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vendredi 26 octobre 2018

La machine de Turing, de Benoît Solès

Je n’avais pas mémorisé le nom d'Alan Turing mais je savais que Steve Jobs avait donné le nom d’Apple à sa marque en hommage à un grand mathématicien qui s’était suicidé en croquant dans une pomme imbibée de cyanure.

Voilà pourquoi le logo a cette forme si originale aux yeux de certains qui n’y voient que le symbole de la connaissance, ou de la suprématie new-yorkaise.

Dès l’entrée en scène de Benoît Solès, ce fruit à la main, j’ai compris que c’était sa vie qui avait inspiré la pièce alors que l’affiche ne m’avait rien suggéré de tel. Je dois dire que n’étant pas masochiste de nature je n’avais pas cherché à savoir grand chose sur ce spectacle pour lequel il était quasi impossible d’obtenir une place cet été en Avignon.
Le bouche à oreille ne relayait qu’une double affirmation : c’est génial, mais c’est complet. On ajoutait pour nous consoler ("nous" les passionnés de théâtre, amateurs éclairés, chroniqueurs et même programmateurs) que ce serait moins difficile d’avoir une place à la reprise déjà annoncée au Théâtre Michel à l’automne.

Je suis donc venue ce soir en m’attendant juste à voir quelque chose d’extraordinaire ... et ça l’est. Je ne vois pas dans quelle catégorie La machine de Turing ne sera pas citée aux prochains Molières.

Benoît Solès, qui est un de nos grands comédiens, a été touché par l’histoire qu’il a transposée pour le théâtre. Il est donc le premier à applaudir pour son écriture et pour son interprétation très nuancée d'Alan Turing.
Face à lui, son partenaire, Amaury de Crayencour joue tous les autres rôles, très différents, comme un inspecteur de police ou un loubard, ce qui et également une performance. L’usage de la vidéo permet aux scènes de s’enchainer en apportant un certain relief.

Et sans doute que le travail du metteur en scène, Tristan Petitgirard, compte dans le résultat final.

La pièce retrace l’essentiel de la vie d’Alan Turing, un mathématicien anglais que l'on peut  considérer comme l’inventeur d’une machine pensante qui se révèlera être le premier ordinateur. Il a réussi à briser le code secret de la machine allemande Enigma qui transmettait pendant la Seconde guerre mondiale les communications du commandant allemand, ce qui a sauvé des milliers de vies et accéléra la fin du conflit. Il aurait du recevoir tous les honneurs pour ce succès (il les aura à titre posthume) mais son homosexualité -considérée alors comme un délit- lui vaudra d’être condamné à subir une castration chimique. 

D’autres facteurs ont pesé sur son destin. La surdouance n’est jamais facile à vivre et contribue à l’isolement. C’est la première différence qui enclenche le processus d’isolement. Travailler dans les services secrets n’a pas non plus facilité les choses, et la jalousie et l’intolérance ont achevé de précipiter cet homme dans un avenir qu’il voyait sans issue, finira par "préférer" se donner la mort. Il avait à peine plus de quarante ans.

Il faut penser à l’intolérance des années d’après-guerre pour comprendre que cet homme, surdoué, hypersensible, qui avait du mal à communiquer avec les autres, puisse avoir été poussé à croquer une pomme imbibée de cyanure pour en finir avec son enfer.

Benoît Solès est plus que touchant dans l’interprétation qu’il fait de ce génie, bègue et timide, à l’humour de clown blanc et capable de dérision. Il nous montre un homme dont l’humilité le pousse à brider sa supra intelligence pour tenter de nouer des rapports affectifs ... pourris par l’argent.

Je l'ai reçu dans mon émission de portrait d'une heure, Entre Voix, sur Needradio, récoutable en podcast.
Les parents pourront parler de ce génie en montrant à leurs enfants la double page qui lui est consacrée dans Enfances, de Marie Desplechin et Claude Ponti. On pourra aussi avoir envie de voir ou revoir le film A beautiful mind, consacré au parcours d'un autre mathématicien d'exception, John Forbes Nash Jr., qui élabora une théorie économique des jeux.

La machine de Turing, de Benoît Solès
Mis en scène par Tristan Petitgirard
Avec Benoît Solès et Amaury De Crayencour
Décor : Olivier Prost
Musique : Romain Trouillet
Au Théâtre Michel - 38 rue des Mathurins 75008 Paris
Billetterie : 01 42 65 35 02
Jusqu’au 31 mars 2019
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 16h
Relâche le jeudi 22 novembre et le samedi 24 novembre 2018
Molière 2019 du Théâtre Privé
Molière 2019 du Comédien dans un Théâtre Privé pour Benoît Solès
Molière 2019 de l'Auteur francophone vivant
Molière 2019 du Metteur en scène d'un spectacle de Théâtre Privé pour Tristan Petitgirard

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