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dimanche 10 août 2025

Propre de Alia Trabucco Zerán

Le titre français, Propre, n’indique rien de ce que cet adjectif désigne, mais en espagnol, Limpia, suggère clairement le féminin. L’étymologie du mot est identique en espagnol et en français où il a donné limpide.

La couverture, rose comme le faire-part de naissance d’un bébé de sexe féminin, est une vitre barbouillée de détergent, et pas encore raclée. Le roman est une longue confession, plutôt une déposition argumentée, destinée à rendre compréhensible la mort d’une fillette de sept ans dont on sait tout de suite qui est l’accusée, Estela García dont le chemisier blanc était impeccable le jour de son engagement comme employée de maison.

J’ai pensé à intervalles réguliers à un roman qui lui aussi est écrit du point de vue d’une femme de cette condition, La petite bonne, de Bérénice Pichat, édité à quelques jours d’intervalle.

Les thèmes sont proches. La principale différence est que dans Propre le drame nous est annoncé dès le début, ce qui n’empêche pas la narratrice de titiller le lecteur en le vouvoyant. Elle a promis de tout dire mais c’est elle qui impose le rythme et nous sommes dans l’attente de la fameuse cause de décès (p. 74). Le lecteur est placé dans une position inconfortable, voulue bien évidemment par Alia Trabucco Zerán qui a remarquablement construit le récit.

Dans ce roman, qui est le deuxième qu'elle a écrit, l'autrice prend le parti de son héroïne en cherchant à l'innocenter tout en pointant la focale sur la perversité de tout un système social, économique et politique, celui du Chili néolibéral né de la dictature militaire de Pinochet, qui est aussi décelable dans la plupart des pays latino-américains, voire de tant d’autres où le travail des domestiques reste le plus souvent informel. Et qui était bien entendu aussi le cadre de ce type de travail il y a encore une centaine d'années en France.

Estelita raconte son enfance à Chiloé par bribes, sans doute signifiantes mais on ne peut pas encore en juger. On a compris qu’elle est issue d’un milieu pauvre mais digne et cultivé. Sans aimer ses patrons disons qu’elle s’est habituée à eux.

Ses propos trahissent souvent une confusion entre réalité et irréalités (p. 85) ce qui ne surprendra pas du tout ceux qui connaissent l’Amérique latine. Le lecteur est d'ailleurs prévenu que cette histoire a plein de débuts qui conduisent à une même fin, car celle-ci est tragiquement bien réelle (p. 86). On note l'amplification d'une sorte de dédoublement, progressif de la réalité, suggérant presque une forme de schizophrénie qui va contaminer d'autres personnages. Même la rencontre que Monsieur raconte avoir faire avec une femme (et qui elle aussi est un moment majeur dans l’enchaînement conduisant au drame) ne nous semble pas appartenir à la réalité. Car lui aussi a un lourd secret (p. 206).

D'autres parallèles peuvent être faits par exemple avec Superhôte d'Amélie Cordonnier. On ne referme en tout cas pas le roman en étant demeuré insensible à propos des préjugés de classe que dénonce l'autrice qui réussit habilement à ménager jusqu'au bout l'enchaînement des causes et des péripéties du drame. 

Propre de Alia Trabucco Zerán, Traduit de l’espagnol (Chili) par Anne Plantagenet, Robert Laffont, collection "Pavillons", en librairie depuis le 22 Août 2024
Prix Femina du Roman Etranger 2024

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