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samedi 21 septembre 2024

L’histoire de Souleymane, second film de Boris Lojkine

(mise à jour 1er mars 2025)
Je voudrais revenir sur le deuxième film en compétition pour l'édition 2024 de Paysages de Cinéastes.

Il s'agit du très attendu second long métrage de Boris Lojkine (seul deuxième film en compétition adultes) L’histoire de Souleymane. Le réalisateur, qui vient du documentaire, nous propose des films au ton très réaliste et profondément humain, ayant trait à la migration.

Il avait précédemment fait Hope (qui avait été présenté en compétition dans ce même festival en 2013 et obtenu le Grand Prix). Il était intéressant de suivre son parcours.

Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.

depuis sa projection au festival de Cannes, le film a déjà été plusieurs fois primé et mérite toute notre attention. Par le sujet principal (les arcanes de l’obtention d’une demande d’asile), les aspects sociétaux (les gentillesses comme les vacheries des clients qui commandent leur repas en ligne, la dureté des conditions de vie de ces travailleurs) et par l’éclairage apporté à l’exploitation de ces hommes par ceux qu’on penserait être leurs alliés et qui les rackettent par tous les moyens. Si l’entraide est réduite, Souleymane fait tout de même quelques jolies rencontres. Il n’empêche qu’il en vient à douter de ce qu’il est venu chercher en Europe. Magistralement interprété ce film nous laisse dans l’expectative sur l’avenir de cet homme pour qui on s’est pris de compassion.

La première scène commence dans le silence en révélant le visage marqué de l’homme. Il porte une chemise blanche dont il tente de nettoyer une tache (nous saurons plus tard qu'il s'agit de sang). L'ellipse est alors faite sur l'issue de l'entretien auquel il se rend. Il faudra attendre la fin du film pour la connaitre.

L'homme récite dans sa tête une histoire qu'il doit connaitre par coeur sans y parvenir car ce n'est pas la sienne. Il est question d'une opération de déguerpissement, un mot peu courant dont la fréquence alertera l'enquêtrice du service d'immigration. Il continue ce faisant de rouler à vélo dans Paris en prenant de gros risques, brûlant les feux rouges.

Même si on sait que les conditions de travail des livreurs sont épouvantables (et je vous recommande le roman autobiographique de Franck Courtès A pied d'oeuvre), on oublie qu'il faut posséder son propre vélo pour pouvoir travailler, et avoir une carte de séjour. Sinon on est réduit à se faire racketter par un "ami" qui sous-traite son propre numéro contre une grosse commission. La combine se corse quand un client est mécontent car il faudra faire un selfie (donc une photo du prête-nom) pour valider sa clôture. L'opération est quasi impossible si l'homme est très loin, ou absent et les conséquences sont terribles.

Si Souleymane ose (gentiment) se plaindre on lui répond : Faut charbonner, on n’est pas venu en Europe pour jouer. Toute une hiérarchie d'ivoiriens et de guinéens exploite les leurs. L’entraide est réduite. Et comme si ses soucis ne suffisaient pas il y a encore sa mère qui est malade au pays.

Le spectateur absorbe son angoisse comme une éponge. Même quand "tout va bien" la vie de ces travailleurs est ultra stressante et on réalise ce qu’est le quotidien de ces hommes (aucune femme d’ailleurs). Pour garantir sa place dans le dortoir il faut programmer son téléphone à sonner en pleine nuit afin de réserver par SMS pour le lendemain. C'est toute une machinerie. On en est épuisé pour lui.

Le rythme des plans est soutenu. Mais il y a tout de même des moments humains et les clients ne sont pas difficiles. On lui offre un bonbon. On respire. Il étouffe un petit rire. Puis la machine se grippe. C’est l’accident et tout s’enchaîne. Même la police cherche à profiter de la situation. Le bus du recueil social lui file sous son nez. La faible entraide de quelques copains ne suffira pas.

Voilà de nouveau Souleymane sur la chaise, avec la même chemise blanche. On nous laisse en plan comme lui sans connaître l’issue de ce qui est un verdict. Tout le monde pense que çà ne sera pas positif pour lui. Pourtant même si "son" histoire n'est pas celle que voudrait entendre la fonctionnaire elle est terrible … mais elle ne rentrera sans doute pas dans les critères d'attribution d'un statut de réfugié.
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L’histoire de Souleymane a reçu à Châtenay-Malabry le Prix du Jury de la Jeunesse, le Prix du Public et le Prix du Grand Jury, ex æquo avec Norah qui a aussi reçu le Prix du Jury des Femmes.

Il a ensuite reçu 4 César : Boris Lojkine et Delphine Agut ont été remarqués pour le Meilleur scénario originalXavier Sirven pour le Meilleur montage et côté interprétation Abou Sangaré en Meilleure révélation masculine et Nina Meurisse en Meilleur second rôle.

Il avait été nominé aussi comme Meilleur film, Meilleure réalisation, Meilleur son mais il était quasi impossible de rivaliser avec Emilia Pérez de Jacques Audiard dans ces catégories.

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