Le générique du film Le torrent se déroule alors que la caméra remonte le cours de l’eau et s’arrête sur une bottine noire qui flotte comme une pauvre feuille morte. On a compris. Il suffira de savoir à quel pied elle appartient pour avoir confirmation de la fin tragique de sa propriétaire.
Anne Le Ny ne joue pas avec les nerfs du spectateur. Elle lui donne toutes les informations. Et pourtant bien malin qui découvrira comment le film se finira.
Cette excellente comédienne (qui interprète le rôle de là capitaine de gendarmerie dans le film) est aussi une réalisatrice hautement psychologue.
Elle nous donnait une leçon de bonheur dans On a failli être amies. Ici elle renoue avec son art d’analyser les relations familiales en explorant la question de la culpabilité dans un enchaînement de mauvais hasards qui tourne mal.
Lorsqu’il découvre que Juliette, sa femme, le trompe, Alexandre est dévasté. Fuyant la confrontation, Juliette quitte précipitamment la maison. Alors qu’il cherche à la rattraper, celle-ci prend peur et fait une chute mortelle dans un ravin... Pris de court, Alexandre décide de ne pas alerter la police. Le lendemain, réalisant qu’il risque d’être accusé du meurtre de sa femme, Alexandre panique. Lison, sa fille de 18 ans, effrayée à l’idée de perdre son père, se laisse convaincre et ment pour le couvrir. C’est le début d’un terrible engrenage...
Chaque personnage a ses failles. Le père est un peu frimeur, juste de quoi agacer la capitaine et surtout le père de la victime. Et pourtant il n’est pas antipathique, même s’il est dans la toute puissance, et relativement peu attentif aux besoins de son entourage : je fais de mon mieux, le mieux que je peux, dit-il, et on sait que c’est vrai parce qu’il n’a aucune mauvaise intention.
La jeune-fille est prise dans un conflit de loyauté au bénéfice de son père qui l’amène à enchaîner les mensonges. On sent que Lison prend très souvent sur elle pour ne pas se plaindre. Sa place auprès de son père est réduite et elle peut éprouver le désir inconscient de voir disparaître sa belle-mère. L’élément déclencheur du drame peut être interprété comme un acte manqué, mais il est en tout cas la conséquence d’un mensonge.
C’est là que le film devient particulièrement intéressant puisque la jeune fille (excellente Capucine Valmary) est elle-même piégée par un mensonge. La vérité est-elle pour autant la meilleure solution ?
Lison découvre la trahison et fait soudain l’apprentissage du monde des adultes. Elle est désemparée et va devoir chercher en qui elle peut avoir confiance, en découvrant l’altérité, approcher la souffrance de ce petit frère qui jusque là était un rival, comprendre la personnalité de sa belle-mère, et faire œuvre d’empathie à l’égard des parents de celle-ci pour sortit du piège qu’elle a elle aussi contribué à monter. Cette famille recomposée qui semblait avoir trouvé un équilibre parfait se révèle tout à fait dysfonctionnelle et devra se reconstituer ou se dissoudre définitivement.
Tourné dans les Vosges, j’ai reconnu des paysages qui me sont familiers, et même la gendarmerie qui apparaissait dans le film Perdrix. Les images des inondations sont bien entendu des vues aériennes en conditions réelles et ajoutent de la tension dramatique, en renforçant les aspects angoissants et mystérieux, de même que la superbe vue plongeante sur le lac depuis la terrasse de la maison, de même que les nappes de brouillard, si fréquentes dans la région.
Un excellent film qui traite de la nécessaire reconstruction après un cataclysme.
Le torrent, un film de Anne Le Ny
Avec André Dussolier, José Garcia., Ophelia Kolb, Capucine Valmary, Anne le Ny
En salles depuis le 30 novembre 2022
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