement le féminin. L’étymologie du mot est identique en espagnol et en français où il a donné limpide.

La couverture, rose comme le faire-part de naissance d’un bébé de sexe féminin, est une vitre barbouillée de détergent, et pas encore raclée. Le roman est une longue confession, plutôt une déposition argumentée, destinée à rendre compréhensible la mort d’une fillette de sept ans dont on sait tout de suite qui est l’accusée, Estela García dont le chemisier blanc était impeccable le jour de son engagement comme employée de maison.

J’ai pensé à intervalles réguliers à un roman qui lui aussi est écrit du point de vue d’une femme de cette condition, La petite bonne, de Bérénice Pichat, édité à quelques jours d’intervalle.

Les thèmes sont proches. La principale différence est que dans Propre le drame nous est annoncé dès le début, ce qui n’empêche pas la narratrice de titiller le lecteur en le vouvoyant. Elle a promis de tout dire mais c’est elle qui impose le rythme et nous sommes dans l’attente de la fameuse cause de décès (p. 74). Le lecteur est placé dans une position inconfortable, voulue bien évidemment par Alia Trabucco Zerán qui a remarquablement construit le récit.

Dans ce roman, qui est le deuxième qu'elle a écrit, l'autrice prend le parti de son héroïne en cherchant à l'innocenter tout en pointant la focale sur la perversité de tout un système social, économique et politique, celui du Chili néolibéral né de la dictature militaire de Pinochet, qui est aussi décelable dans la plupart des pays latino-américains, voire de tant d’autres où le travail des domestiques reste le plus souvent informel. Et qui était bien entendu aussi le cadre de ce type de travail il y a encore une centaine d'années en France.

Estelita raconte son enfance à Chiloé par bribes, sans doute signifiantes mais on ne peut pas encore en juger. On a compris qu’elle est issue d’un milieu pauvre mais digne et cultivé. Sans aimer ses patrons disons qu’elle s’est habituée à eux.

Ses propos trahissent souvent une confusion entre réalité et irréalités (p. 85) ce qui ne surprendra pas du tout ceux qui connaissent l’Amérique latine. Le lecteur est d'ailleurs prévenu que cette histoire a plein de débuts qui conduisent à une même fin, car celle-ci est tragiquement bien réelle (p. 86). On note l'amplification d'une sorte de dédoublement, progressif de la réalité, suggérant presque une forme de schizophrénie qui va contaminer d'autres personnages. Même la rencontre que Monsieur raconte avoir faire avec une femme (et qui elle aussi est un moment majeur dans l’enchaînement conduisant au drame) ne nous semble pas appartenir à la réalité. Car lui aussi a un lourd secret (p. 206).

D'autres parallèles peuvent être faits par exemple avec Superhôte d'Amélie Cordonnier. On ne referme en tout cas pas le roman en étant demeuré insensible à propos des préjugés de classe que dénonce l'autrice qui réussit habilement à ménager jusqu'au bout l'enchaînement des causes et des péripéties du drame. 

Propre de Alia Trabucco Zerán, Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet, Robert Laffont, collection "Pavillons", en librairie depuis le 22 Août 2024
Prix Femina du Roman Etranger 2024

vendredi 8 août 2025

La cuvée L'ocre Jeanne de Benoît Brazilier

Je sais que c'est, comme on dit, un cépage segmentant, car tout le monde n'apprécie pas le Chenin. Personnellement, et en toute modération, je l'adore, et particulièrement cette cuvée L'ocre Jeanne de Benoit Brazilier.

Le vigneron lui a donné ce nom en se livrant à un jeu de mots avec le prénom de sa fille Jeanne et l’étiquette est particulièrement réussie avec son côté vieilli. Les vignes occupent 1 hectare et la production n'est que de 3000 bouteilles, assez constantes d'une année à l'autre en matière de qualités organoleptiques.

Au nez, le Chenin exprime des notes fruitées et boisées, des arômes de fruits jaunes, de fruits secs, d’agrumes, de fleurs blanches, de miel, de silex… associés à un toucher en bouche onctueux, une grande finesse et à une persistance aromatique exceptionnelle qui appelle à une gastronomie raffinée mais qui apporte une jolie note à des plats simples.

