J’avais, il y a quelques semaines, donné le conseil d’avoir toujours un (bon) roman dans son sac quand on voyage en train. Ça n’avait pas loupé. Le mien (de train) fut encore en retard ce jour-là mais j’étais en bonne compagnie avec M. et Nathalie Rheims dont j’avais reçu, la veille, le 23ème livre en avant-première.
Je ne pouvais en raconter davantage à l’époque, devant attendre la sortie de Au fil des jours en librairie le 11 janvier pour en parler sur le blog.
J’étais malgré tout autorisée à dire que j’avais beaucoup aimé ce texte, très autobiographique, sensible, dans lequel l’auteure revient sur ses années de comédienne et qui correspondent à celles où j’étais attachée de presse dans un théâtre national. Alors forcément, beaucoup de noms m’ont parlé et ont ravivé mes propres souvenirs. J’ai souri à l’évocation de Colette Godard, la papesse de la critique dramatique dans le Monde (p. 24). Il est vrai que l’annonce de son arrivée était autant une bonne nouvelle que le risque d’une catastrophe. Et je me rappelle qu’il était indispensable de lui obtenir une certaine chambre, toujours la même, dans l’hôtel de Rohan, proche de la cathédrale de Strasbourg.
C’est en retrouvant, au fond d’une boite, un Polaroid pris par sa sœur Bettina (l’immense photographe) à la fin des années 70 quand Nathalie n’a que 18 ans qu’elle se décide à convoquer ses souvenirs et à nous raconter une période de sa vie alors qu’elle tombe amoureuse d’un homme plus âgé, aux cheveux noirs et bouclés, qui affiche un large et irrésistible sourire et dont le visage m’est immédiatement familier. Et pour cause puisque j’étais fan des textes de ses chansons et de sa voix. Il chantait Comme un p'tit coquelicot, et Un jour tu verras (paroles p. 36), que je pourrais encore fredonner par coeur et que j’aime particulièrement. Par contre, j’ai découvert Faut vivre, que je ne connaissais pas, et dont j’ai appris qu'elle était sa préférée :
Malgré le cœur qui perd le nord
Au vent d’amour qui souffle encore
Et qui parfois encore nous grise
Faut vivre
Son nom n’étant jamais cité, je resterai discrète. De toute façon, c’est la manière de raconter l’histoire qui importe bien davantage que de savoir de qui il s’agissait. On se contentera de quelques mots, … entre mes 18 ans et ses 55 ans, le temps s'était désagrégé comme s'il avait percuté une force supérieure et nous avait projetés, tous les deux, dans un autre espace où rien n'avait plus d'importance (p. 28).
Ce roman aurait pu être nostalgique mais il ne l’est pas du tout et il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’avoir connu cette période pour l’apprécier. C’est une de ses grandes qualités.
La clé pour comprendre le titre du livre nous est révélée p. 95 :
Au long des jours
Je fais l'âme et l'amour
La haine et la tendresse
Et je cours les princesses
Jusqu'à ce qu'amour cesse
Au long des nuits
J'engrange les souvenirs
Les villes et les gares
Les femmes et les rues
Les ombres et les charmes
Et je cherche à amer
La vie comme un poème
Sans souci des soucis
Et à dire "Je t'aime"
Nathalie poursuit : C'était exactement ça. C'était notre histoire. Du moins, c'est ainsi que je l'entendais. Je décidai que si, un jour, j'écrivais un récit pour nous raconter, il porterait le titre de cette chanson.
Le cliché retrouvé a fait remonter les émotions que Nathalie Rheims a traversées au cours de cette relation amoureuse, qui aura duré un an, avec cet artiste hors du commun dont on devine la présence à chaque page. Et pourtant ce texte n’est pas un récit qui aurait été écrit dans un souci de témoignage.
Il est probable que ce que l’auteure nous confie à propos de sa passion pour le théâtre (p. 22) est plus rigoureusement exact que ce qu’elle raconte de sa relation, abordée toujours avec pudeur. Mais encore une fois, l’intérêt de cet ouvrage est de nous faire partager des émotions plus que des faits. La démarche est d’autant plus touchante qu’alors elle confesse qu'elle n'a personne avec qui partager se joies et ses peines, pas d'amies, ni son père, lui-même découchant très fréquemment (p. 75).
Nathalie n’a que 18 ans mais elle est déjà comédienne et joue chaque soir dans une pièce mise en scène par Jorge Lavelli avec Maria Casarès pour partenaire. Elle fait revivre la personnalité de cette grande actrice (à laquelle une magnifique exposition était consacrée cet été pendant le festival d’Avignon). Elle nous confie que Maria lui offrit le soir de la générale une bague de forme carrée en onyx (qu'elle décida de porter pour toujours). Son geste l'avait bouleversée. Un petit mot l'accompagnait : Sois heureuse, signé, Maria.
La chanson française des années 1950-1960 n’a pas de secret pour elle et, comme beaucoup d’autres personnes, elle voue une vraie passion aux textes dits « engagés », écrits par des artistes qui avaient su résister grâce à leurs textes immortels.
Ce n'était pas pour elle un art mineur, mais au contraire, « un art majeur, parmi les plus difficiles, car il fallait, pour une chanson réussie, la conjonction miraculeuse d'un texte, d'une mélodie, la personnalité et la voix d'un interprète, le tout ramassé en un temps très court. En moins de trois minutes, une chanson devait raconter une histoire, au même titre qu'un roman, une pièce de théâtre ou un film, et laisser, à celui qui l'écoutait, un souvenir indélébile » (p. 23). Elle donne pour exemple l'Orage de Brassens qu’elle avoue se passer en boucle.
Elle revient sur l’importance d’une troupe de théâtre d’agit-prop créée dans les années 30 sous le nom de Groupe Octobre dans laquelle se trouvait Jacques Prévert, Jean Dasté, Jean-Louis Barrault, son amoureux, et même (c’est moi qui l’ajoute) … une certaine Margot Capelier qui deviendra la première directrice de casting et que j’ai souvent vue au théâtre, à la recherche de nouveaux talents pour le cinéma.
Fragilisé par une série de deuils, M. était mélancolique et sombre (p. 62). Nathalie éclaire le contexte dans lequel il a créé ses plus belles chansons : En devenant chanteur, je perdis le goût du bonheur (qui est la phrase ouvrant le P'tit coquelicot). Elle reviendra sur ce point plusieurs fois, cherchant à analyser le processus, tout en admettant que chanter la joie n'a jamais eu grand succès.
Plus loin, elle dénoncera combien cet univers est devenu une histoire de gros sous (p. 135). On sera alors à l'apogée des yés-yés. A la fin des années 70, c'est en effet le triomphe des magazines comme Salut les copains, Paris Match, Elle et Télé 7 jours qui étaient dans le giron de Daniel Filipacchi, le fils d'Henri, qui avait pourtant lui-même entretenu des relations étroites avec le Groupe Octobre. Et on attendait avec impatience Starmania … qui revient aujourd’hui en force !
Et alors que la trajectoire de M. a glissé du théâtre vers la chanson, Nathalie bifurquera quant à elle des planches vers l’écriture.
Au long des jours de Nathalie Rheims, Editions Léo Scheer, en librairie le 11 janvier 2023
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire