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lundi 28 juillet 2025

Le Domaine Paradisîø sur Oléron

J'ai découvert cet été l'existence du Domaine Paradisîø sur l'île d'Oléron à la faveur d'une rencontre avec son propriétaire, Sylvain Tache qui, depuis seulement cette année, vient au devant des consommateurs sur le marché de producteurs installé le mercredi matin à Petit-Village.

Il m'a fait goûter son Sauvignon premier qui, dégusté à l’aveugle, ferait d’abord penser à un grand vin blanc, à l’instar d’un Chablis. C’est le produit haut de gamme de la propriété, cuvée Sabrina. Ce n’est pas encore mentionné sur l’étiquette mais c’est ainsi qu’on le désigne au domaine.

Son approche est très volcanique, un peu tourbée, avec une belle salinité et une longue caudalie. Cette unité de mesure, équivalent grosso modo à une seconde, permet de déterminer la longueur du vin en bouche ou plus précisément la Persistance Aromatique Intense (PAI). 

On perçoit, non pas une acidité qui brûle, mais une vivacité herbacée qui reste en bouche. J'ai cherché à en comprendre la raison. Tout ne s’explique pas par le fait que les vignes poussent sur des sols d’argiles grises. Je suis grandement admirative du travail qui est fait au moment de la vendange. D'abord les raisins sont cueillis à la main, en galette, c’est à dire que les grappes sont posées une à une sur le fond de la cagette sans effectuer la moindre double épaisseur.

La vendange s’effectue en petit comité. Ils ne sont que trois, avec exceptionnellement quelques clients passionnés. Traditionnellement, le blanc se vendange en dessous de 14 degrés, pour éviter toute fermentation. Voilà pourquoi Sylvain loue un camion réfrigéré. Ce n’est pas un caprice. Cela permet de choisir les grappes une à une et autorise les vignerons à récolter à leur rythme tout au long de la journée, sans devoir couper à toute vitesse le raisin de nuit en s’éclairant à la lampe frontale. 
Le pressoir à cliquer est plus de quatre fois centenaire et le foulage des raisins se fait au pied. Une partie des rafles est ajoutée dans le pressurage. Autrefois on utilisait un tapis de cordage mais les rafles le remplacent avantageusement. On ne sulfite que la vendange et on laisse ensuite agir les gaz de fermentation. 20% iront dans des barriques anciennes en fut de chêne, ce qui procurera des notes supplémentaires et de la douceur que jamais n’apportera une cuve inox. Et il titre 13°5.

Je me suis rendue sur le domaine pour en apprendre davantage sur la philosophie qui régente sa vie et celle de Sabrina, sa compagne, maman de leurs trois enfants, et sa plus précieuse collaboratrice.

Ensemble, ils revendiquent un vignoble indépendant et éco-responsable, pas encore labellisé bio (car cela coûte cher) où tout est mis en oeuvre pour faire des vins qui racontent une histoire. Comme ce rosé un peu perlant qui, à l’instar d’un bon roman, se dévoile un peu plus à chaque gorgée, comme le ferait un livre à chaque nouvelle page que l’on tourne.

Ils sont tous les deux passionnés de vin mais aussi de nature, et sont installés sur la route de l’Ecuissière qui, soit dit en passant, et quand on la prend en direction de l’Ouest, mène à la Passe du même nom, qui présente un des plus beaux points de vue de l’île pour admirer le coucher de soleil.

Originaire des Yvelines, Sylvain n'est pas enfant de viticulteur, ce qui est pourrait être un handicap dans un terroir qui vit un peu sur lui-même. Pourtant, depuis son arrivée à Saint-Jean-d'Angély à l'âge de 14 ans, il a des attaches sur Oléron où il a passé de nombreuses vacances. Après un BTS Viti-œno à Saumur, il a commencé à apprendre le métier en "faisant ses classes" pendant une dizaine d'années en tant que maitre de chai et chef de cave dans les plus grandes appellations – Pomerol, Médoc, Saint-Emilion, Sauternes, Saint-Chinian dans le sud, Bourgogne, Val de Loire – et même à l’étranger, notamment en Nouvelle-Zélande où il a vinifié pendant deux périodes de 7 mois sur deux ans, l’amenant à faire 4 vinifications en 4 étés.

Ce n’est qu’ensuite qu’il a pu conjuguer ses multiples passions, le vin, l’océan et Oléron … et retrouvé Sabrina, son amour de jeunesse rencontrée au lycée et qui entre temps travaillait dans l’animation, une expérience qu’elle met aujourd’hui à profit. On a pu voir Sylvain notamment dans les chais de Favre (que je connais bien) et de Videau, repris par Vincent. En 2008, il a passé une saison comme chef de cave à la Cave coopérative d’Oléron. Il a ainsi participé au processus d’amélioration : sélection des parcelles, mise en place des cuvées haut de gamme Perles blanches, Perles noires… Il a fait obtenir à la cave sa première médaille d’or pour ses Sauvignons blancs en 2009 au concours national des vins de pays. Et surtout il a rencontré Michel Cordon, un coopérateur qui partait à la retraite, sans repreneur, et dont il a racheté les vignes en 2010.

Après deux ans de procédures administratives Sabrina et lui ont pu s’installer en reprenant 6 hectares en propriété et 3 de plus en fermage. Avec le soutien de la communauté de communes, ils ont aussi acquis un terrain constructible où ils s'installent avec leurs trois enfants car ils ont fondé (aussi) une famille.

Le père de Sylvain fut un des premiers élagueurs en France et il est installé dans les Yvelines, du côté de Saint Germain-en-Laye. Ainsi le fils a pu naturellement suivre sur Oléron la voie tracée par son père, ce qui lui a permis de faire vivre sa famille en attendant que la vigne soit rentable, ou du moins qu’elle ne coute pas plus cher qu’elle ne rapporte. D’autant plus que les vignes dont les ceps avaient été plantés en 1950, étaient trop longtemps restées à l’abandon.

Il se souvient de sa première cuvée en 2017, une seule barrique, entièrement par gravité, à la main, sans électricité, plus par obligation que par volonté de … Encore aujourd’hui le domaine n’est relié ni au réseau d’eau potable, pourtant proche, ni raccordé à l’électricité. La famille comme l’entreprise est totalement autonome de ce côté là, ce qui ne manque pas d’à propos pour des personnes qui sont voisins de l’écopôle.

C’était une utopie de penser que la reprise serait vite rentable. Qu’à cela ne tienne Sylvain est déterminé et plante 500 pieds sur une friche. Mais le terroir d’Oléron est très asséchant et propice aux ronciers. Les sangliers, fort nombreux, raffolent des mûres à la fin de l’été et dispersent ensuite largement les graines. Si bien que le vignoble est vite contaminé. La réalité rattrape les jeunes entrepreneurs qui persistent cependant dans leur engagement.
A force de ténacité il sont accueillis par l’office de tourisme, puis par les producteurs du marché de Petit-Village (le mercredi) où l’on peut voir Sylvain dans la caravane qu’il a spécialement aménagée, facilement reconnaissable à partir de la photo (ci-dessus). Et surtout, depuis trois ans, ils commencent à vendre correctement leur production, uniquement en vente directe.

Ce vignoble a un beau potentiel, en raison du niveau d’ensoleillement. Si le Cognac a toujours été le fer de lance de la région, les Vins de pays charentais ont, depuis dix ans, évolué vers le haut et possèdent encore une marge de progrès. Il apprécie, en tant que jeune viticulteur, de participer à cette évolution. Sa fierté est décuplée du fait de son engagement à participer au maintien des savoir-faire traditionnaux et à développer une exploitation biodynamique avec une production 100 % naturelle qui maintient la biodiversité et respecte la nature, en prenant le temps nécessaire pour travailler de façon artisanale, en se dispensant du cuivre, comme du soufre, pour s’appuyer sur les forces de la vigne, et encourager sa résistance.

Il est très sensible aux questions d’environnement dans le souci de préserver la santé et ce cadre de vie fabuleux, ses plages magnifiques, le terroir de cette île où la mer rend humble, et nous ouvre les yeux sur la planète. Il faut être conscient qu’en se trouvant au bord de l’Océan tout ce qui est apporté se retrouve dans la mer. 

Leur projet est d’aller vers une production en biodynamie, cette technique qui consiste à regarder un domaine agricole comme un organisme vivant, avec le moins d’intrants possible en ce qui concerne le vivant. Cela ne signifie pas qu’on reste les bras ballants, bien au contraire. Mais on utilise des préparations à base de plantes pour activer ou maîtriser les forces naturelles du sol afin de soutenir un bon processus végétatif et limiter le développement des parasites.

L’idéal serait d’avoir une partie du vignoble, sur environ trois hectares d’un seul tenant, qui puisse être clôturé pour le protéger des sangliers, et pouvoir y amener leurs animaux (ânes, poney et brebis) en pâturage, avec peut-être aussi juste un filet de protection à cause des oiseaux. Et qui bien entendu pourra être labellisé bio même si les vins ont déjà une traçabilités de 100%.