J'ai associé la cuvée L'ocre Jeanne à une andouille rôtie - purée mais si le résultat était plus que satisfaisant je dois reconnaitre que rien n'égale l'andouille que propose le restaurant du même nom.
Je l'ai aussi servi tout au long d'un repas où la galette de sarrasin était à l'honneur. Ce fut très agréable de pouvoir apprécier ce vin avec une crêpe classique (chacun l'ayant à son choix garnie de jambon ou saumon, avec ou sans champignons, pommes de terre en robe des champs, et autres assaisonnements habituels). Je précise que j'ai utilisée la farine de sarrasin Alnatura (de l'eau et un peu de sel fin) qui est élaborée à partir de grain moulu. La pâte s'obtient sans aucun grumeau à vitesse record. Elle est de couleur presque rose et les galettes ont un goût de noisette vraiment exceptionnel.
Il s'est tout à fait en accordé aussi -et ce fut une surprise heureuse- avec la version sucrée de ce plat : des pommes caramélisées.
La cuvée L'ocre Jeanne est élaborée et élevée en barriques pendant 12 mois, ce qui ajoute un parfum subtil mélangeant des notes sucrées de fruits bien mûrs de pomme avec malgré tout une petite note mentholée, qui se combine à la fraicheur du vin, mais c'est peut-être elle qui déroute le néophyte. Par contre elle est d'une subtilité exceptionnelle avec les pommes rôties.
J'ai même risqué de le servir sur une tarte aux abricots et là encore ce fut réussi.

Ce blanc puissant peut se garder 5 ans, ce qui est un autre de ses atouts.

lundi 4 août 2025

Du même bois de Marion Fayolle

J’ai rencontré Marion Fayolle au Centre Pompidou à l'occasion du vernissage de l’exposition la BD s'expose à tous les étages dont elle avait conçu la partie destinée aux enfants. J’ai alors découvert son univers à la fois fantasque et onirique.

Cette grande admiratrice de Tomi Ungerer et de Claude Ponti venait de publier son premier roman, Du même bois, chez Gallimard, mais je n’ai pas eu le temps de le lire à cette époque. Je viens de le faire et j’ai immensément apprécié cette centaine de pages qui se lisent comme des nouvelles, dans la veine de Marie-Hélène Lafon qui est une des auteures majeures pour décrire la ruralité (notez qu’elle préférerait que j’emploie le terme de paysannerie).

Si celle-ci fait revivre le Cantal, Marion Fayolle nous embarque en Ardèche et nous ne sommes pas loin de penser aussi à La montagne que Jean Ferrat voyait s’endormir. Celle de Marion est belle, quoique inquiétante, quand elle regarde vers la ferme en pleurant des cailloux (p. 30).
Les enfants, les bébés, ils les appellent les "petitous". Et c’est vrai qu’ils sont des petits touts. Qu’ils sont un peu de leur mère, un peu de leur père, un peu des grands-parents, un peu de ceux qui sont morts, il y a si longtemps. Tout ce qu’ils leur ont transmis, caché, inventé. Tout.
C’est pas toujours facile d’être un petit tout, d’avoir en soi autant d’histoires, autant de gens, de réussir à les faire taire pour inventer encore une petite chose à soi.
C'est la gamine qui raconte son héritage et cette enfant, c’est elle, pas de doute là-dessus (même si le livre est une fiction) : on la reconnaît à sa manière de faire des plans dans des carnets (p. 29). L'auteure a puisé dans des souvenirs personnels et avoue avec humilité que la gamine n’a rien pu faire, à part noter des choses dans ses carnets, elle ne sait rien faire (p. 110). Avec les autres gamins, elle braconne le passé en fouillant le clapas derrière la fermeIls sont loins de la tristesse de la jeunesse actuelle, dont les yeux sont rivés sur des écrans. Qu’auront-ils engrangé comme souvenirs, les jeunes d'aujourd'hui, et qu’écriront-ils plus tard ?

Je me souviens que Marion Fayolle avait souligné à Beaubourg sa difficulté à décrire la réalité avec ses dessins. Dans ce premier roman elle parvient avec sensibilité à donner de la voix en faisant preuve d'une belle force poétique.

L’histoire se reproduit dans la ferme de génération en génération : on s’occupe des bêtes, on vit avec, celles qui sont dans l’étable et celles qui ruminent dans les têtes. Peintes sur le vif, à petites touches, les vies se dupliquent en dégradé face aux bêtes qui ont tout un paysage à pâturer. J’y ai retrouvé des expressions de ma propre enfance comme aller donner aux bêtes. J'ai été émue par cet homme obligé de tirer sur son chien avec son fusil (p. 36) et touchée par la justesse des réflexions comme celle-ci : Le vin n’estompe pas le désespoir mais en remet une épaisseur (p. 72). Ou encore celle-là, terrible : On peut mourir d’un excès de tendresse comme ces petits lapins ou d’avoir été gavé de luzerne aux bêtes alors la gamine fait gaffe avec son petitou (p. 94).

Ce n’est pas une vie de reprendre une ferme comme la leur … et pourtant ce fut toute la leur (p. 108). Et son besoin d'écrire est consécutif à la difficulté de son oncle de trouver un repreneur pour la ferme familiale.

Alors on ne s’étonne pas que le livre soit dédié à sa famille, qu'elle ait réalisé le bandeau et qu’elle ait glissé deux croquis.

Du même bois de Marion Fayolle, Gallimard, Collection Blanche, en librairie depuis le 4 janvier 2024

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)