Déjà un an que le premier roman de Thibault Bérard recueille une pluie d’hommages, certes mérités. Et j’anticipe d’avance les critiques que l’on va me faire en comprenant que je ne suis pas enthousiaste. Plusieurs de mes amis sont décédés récemment et je me préserve de lectures qui me rappellent de douloureux souvenirs.
J’aimerais davantage d’optimisme, même si j’entends plusieurs de mes camarades protester que ce roman en dégage. Pas suffisamment pour moi !
Je ne l’ai donc lu que ce mois-ci, et encore, parce qu’il figurait dans la sélection 2021 des 68 premières fois.
Le sujet, comme je viens de le préciser, ne me tentait pas le moins du monde et, pour justifier ma position, je me réfugiais derrière une autre affirmation que celle que l’auteur a choisie comme titre. Etait-ce une bonne excuse ? Boris Vian écrivait : L'essentiel est de porter sur tout des jugements a priori, et il me semblait que Il est juste que les forts soient frappés me démoraliserait. Je ne me trompais pas.
Néanmoins, et pour qu’on ne me jette pas la pierre de ne pas l’adorer, j’illustre cet article d’une photo de cairn, qui représente finalement assez bien à mes yeux ce qu’aurait pu être la couverture de ce roman si j’avais perçu entre ses lignes davantage de douceur au lieu d’être aveuglée par l’éblouissement qui était annoncé.
J’ai pourtant apprécié l’idée sous-jacente selon laquelle les défunts seraient obnubilés par le bien-être des vivants quoique le concept ne soit pas nouveau puisqu’il parait qu’au Japon rêver d’un mort signifie que cette personne pense à vous. Est-ce un fond dépressif qui a très vite tempéré cette bonne nouvelle ? Ou une manifestation de mon esprit cartésien ? Car si je veux bien croire que pendant quelque temps je demeure dans la pensée des êtres qui m’étaient chers, je ne peux pas imaginer (si tant est que la première affirmation puisse être plausible) que les ancêtres qui ne m’ont pas connue « de leur vivant » s’intéressent à moi depuis l’au-delà.
Vous avouerez que cette prise de conscience limite la portée philosophique de l’argumentation que Thibault Bérard laisse s’épanouir dans les confidences de Sarah. Et pourtant j’aurais pu m’identifier à cette rebelle qui ne s’autorisait ni le romantisme ni la légèreté, se plaisant à prédire « Moi, de toute façon, je vais crever avant 40 ans » (p. 44) qu’elle brandira comme l’inverse d’une menace. Comme un pare-feu au destin. Comme elle, j’ai voulu voir la promesse d’un bonheur, puisque oui « La vie est dingue » (p. 23). Sa rencontre avec Théo, fou de Capra et de Fellini, pouvait relever d’un heureux hasard et j’ai eu envie d’y croire en murmurant E la Nave va.
Mais l’histoire ressemble trop à une autre, bien connue, l’Ecume des jours, de précisément Boris Vian. Alors quand Sarah commence à peiner à respirer j’ai aussitôt fait le rapprochement avec le nénuphar qui se développait dans le poumon droit (c’est toujours le droit qui est atteint dans les romans) de Chloé. Sauf que chez Bérard, la situation s’inverse puisque Chloé sera celle qui survit alors que Théo, contrairement à Colin, n’aura jamais l’intention de se laisser mourir de tristesse. Quoiqu’il ait une bien curieuse façon d’entretenir son moral en lisant La route (p. 147). Il faut être sacrément solide pour adopter une telle méthode. Et vous aurez deviné que ce n’est pas la mienne en ce moment, quoique le récurrent encouragement « ça va aller » de Cormac Mc Carthy agisse comme un pansement.
N’allez pas croire que j’ai perdu le fil de mon récit. Pas plus que Sarah qui voudrait nous embobiner (p. 64). L’auteur sait parfaitement depuis le début où il veut nous embarquer et jusqu’où. D’ailleurs il nous assène quelques vérités universelles comme celles-ci : Est-ce que le seul fait de raconter cette histoire suffirait à m’en éloigner ? Est-ce que mon pari fonctionne ?
Il faut croire que oui puisque le roman a reçu une pluie d’éloges alors que (p. 86) Sarah poursuit : depuis ma barque qui prend l’eau (il s’agit) d’une tumeur cancéreuse dans le poumon (ce n’est d’ailleurs pas tout à fait exact, on apprendra plus tard qu’elle est située dans le médiastin, et que donc Sarah, la principale intéressée, aurait un trou de mémoire). Privilège de la mort. (…) Place à la vie en attendant.
Ils sont nombreux, comme Boris Vian, à avoir écrit semblable dégringolade avec humour ou comparable faux détachement. L’idée que l’amour serait éternel, exempt de la moindre jalousie pourvu que ceux qu’on a aimés continuent à nager dans le bonheur après notre mort (ou malgré notre départ) est récurrente en littérature.
Certes, il y a de très belles envolées dans cet ouvrage, évidemment. On admire l’abnégation de Sarah : je protège Théo parce que je sens qu’il est attaqué, je le fais à l’instinct, parce que je l’aime et aussi parce que ça m’évite de faire face à ce qui m’attaque, moi. Voilà tout. Je me débats sans quoi je me noie (…) ce mec ne peut tout simplement pas admettre qu’un vrai gros pépin nous tombe sur la gueule (p. 86).
Le lyrisme coule parfois à flots, mais il est tempéré par une sorte de dérision dérisoire qui donne de la légèreté au récit (j’en conviens). Dr House, Grosminet, Peter Pan, Spiderman, Raiponce … Ça défile. Tous ces personnages de fiction vont finir par nous faire croire que nous sommes dans un film et pas dans la vraie vie, ou dans un scénario de Godard, un réalisateur régulièrement cité … qui me donnerait alors envie de crier Sauve qui peut la vie !
Le titre est celui d’un chapitre et il revient plusieurs fois comme une réflexion intérieure (p. 115). Il devient un blason nous dit l’auteur, une devise, pour faire mentir le destin, et tant pis si on le prend pour un mantra à la con (p. 124). Comme s’il était envisageable de plaider le faux pour obtenir l’inverse. Ou d’écouter en boucle la voix écorchée d’Aerosmith chanter Amazing en étant persuadé qu’elle puisse agir comme une pensée magique (p. 180).
De multiples références musicales émaillent le propos et j’aurais dû les noter au fur et à mesure. Je me suis laissée piégée. J’ai eu tort de croire que l’auteur, dont je savais qu’il était aussi éditeur, dans une autre maison (Sarbacane) aurait jugé bon de faire figurer la liste des morceaux en annexe. Je ne me souviens plus que de Nick Cave dont les paroles de Into my arms se feront entendre à maintes reprises à partir de la page 20.
Nous ne sommes pas tous touchés de la même manière. J’ai lu des critiques dithyrambiques. Je les comprends mais j’ai largement plus été émue par des scénarios comme ceux de Se souvenir des belles choses ou Quelques heures de printemps. Sans parler du film culte que fut Love Story. Et surtout de Deux jours à tuer de Jean Becker (2008) qui, à partir d’un point de départ semblable, instaure un vrai suspense.
Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard, éditions de l’Observatoire, en librairie depuis le 8 janvier 2020
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