Ils vendangent "quand c’est l’heure", un peu à l’instar du vêlage. Logiquement c’est la première quinzaine de septembre, donc après la rentrée scolaire. Mais il se pourrait qu’on soit 10-15 jours en avance cette année. 
Ils produisent, Sabrina et lui, moins de 10000 bouteilles par an de vins IGP Oléron, micro-cuvées de 1500 bouteilles de blanc, rosé et rouge, qui pour le moment portent tous le nom de Paradisîø  sur des étiquettes qui évoquent une grappe de raisin. Sylvain a imaginé ce nom à partir de ø qui dans la région signifie Oléron et de son rêve de paradis qui se concrétisera davantage le jour où ses vins seront à la carte du restaurant Le Grand Large tenu par David Boyer, meilleur ouvrier de France, 2 avenue de l’Océan, à Dolus.
Son vin rouge, obtenu uniquement avec du Merlot, vendangé grain par grain comme des framboises, à l’astringence discrète. Il est un peu austère, fermé, entier, avec de la matière, sans doute parce qu’il n’a pas été filtré. Il est particulièrement intéressant mais il demande un minimum d’anticipation car il est bien meilleur quand il a été aéré deux-trois jours avant dégustation. Voilà un vin que le PDG de Riedel apprécierait sans doute de faire déguster après un passage dans l’aérateur que j’ai vu à l’œuvre dans une master-class. La démonstration relèverait de l’évidence.
Quand on se déplace dans le domaine, on note partout l’intérêt de la famille pour la nature mais aussi pour la culture. Sylvain est ultra créatif. Il a été peintre. Il est artiste dans l’âme et il se pourrait que son vignoble devienne son "œuvre majeure". Début août cinq artistes graffeurs, venant de diverses régions de France et d’Oléron seront accueillis pour s’exprimer sur les cuves et les embellir, un peu comme celle-ci, greffée par Thomas, un ami médecin installé à Metz, qui fut la première à prendre des couleurs. Sylvain et son fils de 14 ans se joindront à l’équipe et participeront activement.

L’an prochain devrait voir se concrétiser un projet qui lui tient à coeur, celui d’un musée en agro-foresterie et vigne en plein air. Il sera modeste mais pédagogique. Cela n’a pas de sens de clamer l’intention de se passer de la chimie sans expliquer concrètement ce qu’est le mildious et ce qu’on peut faire mécaniquement pour l’éviter.
Sylvain me fait longer quelques rangs qui ont été plantés après-guerre avec un hybride inutilisable car on n’en connait pas le clone. L’AOC n’admet pas une telle incertitude mais ce n’est pas une raison pour l’arracher. D’abord par respect pour Monsieur André Normandin (dont le futur musée portera le nom car ce sont ses vignes que Sylvain Tache a rachetées en 2024) qui a travaillé là jusqu’à l’âge de 86 ans, effectuant tout à la main. Ensuite parce qu’elle a les qualités pour devenir un outil pédagogique. On voit les fraises des bois pousser au pied des ceps qui, bien entendu ne subissent aucun traitement.

En regardant attentivement on perçoit le léger voile blanchâtre d’oidium qui étouffe les grains, leur faisant prendre une vilaine couleur grisâtre, et qui nuit tant à la quantité récoltée. On voit très bien la différence avec la grappe qui bénéficie du soleil et qui est restée saine, ce qui plaide en faveur d’une taille adaptée.
Quelques outils anciens sont déjà rassemblés comme une antique pompe à vin depuis la cuve et un seau à vendange, de contenance modeste car il était ensuite transporté par un âne. Voilà pourquoi d’ailleurs il n’a qu’une anse de manière à pouvoir en positionner un de chaque côté du dos de l’animal.
Six noyers et un pêcher sont restés à proximité. L’agroforesterie n’est pas d’hier. S’il y a tant de pins c’est parce que Vauban décida d’assainir la région, infestée de moustiques qui faisaient des ravages. En plantant des arbres autour de Saint-Trojan on stabilisait aussi les sols. Enfin, cela permettait de disposer de bois de chauffage et d’avoir des planches sans devoir prendre le bateau pour aller se fournir sur le continent.
On oublie vite que l’eau courante ne coule pas depuis très longtemps sur les éviers. Le progrès date de la construction du pont, en 1960. Tout le monde "tirait l’eau du puits". On voit encore les traces de ces constructions devant les maisons particulières et dans les cours des exploitations agricoles. Certaines ont été reconverties en immenses bacs plantés de fleurs. Sylvain a évidemment conservé la sienne.

Cette eau n’était pas toujours parfaitement potable et on avait pris l’habitude de la "couper" de vin. Voilà pourquoi il y avait tant de vignes sur Oléron. Vous devinerez que les consommateurs n’étaient pas très exigeants sur les qualités organoleptiques de ces breuvages. Et puis, traditionnellement les vignes charentaises étaient dédiées à la production de vins pour l’élaboration de Cognac et Pineau des Charentes. Tous ceux qui veulent produire des vins de qualité ont dû et doivent s’adapter, à l’île en premier lieu, mais aussi à la clientèle, puisqu’on n’y consomme pas le vin exactement comme sur le continent même si rares sont ceux qui, comme Sylvain, n’emploient que l’eau du puits (que d’ailleurs il doit filtrer).

Les vins blancs, rouges et rosés ont gagné en notoriété en raison de leur qualité croissante et de leur prix raisonnable.
Paradisîø n’est pas seulement un domaine vinicole, c’est aussi un lieu de vie, favorable à l'oenotourisme. On y cultive aussi des légumes anciens et contemporains. Je me suis régalée de tomates à chair ferme. On y élève des races animales oubliées et on y récolte une production apicole, Le miel du bout du mondeLa ferme bénéficie d’un parcours pédagogique nommé De l’estran à la ferme au cours duquel on peut rendre visite aux animaux et peut-être, apercevoir un de ces grands lézards vert qui sont en voie de disparition sur Oléron.
Et si vous optez pour une balade en calèche au départ du centre équestre l'Eperon Dolusien vous pourrez faire une halte gourmande au Domaine avec dégustation de la production.
M'étonnant de la taille des tournesols Sylvain m’a appris que leur hauteur était un indicateur de santé des sols.

Sans avoir suivi un parcours par un établissement agricole, Sabrina a beaucoup appris sur place et on sent qu’elle a la fibre pour aller loin bien qu’elle se dise plus à l’aise dans ses vignes que dans le chai, où pourtant elle a des idées judicieuses comme celle de tenter un vin orange, en amphore céramique. Les rôles sont malgré tout bien partagés au sein du couple. Elle a exercé auparavant le métier d’éducatrice pour enfants, a été asinière. Elle est donc grandement légitime dans une ferme pédagogique. Elle aime travailler la terre, faire pousser la plante, et elle apprécie la saisonnalité.

Evidemment elle aimerait par exemple travailler la terre avec un cheval. Mais quand on sait qu’il faut deux heures pour l’atteler et l’amener sur place dans un van parce que certaines parcelles sont trop éloignées … on réfléchit à deux fois avant de lancer le projet. Entretenir 12 hectares est un défi. C’est trop vaste pour tout faire bien, d’où leur projet de regrouper les parcelles.

Leur credo : assumons nos rêves; ce sera dur mais c’est possibleAvec des concessions, des sacrifices, par exemple sur les vacances, limitées à une semaine à Noël. Les confidences sont offertes en toute sincérité, sans aucune plainte. On sent combien l’amour du travail bien fait les anime : Notre kif c’est de faire du vin, on n’est pas X … (un gros producteur de vins). Bien entendu des vins entiers, non filtrés, jamais standardisés. Et comme le travail ne leur fait jamais peur ils songent à acquérir un gros vinaigrier pour ne pas laisser se perdre les fonds de bouteille.
N’ayant pas d’alambic, ils ne font ni Pineau, ni Cognac mais proposent les flacons de la Distillerie les 1309, fondée par Jérôme Vrignaud, au cœur du vignoble de cognac et voulue comme un hommage à trois générations de viticulteurs comme témoigne leur nom qui symbolise les années de naissance de leurs enfants, 2009 et 2013.

Ce partenariat n’est pas un hasard puisque Sylvain vend une partie de ses raisins à Jérôme. Autrefois le pineau existait en blanc et en rosé. Aujourd’hui il est surtout blanc, réalisé surtout à partir d’Uni-blanc ou rouge, fait à partir de Merlot. Sabrina conseille de découvrir d’abord le rouge avant de tremper les lèvres dans le blanc, terriblement aromatique. La différence ne provient ni du taux de sucre ni du degré d’alcool, identiques pour les deux, mais du cépage.
Et lorsqu’il a vieilli 6 ans en fûts de Cognac et de Monbazillac il a acquis une puissance aromatique exceptionnelle, marquée au nez par des notes d'abricot, pêche, miel, fleur d'acacia et des notes discrètes de bois, et en bouche par une rondeur acidulée incomparable. Certains noteront un équilibre entre notes de litchi et de citron. J’ai surtout apprécié sa rondeur et son goût de pommes confites.
J’espère vous avoir convaincu d’agiter la cloche de ce paradis à plus d’un titre.

Domaine Paradisîø
domaineparadisio@gmail.com
www.domaineparadisio.com
951 Route de l’Ecuissière - 17550 Dolus d’Oléron
Ouvert de 10 à 13 h et de 17 à 20 h du lundi au samedi
Sabrina Duchadeuil (0630581962) et Sylvain Tache (0673952750)

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