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samedi 6 septembre 2025

La petite dernière, le troisième long-métrage réalisé par Hafsia Herzi

Nous avons eu la chance d’assister ce soir à la projection en avant-première de La petite dernière de Hafsia Herzi qui confirme une nouvelle fois qu’on peut être une très grande interprète et aussi une grande réalisatrice.

Tous les enfants sont différents. La maman de Fatima va en prendre conscience tandis que le spectateur mesure l’ampleur du conflit interne qui agite Fatima, la plus jeune des trois filles qui vivent dans cette famille soudée, régie par la bienveillance malgré un père un peu violent, sans mettre de pression excessive sur le fait religieux. On verra que cette mère sera capable de comprendre sa fille sans pour autant le lui dire avec des mots.

Le film commence par des ablutions et une scène de prière matinale qui témoigne des croyances de la jeune fille, encore lycéenne, et manifestement excellente élève. On la voit aussi exercer sa passion pour le football et hésiter à accepter les déclarations amoureuses d’un garçon qui la retrouve en secret (ce qui donne l’occasion de mettre en lumière une forme de romantisme masculin), et on pense alors que c’est par discrétion par rapport à sa famille. La seule ombre au tableau est son état de santé : elle est asthmatique.

Puis elle intègre une faculté de philosophie à Paris, passe de longues heures dans les transports en commun et découvre un tout autre monde que celui de la banlieue, en l’occurrence Clichy-sous-Bois. Alors que débute sa vie de jeune femme, à tout juste dix-sept ans, elle s’émancipe de sa famille et de ses traditions sans jamais les renier. Si Fatima questionne son identité elle le fait en cherchant à s’affranchir des opinions homophobes de son milieu tout en souhaitant concilier sa foi avec ses désirs naissants, fussent-ils pour des femmes.

La petite dernière est le troisième film de Hafsia Herzi, après Tu mérites un amour (Semaine de la Critique, 2019), dans lequel une jeune femme devait déjà gérer un deuil amoureux, et Bonne mère (Prix d’ensemble Un Certain Regard 2021) qui racontait les difficultés d’une femme de ménage quinquagénaire issue de l’immigration et veillant sur ses proches.

Ici, nous avons à la fois la jeune fille et la mère, dans un tout autre contexte, mais qui n’est pas si éloigné de ce que la réalisatrice a pu connaitre dans les quartiers nord de Marseille où elle a grandi. Ce qui a déclenché son désir d’adapter le roman de Fatima Dass c’est d’une part la justesse du propos tout autant que le fait qu’il n’ait jamais été traité au cinéma qui jusque là s’était plutôt focalisé sur la quête d’identité de jeunes garçons.

C’est Hafsia Herzi elle-même qui a écrit le scénario, comme elle l’avait fait pour ses deux premiers films, à ceci près que cette fois elle a suivi la trame d’un roman. Elle a d’ailleurs fait lire chaque version à l’autrice. Le roman, qui s’intitulait lui aussi La petite dernière, est paru en août 2020, aux éditions Noir sur Blanc, dans la collection Notabilia qui promeut des romans dont le style et le ton sont choisis pour leur originalité et leur engagement. Celui-ci avait été largement salué par la critique littéraire.

Fatima Dass disait alors que son roman répondait à un besoin, une urgence, une nécessité et s’être largement inspirée de son expérience sans pour autant avoir écrit une autobiographie fidèle. Bien entendu il y a beaucoup d’elle dans cette histoire. Elle a connu la fierté de sa mère quand elle a été reçue au baccalauréat et la propre mère d’Hafsia Herzi a elle aussi encadré le diplôme … comme beaucoup de parents n’ayant pas suivi d’études ont pu, ou pourraient, le faire. Un spectateur attentif pourra lire le nom de Fatima Dass sur le document. L’émancipation par l’école et la littérature est un grand classique. Et pour ceux qui s’interrogent à propos de l’affiche du film, elle reprend un moment devant le mur de la Grande mosquée de Paris où Fatima est allée demander conseil à un imam au cours d’une scène fort intelligemment construite.

Ce qui l’est moins c’est de ne vouloir renoncer à aucune de ses identités, être française, d’origine maghrébine, musulmane (et croyante), tout autant que lesbienne, quand bien même ce serait un péché  (d’où la colère de Fatima à l’égard de son camarade de classe qui lui, assume son orientation sexuelle). Fatima Dass s’est clairement exprimé en interview à ce sujet : l’homosexualité est un péché dans sa religion mais on n’est pas parfait …

Il était important que cette parole soit portée à l’écran mais ce qui est très réussi c’est surtout que, contrairement à ce que nous sommes habitués à voir, à savoir des films à thèse développant des situations de conflit, désaveu familial, caricatures et autres catastrophes, on ne nous montre pas de drame. C’est une vision de tolérance envers ce difficile chemin vers la réalisation de soi qui, j’ai envie d’ajouter, touche tout le monde. Espérons que ce film contribue à faire évoluer les mentalités, en particulier dans les milieux pratiquants, et ce quelle que soit la religion.

Parmi les acteurs on remarque Ji-min Park qui était à l’affiche hier soir de Vie privée, Mouna Soualem que l’on a déjà vu dans le premier film de la réalisatrice, et Gabriel Donzelli qui fait ses débuts au cinéma, après une entrée remarquée sur la scène théâtrale parisienne. Et bien entendu Nadia Melliti repérée lors d’un casting sauvage, et ex-footballeuse (comme l’héroïne qu’elle incarne) qui a reçu le très mérité Prix interprétation à Cannes (encore une fois décerné à un acteur dont c’est le premier rôle comme Abou Sangaré fut primé du César de la Meilleure révélation masculine dans L’histoire de Souleymane qui avait été triplement primé l’an dernier à Paysages de cinéastes).

On devrait bientôt voir un quatrième film de Hafsia Hefsi qui travaille déjà à une autre adaptation, celle du premier roman de Leila Slimani Dans le jardin de l’ogre.

La petite dernière, écrit et réalisé par Hafsia Herzi, d’après le livre éponyme de Fatima Dass, éditions Noir sur Blanc, collection Notabilia, publié en août 2020
Avec Nadia Melliti, Ji-min Park, Louis Memmi, Mouna Soualem, Melissa Guers, Gabriel Donzelli …
Sortie nationale le 22 octobre 2025

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