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lundi 9 septembre 2024

Incursion dans l'atelier de Rougemont, exposition de l’académie des Beaux-arts

Les Jeux Olympiques ont semble-t-il un peu détourné le public des musées proches des lieux où se déroulaient les compétitions. Pourtant, l'Incursion dans l'atelier de Rougemont (dont l'accès est libre et gratuit) méritait largement une visite.

Installée dans le Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts (27, quai de Conti, 75006 Paris), elle reste en place jusqu'au 29 septembre 2024.

Le Secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard nous a accueillis en faisant le point sur plusieurs aspects qui concernent l’évolution possible (ou non) de l’académie des beaux arts et sur lesquels je reviendrai en fin d'article, préférant d'abord me concentrer sur Guy de Rougemont (1935-2021) dont une soixantaine d'oeuvres retracent l'univers créatif et intimiste du si regretté membre de la section de peinture de l'Académie des beaux-arts.

Cette exposition offre un riche panorama de la carrière artistique en évoquant la maison-atelier et le cabinet de curiosité de ce "géomètre ludique". La sélection de toiles, pastels et sculptures réalisées entre 1965 et les années 2000, prêtés par la famille de l’artiste et issus du fonds d’atelier de Guy de Rougemont met ainsi en lumière l'évolution créative de l'artiste, véritable explorateur des formes, lignes et couleurs.

Laurent Petitgirard s'est montré ému de se trouver au centre des œuvres de l'artiste dont il se souvient du tempérament riant, décalé, grand seigneur, d’une courtoisie absolue mais volontiers polémiste. Il voulait que l’art soit présent au quotidien dans la société. Voilà pourquoi il n’a pas hésité a embellir les bords de l’autoroute A4, sur le tronçon Châlons-en-Champagne/Sainte-Menehould, en y installant des figures géométriques colorées à l'été 1977, pour tromper l'ennui sur ce secteur monotone et accidentogène. Il a réalisé un environnement pour le hall Fiat en bas des Champs-Élysées (1967), la mosaïque de marbres colorés du parvis Bellechasse devant le musée d’Orsay (1986), à investir des hôpitaux.

Il est le soixante-huitard rapportant des Etats-unis un procédé de sérigraphie pour reproduire des affiches. Il est aussi celui qui a créé des œuvres pour des collectionneurs raffinés voulant par exemple leur propre table nuage.

La visite a été poursuivie avec Julie Goy, historienne de l'art et commissaire de l'exposition, qui bien que n'ayant jamais côtoyé l'artiste, vit dans son œuvre. 
Sans titre (cinq colonnes), PVC laqué sur socle, 2004, 
hauteurs : 200 cm, 250 cm, 280 cm, 300 cm, 240 cm
La première salle a été conçue en pensant aux personnes qui ne le connaîtraient pas. Les colonnes sont les premières qu’il a élaborées en volume. Ses grands cylindres, également surnommés "totems", "colonnes" ou encore "balises", prennent place dans l’espace urbain, comme sur la place Albert Thomas à Villeurbanne où une photo atteste que le totem y est encore aujourd’hui dressé. On trouve partout dans le monde entier ces "poteaux de couleurs" pour citer Rimbaud, et qui sont devenus la signature de l'artiste.

Sur la gauche, un tableau témoigne de l’influence du pop-art tout en respectant les codes de l’abstraction vers laquelle il s'oriente définitivement à son retour de New-York, après un séjour d’un an et demi au contact des minimalistes et du Pop Art
Marisol vinylique sur toile, 1967, 199 x260 cm
Le tableau s'intitule Marisol en hommage à la peintre avec qui il vécut en colocation Marisol Escobar (1930-2016) et qui le présenta à Andy Warhol. Dès les années 1965, il introduit l’ellipse, qu’il développe sur la surface de sa toile. Plus loin, un tableau des années 2000 en forme de serpentine est de forme plus douce.

Nature vivante, acrylique sur toile, 1993, 82 x171 cm
Dans la deuxième salle on pénètre dans un espace plus intime. Le peintre a beaucoup joué avec la lumière, comme on le constate sur le tableau situé en face de nous et composé en deux parties. Il appartient à la période dite "des dé-tramés" qui fut décisive dans la libération de la forme chez Rougemont. L'espace de la composition y est découpé en aplats de couleur, rectangles et autres formes géométriques simples sur lesquels il appose des formes organiques qui se rapprochent progressivement de la serpentine dont la forme originale est l'ellipse, dans un style qui rappelle les papiers découpés d'Henri Matisse.

