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dimanche 7 septembre 2025

On vous croit, le premier film de Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys

On vous croit aurait bien mérité de figurer dans la compétition longs-métrages de Paysages de cinéastes mais le thème de cette année étant un cinéma de femmes la co-réalisation avec un homme le plaçait hors course.

Nous avons malgré tout eu la chance de le découvrir en avant-première et il a bouleversé le public.

Infirmière de formation, Charlotte Devillers s’est lancée dans la réalisation avec Arnaud Dufeys pour qui il s’agit aussi d’un premier long-métrage. Cinéaste et producteur, il a reçu des prix internationaux pour ses courts métrages, notamment Un invincible été (Berlinale 2024). Il travaille actuellement sur deux autres longs métrages : Faire surface et Les caniculaires.

Nous sommes en Belgique où certaines procédures sont légèrement différentes de ce qui se fait en France mais on en comprend l’essentiel, une fois que nous nous sommes habitués à l’accent de presque tous les personnages, ce qui ne devrait surtout pas instaurer la moindre distance car le sujet est gravissime. Personne ne peut l’ignorer, notamment depuis le si choquant Polisse de Maiwen, qui remonte tout de même à 2011. Et pourtant le public s’étonnait de la mention des statistiques à la fin du film, et qui, là, concerne directement nos enfants avec des chiffres qui sont, je le pense, en deçà de la réalité : En France chaque année 60 000 enfants sont victimes de violences sexuelles. Dans 81% des cas l’agresseur est un membre de la famille et c’est le père à 27%. Une plainte n’est déposée que dans 12% des cas d’inceste. Et seulement 1% fait l’objet de condamnation. (Source CIIVISE rapport novembre 2023).

Les familles protègent leur progéniture des rôdeurs et des prédateurs (qui font cependant la une des journaux) mais les mettent beaucoup moins à l’abri des désirs des proches. Il est donc évident que le danger est surtout intra-familial. Mais cette réalité est si dérangeante que même des professionnels de justice ont du mal à l’intégrer. Voilà pourquoi On vous croit est un film qui doit être largement distribué.

D’ailleurs la projection était synchrone d’une manifestation de femmes à Paris pour dénoncer que la garde des enfants maltraités soit quasi systématiquement accordée aux pères violeurs, au nom du sacro-saint principe de présomption d’innocence, ce que nous disait déjà Céline Salette, venue présenter l’année dernière au festival son premier film, Niki, dénonçant l’inceste que la peintre avait subi de son père, et surtout je dirais le déni du psychiatre qui va jusqu’à brûler la lettre d’aveu du violeur. La réalisatrice affirmait son intention de travailler le sujet en faisant un documentaire, afin d’avoir plus de poids dans la démonstration pour ébranler les consciences.

Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys ont à l’inverse estimé que la fiction serait plus forte. Il faut dire que leur méthode consistant à rassembler acteurs professionnels (pour incarner les membres de la famille) et des personnes dont c’est le métier d’être avocats apporte cette dimension de réel qui est utile pour faire entendre ce qu’on a tendance à nier, et que résume parfaitement Alice, la maman des deux enfants concernés : Je pensais que nous serions protégés par la justice mais on dit que mes enfants et moi nous mentons plutôt que croire en ce qu’on a vécu.

La réalisatrice s’est aussi appuyée sur son expérience de femme, de mère et d’infirmière travaillant avec des victimes de violences sexuelles. Elle a beaucoup observé et écouté des patients, ce qui a nourri l’écriture comme la mise en scène et a su saisir les aspects les plus intimes de la réalité du tribunal de protection de la jeunesse. On ne peut plus attendre encore des années que les choses bougent et on espère que le cinéma aura ce pouvoir. La littérature en tout cas s’y emploie activement. Je ne citerai que La familia grande de Camille Kouchner, My absolute darling de Gabriel Tallent, L’enfant réparé de Grégoire Delacourt ou Triste tigre de neige Sinno …

Ça démarre avec une musique stressante comme des coups de poing. Hormis une première scène dans la rue, le temps de prendre un tramway pour se rendre au Tribunal de la jeunesse, et la dernière scène, tout se déroule dans une unité de temps et de lieu, dans le bureau de la juge. Ces scènes d’introduction et de conclusion sont construites de manière à nous immerger dans le parcours émotionnel de la maman, entre son sentiment initial de culpabilité et la réappropriation de son rôle de mère à la sortie de l’audience.

Le spectateur comprend qu’après quatre années de procédures, Alice va aujourd'hui se retrouver devant un juge et qu’elle va jouer sa dernière carte. La garde de ses enfants est remise en cause et doit les défendre pour les protéger de leur père avant qu’il ne soit trop tard. Il dispose d’un indice de taille, le titre du film On vous croit, mais sans avoir la certitude que ce "vous" inclut la mère et ses enfants. Ce pourrait tout aussi bien être le père. Les dialogues sont tellement bien écrits qu’on tremble jusqu’à la fin et que même à ce moment là on n’éprouve pas encore de soulagement.

