La baleine tatouée m’a été annoncée comme étant un conte écologique et un hommage à la culture maorie, enjoué et malicieux, où les baleines, une vieille dame délicieusement indigne et une petite fille éclairent le destin des hommes.
C’est exactement cela. Avec une immersion dans une culture que l’on connaît peu sous nos latitudes, et qui sait combiner les mythes, une certaine modernité, un soupçon de magie, et des touches d’humour qui sont très agréables.
Élevée dans l'amour et le respect des traditions ancestrales, Kahu est jeune, intrépide et sans doute enfant prodige. Mais … c’est une fille et Koro Apirana, le chef d'un village situé à Whangara sur la côte Est de la Nouvelle-Zélande. Même s’il est son grand-père adoré, le patriarche se refuse à l'idée d'imaginer qu'un individu qui n’est pas de sexe masculin puisse un jour lui succéder. Il demeure obstinément inflexible dans ses croyances, et semble insensible aux démonstrations d'affection de Kahu qui, du fait de son sexe, n’a pas le droit d’aller à l’école. Et quand des baleines s'échouent sur la plage du village, il établit un lien direct entre cette catastrophe et l'ambition de sa petite-fille.
Par chance, la jeune fille bénéficiera du soutien de son oncle et de sa grand-mère, l’impétueuse Nani Flowers, toujours prête à menacer son vieux mari de divorcer. Leurs querelles sarcastiques sont amusantes. On s’y croit alors qu’on perçoit que leurs codes relationnels sont différents des nôtres.
Le roman commence comme un conte nous faisant entendre une voix nous racontant les temps anciens avant d’alterner avec des passages de la « vraie » vie, conçus à partir de faits totalement imaginaires. Néanmoins on remarquera l’allusion irradiation de Mururoa. Quand « un éclair foudroyant avait ébouillanté la mer et un redoutable tsunami sonore avait fait saigner leur oreille interne, provoquant des failles dans le lit de l’océan » (p. 57). Mais l’humour prend régulièrement le dessus. Par exemple (p. 113) : Si je m’approchais de l’eau c’était de préférence dans une baignoire où j’étais sûr de la trouver chaude. (À l’inverse de l’eau de mer).
Ce qui est particulièrement réussi dans cette œuvre c’est la simplicité d’une écriture qui, sans être excessivement militante, parvient à transmettre la vision d’un monde qui a encore la capacité de rester lié à la nature et d’entretenir des croyances ancestrales, en portant les valeurs d’un peuple trop longtemps opprimé. Il rend hommage à la culture maorie, tout en affirmant la nécessité de transcender les traditions. C’est un manifeste en faveur du courage, de l’espoir, et la démonstration de l’importance des liens entre les générations, en affirmant la puissance des femmes.
Chaque partie se clôture avec la formule « Ainsi soit fait » et la saison suivante lance un nouvel épisode, parfois à plusieurs années d’écart. Le récit accorde une large place aux éléments et aux animaux. Il est ponctué de termes empruntés à la langue maori, toujours traduits dans le cours du texte. Sauf le mot « moko » désignant le tatouage en forme de spirale sur le front de la baleine comme nous l’apprend le glossaire qui figure à la fin. Parmi les termes importants on notera Koto (vieil homme, grand-père, papy), Tohorà (baleine), et Pito (cordon ombilical) que la coutume impose d’enterrer dans un endroit précis.
Il nous adresse un message en forme d’avertissement. Autrefois la pêche était une activité sacrée. L’homme était alors en parenté avec les habitants de l’océan, et de la terre avec la mer (p. 42). Mais avec le vieillissement du monde, au fur et à mesure que l’homme négligeait sa part de divinité, il perdit aussi le pouvoir de parler aux baleines (p. 44).La scène de boucherie de 200 baleines d’une espèce en voie de disparition s’apparente à une alerte et fustige l’arrogance de l’homme qui s’imagine pouvoir être au-dessus des dieux… Kahu a intégré la « menace » : si la baleine vit, nous vivrons. Et en gagnant l'amitié de la baleine tatouée qui pleure l’homme qui la dompta et la chevaucha jadis… Kahu réussira à accomplir son destin et prouver à son grand-père qu'être fille n'est pas une malédiction…
Auteur majeur de la littérature maorie, l’écrivain néo-zélandais Witi Ihimaera (né en 1944) est un formidable conteur très primé, mais encore peu connu en France, même si La baleine tatouée nous a permis de découvrir son talent et d’asseoir une renommée désormais internationale. Ancien diplomate, professeur d'anglais à l’université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande, membre du peuple Te Aitanga-a-Mahaki, il s'est imposé sur la scène internationale avec des nouvelles puis des romans mettant en scène les confrontations entre la société maorie et celle des Pakehas, autrement dit des blancs. Il est le premier romancier maori à être traduit.
La réalisatrice Niki Caro a effectué en 2002, une adaptation cinématographique de ce roman : Paï, L’élue d’un peuple nouveau, sortie en France en 2003 et qui a été distinguée dans de nombreux festivals. Ce succès aurait semble-t-il décidé les studios Disney à en faire sa propre version, en 2016, Vaiana, la Légende du bout du monde.
La baleine tatouée de Witi Ihimaera, traduit de l'anglais (Nouvelle Zélande) par Mireille Vignol
Au Vent Des Iles, en librairie depuis le 3 Mars 2022
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023
Lu en format numérique de 147 pages
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