Il faisait toujours, en parallèle de ses toiles, un travail sur papier souvent avec des pastels. Les titres prouvent combien la lumière était essentielle puisque, souvent, ce sont des horaires, parfois extrêmement précis comme 9 h 12. Parfois le mot lumière figure dans le titre, par exemple "Lumière de là-bas" ou encore "Lumière de Roussillon". Pour les besoins d’une toile qu'il voulait peindre sous une certaine lumière, il lui arrivait de refermer les volets. Lui dont le nom contenait la mention "rouge" et qui aimait tant les couleurs appréciait la demi-obscurité.
Au bout de la galerie on découvre une évocation de son atelier avec un des premiers mobiliers (un lampadaire posé au sol, sur l'extrême droite). On ne voit pas la lampe d'architecte rouge qui est nettement visible sur la photo prise chez l'artiste, publiée dans le catalogue. Cela me fait sourire de constater que nous avons lui et moi ce point en commun.
Sous le bureau, à gauche, on remarque une bouteille de vin dont il avait dessiné l'étiquette et sur le plateau figure la carte postale de la salière qui joua un rôle déterminant et qu’à force de reproduire il fit évoluer en serpentine.
L'ensemble est une évocation parce qu'il a eu plusieurs ateliers, d'abord dans le Marais, puis à La Ruche, ensuite à Marsillagues, dans le sud de la France, en alternance avec la villa Seurat du XIV° arrondissement.
Ordonné malgré un aspect "chaotique", l’atelier de Rougemont est le témoin de la cohérence de son vocabulaire esthétique, de son goût pour la recherche plastique, l’artiste noircissant des heures durant des carnets, dont on en voit plusieurs ouverts, mettant en couleurs maintes aquarelles, maquettes et dessins de petits formats, pour aboutir à l’œuvre finale, en deux ou trois dimensions. Les sculptures prennent place sur les étagères, les toiles de petits formats cohabitent avec les grandes fresques murales : l’ensemble reflète son univers créatif d'un homme qui conservait tout, jusqu'aux brouillons de ses lettres ainsi que les photographies de ses oeuvres.

Il suffit de se tourner pour admirer un tapis signé Rougemont qui accueille une table du même auteur, et des pièces de vaisselle.

Lumière d’angle, tapis en laine tuftée, 1989, 240x320 cm
Assiette en porcelaine Zig Zag (1982), éditée en 900 exemplaires
Il découpe le mobilier, report une ombre sur le tapis avec une rigueur sous-jacente qui lui vient sans doute de l’éducation donnée par son père militaire. On peut admirer plusieurs oeuvres dans cette grande pièce.
A gauche, Sans titre, bois peint, Circa 2005, 190 x 125 x 71
A droite Lumière de Roussillon, acrylique et pastel sur papier, 1983, 76 x 56 chaque
Sans titre, bois peint et charnières, circa 2005, 153x270 cm
Lumière de là-bas, acrylique sur toile (1983), 195 x 130 cm
En attente sur flamboyant, acrylique sur toile imprimée, 1997, 200 x 120 cm
En 1998, l'artiste réalise deux modèles de tissus d'ameublement pour Bouchara à partir de deux toiles anciennes, de 1975, Palette et Flamboyant. La même année il peint deux séries d'acryliques sur toiles imprimées, utilisant les tissus destinés à l'ameublement qu'il tend sur un chassas. En attente sur flamboyant fait partie de la série et mêle des motifs caractéristiques des dé-tramés sur lesquels il va travailler au cours de la décennie 1990, ainsi que des formes courbes, annonçant déjà l'arrivée de la serpentine.
Guy et Anne-Marie, acrylique sur toile deVincent Bioulès, 115 x 149 cm (2002-2003)
La dernière salle aborde sa vie privée. Son grand amour fut Anne-Marie qui avait été l’épouse de Louis Malle. Un tableau deVincent Bioulès représente le couple et contient tous les éléments exigés par Rougemont pour caractériser sa femme : des chats à poil court, des livres, la cuisine, le cinéma, le vin, l'iris, le rire, et pour lui-même : les attributs du peintre et ceux de l'académicien, la tauromachie, le jardin, le kangourou (qu'il précise comme devant rester confidentiel) le tout devant être mélangé. On pourrait jouer à chercher Charlie en les isolant.
Son ami Eduardo Arroyo (1937-2018) avait esquissé ce portrait de lui en 1974 et qui semble inachevé. C'est aussi lui qui avait suggéré de faire figurer sur al garde de son épée d'académicien une règle graduée et un rapporteur également gradué, faisant référence à l'inscription de son oeuvre dans la géométrie.
On trouva après sa mort son bicorne et son épée cachée derrière un paravent. La poignée est gravée selon un détail du tracé au sol du Parvis Bellechasse. Elle s'ouvre, révélant les godets de couleur d'une boite d'aquarelle et son pinceau, avec la gravure de la devise familiale "Age quod agis" (Fais ce que tu fais). Le fourreau comporte trois animaux, dessinés par Arroyo, un chat qui était l'animal préféré de sa femme, le kangourou, emblème d’une confrérie secrète d’artistes et le taureau car il admirait sa bravoure dans l'arène, qu'il soit espagnol ou de Camargue, et parce que c'était son signe astrologique (il était né un 23 avril). 

Incursion dans l'atelier de Rougemont
Pavillon Comtesse de Caen de l’Académie des beaux-arts
Palais de l’Institut de France - 27 quai de Conti, 75006 Paris
Du 13 juillet au 29 septembre 2024
Du mardi au dimanche - de 11 heures à 18 heures
Entrée libre et gratuite
A l’occasion de cette exposition paraît la monographie "Guy de Rougemont" par Gay Gassmann, (Éditions Norma, 6 septembre 2024). Cette monographie est disponible à la librairie de l’Institut depuis le 13 juillet 2024.
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L’Académie des beaux-arts est l’une des 5 académies composant l’Institut de France.

Réunissant 67 membres, 16 membres associés étrangers et 67 correspondants, elle veille à la défense du patrimoine culturel français et encourage la création artistique dans toutes ses expressions en soutenant de très nombreux artistes et associations par l’organisation de concours, l’attribution de prix, le financement de résidences d’artistes et l’octroi de subventions à des projets et manifestations de nature artistique.

En tant qu'instance consultative auprès des pouvoirs publics, elle conduit également une activité de réflexion sur les questions d’ordre artistique. Elle entretient en outre une politique active de partenariats avec un important réseau d’institutions culturelles et de mécènes. Parmi ses missions il y a des résidences, des tutorats, le maintien en état et la restauration de son patrimoine sur ses fonds propres puisque l’emprunt lui est interdit.

S'agissant de plusieurs aspects qui concernent l’évolution possible (ou non) de l’académie des beaux arts le secrétaire perpétuel s'est exprimé avec un certain franc-parler. J’ai ainsi appris que contrairement à l’Académie française il est d’usage de ne pas publier les candidatures et encore moins le nombre de voix reçues. Seule est publiée la déclaration de vacance d'un fauteuil, à charge aux candidats d'adresser une lettre au secrétaire général de l'académie. L'élection aura lieu en séance plénière quelques jours plus tard, après délibération non publique.

Aucun quota de genre n’a jamais été imposé et la première femme à y entrer fut Jeanne Moreau en mars 200), non pas en tant qu’actrice mais comme réalisatrice (elle réalisa son premier film Lumière en 1975) et la dernière est Mariane Sartrapi (en février dernier). En 2017 elles sont 4 femmes et les 26 dernières élections ont permis d’intégrer sensiblement autant d’hommes que de femmes.

Il est parfois question d’abolir les sections, ce qui pourrait avoir pour conséquence d’insuffler de l’éphémère, de susciter l’élection de personnalités qui au bout d’une vingtaine d’années auraient perdu en légitimité. En tout état de cause il est essentiel que les académiciens soient des créateurs. Leur rôle n’est pas restreint au décorum. L’académie est un lieu où l’on travaille. On n’y est pas pour assurer sa promotion (voilà pourquoi on ne sera jamais exposé de son vivant) mais pour aider les autres. Les académiciens travaillent pour leur bonheur, jolie formule signifiant leur bénévolat. Seuls ceux qui administrent un lieu perçoivent une indemnité.

L’action sociale représente un budget conséquent. L’Académie attribue environ 600 000 euros de prix chaque année à des artistes de toutes disciplines et de tous âges. On aide ainsi les artistes ukrainiens aussi bien chez eux qu’en France. Comme on pourrait le faire également pour un russe qui serait en opposition au régime de son pays.

Afin de mener à bien ses missions, l’Académie des beaux-arts gère son patrimoine constitué de dons et legs, mais également d’importants sites culturels tels que, notamment, le Musée Marmottan Monet (Paris qui bientôt va fermer pour trois ans de travaux), la Villa et la Bibliothèque Marmottan (Boulogne-Billancourt, précédemment données en délégation et désormais dirigées par l'artiste graveur Erik Desmazières), la Maison et les jardins de Claude Monet (Giverny), la Villa et les jardins Ephrussi de Rothschild (Saint-Jean-Cap-Ferrat aujourd'hui en gestion directe, même si ce n’est pas une mince affaire d’administrer un restaurant qui compte 185 couverts/jour, ni d'accueillir un Festival l’été les lundi et mardi à l’initiative de Muriel Mayette), la Maison-atelier Lurçat (Paris, dont l'ouverture est prévue pour le début de l'année prochaine), la Villa Dufraine (Chars), l’Appartement d’Auguste Perret (Paris) et la Galerie Vivienne (Paris) dont elle est copropriétaire, qui ouvrira bientôt et permettra de plus longues périodes d’exposition.

On ne sera pas surpris d’apprendre que de 80 salariés on est passé à 135.

1 400 000 visiteurs sont accueillis tous lieux confondus en une année. Les temps ont changé. On n’entend plus la stupide question de savoir à quoi sert l’académie des beaux-arts et si elle aussi a son propre dictionnaire.

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