Ce titre était là depuis l’origine du projet. C’était déjà un slogan qu’on pouvait lire dans la rue, tagué sur les murs en Belgique. Il est tout autant une marque de soutien et de reconnaissance à l’attention de toutes les victimes qu’une invitation pressante à considérer davantage la parole des enfants et des mères protectrices. Et ceci sans jugement de valeur puisque la mère elle-même reconnaît que dans un premier temps, elle a préféré ne pas y croire. "C’était trop violent. Trop inimaginable pour moi ".

Les enfants sont émouvants. La perception que nous avons du père est ambivalente. Laurent Capelluto (qui a hésité avant d’accepter ce rôle dans un contexte de prise de conscience collective en ce qui concerne les agressions sexuelles) parvient à nous faire douter, et sa détresse est palpable lorsqu’il réalise l’impact de ces actes par le fait qu’il ne peut plus offrir de cadeaux à ses enfants.

La mère est poignante. C’est un rôle sur mesure qui a été critique pour Myriem Akheddiou, avec laquelle Arnaud Dufeys avait déjà travaillé. Les avocats sont plus vrais que nature, terrifiants de rhétorique et d’éloquence. La juge doit constamment recadrer les interventions sans pour autant laisser paraître son opinion. Les dialogues sont très forts, alimentant une tension croissante au fur et à mesure des interventions, avec des révélations progressives. La caméra nous place en tant que témoin et juge de cette famille dont nous avons une seule certitude : elle est dysfonctionnelle. De très gros plans nous font ressentir la pression subie. Parfois le mari et son avocate sont flous, alors que madame est nette, mais muette. De longs silences nous font vivre une angoisse abyssale. On ressent tout à fait la peur de la mère. On est saisi par la scène centrale qui est une prise continue tournée en temps réel pendant 55 minutes, principalement en gros plan sur Alice qui subit la prise de parole des autres sans pouvoir intervenir. Et sa propre prise de parole dure tout de même environ 25 minutes. On est également perturbé par les conclusions de l’avocat des enfants qui semble caricatural tant il est dangereusement à côté de la plaque. On tremble que la juge ne le suive dans ses conclusions.

La solitude de cette magistrate est troublante. C’est néanmoins une figure féminine progressiste qui laisse la parole de manière prolongée et égalitaire à chacun, en empêchant les rapports de force et d’intimidation. Pour se préparer à ce rôle Natali Broods  a assisté à plusieurs audiences qui lui ont permis de s’imprégner de la gestuelle et des comportements caractéristiques, et elle a aussi rencontré une juge avec laquelle elle a pu échanger. Son jeu témoigne de la conscience de l’importance d’écouter la parole, de laisser s’exprimer les émotions et de recadrer les débordements de manière douce et respectueuse. Elle incarne l’importance de faire bouger les lignes dans une institution comme la Justice, où les évolutions se font souvent de manière lente et complexe. Et sans remettre en cause la présomption d’innocence il importait de montrer l’importance principe de précaution.

Il faut espérer que ce film puisse mettre en lumière la nécessité d’adapter les procédures judiciaires en matière d’abus sexuels sur mineurs, notamment en raccourcissant le processus. La longueur, la répétition et la multiplication des procédures judiciaires ne peuvent qu’amplifier les traumatismes. Les enfants n’ont pas le même rapport au temps que les adultes et les quatre ans qui sont mentionnés ici sont beaucoup trop longs. On en voit les conséquences médicales (Etienne est quasiment déscolarisé suite à une encoprésie majeure, de sentiment de révolte et surtout la fragilisation du lien entre la mère et ses enfants. Il est crucial d’admettre que pour protéger les enfants, il est essentiel d’épauler la personne qui les défend et les soutient.

Voici pour finir une suggestion de lecture avec le livre Défendre les enfants, écrit par le juge français Édouard Durand.

On vous croit, écrit et réalisé par Charlotte Devillers, Arnaud Dufeys
Avec Myriem Akheddiou (Alice, la mère), Laurent Capelluto (le père), Natali Broods (la juge), Etienne Ulysse Goffin (Etienne), Lila Adèle Pinckaers (Lila), Alisa Laub (avocate de la mère), Marion de Nanteuil (avocate du père), Mounir Bennaoum (avocat des enfants)
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Prix Sang Neuf, Prix Jury Jeune, Prix exceptionnel d’interprétation, Reims Polar 2025
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En salles à partir du 12 novembre 2025

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