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jeudi 29 août 2019

Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec

Les Hirondelles de Kaboul, c'est un film qui a été réalisé à partir du livre de l'écrivain algérien Yasmina Khadra par la comédienne et metteuse en scène Zabou Breitman (Se souvenir des belles choses, 2001) et la jeune animatrice Eléa Gobbé-Mévellec, issue de la prestigieuse Ecole des Gobelins. Il retrace ce à quoi ressemblait la vie sous le régime des talibans, il y a vingt ans, lors de l’été 1998, alors que l’application de la charia restreignait drastiquement les libertés publiques et que des femmes étaient lapidées dans la rue.

Je ne vais pas le résumer ici. Vous pourrez visionner la bande-annonce. J'insisterai sur quelques aspects.

La particularité du réalisme de la bande-son m'a touchée d'emblée, dès le générique. Alors que je lisais les noms des comédiens qui feraient les voix (Simon Abkarian, Zita Hanrot et Hiam Abbass, Swann Arlaud, Michel Jonasz ... et Jean-Claude Deret, le propre père de la réalisatrice, qui, à 93 ans a donné sa voix fatiguée à Nazish, un ancien mollah qui ne suit plus le mouvement. C’est quelqu’un qui a la foi, mais qui voit les abus commis au nom de la religion. Ce fut son dernier rôle. Il disparaitra avant d'avoir vu le film.
Je me suis demandé si on avait pensé à eux avant ou après avoir dessiné les images. On jurerait que ce sont eux qui sont croqués ... et pour cause puisqu'effectivement Zabou Breitman a voulu enregistrer les dialogues avant toute chose. Et du coup Eléa Gobbé-Mévellec a fait en sorte que les images renforcent les émotions qui passaient déjà dans les mots.

C'est la démarche inverse de ce qui se fait en matière de doublage et cela donne un film qui est particulièrement vivant. Je voulais travailler "à l’envers" c’est à dire à l’endroit pour moi : l’émotion en premier.

Je ne filme pas ce que j'écris. Je filme ce que je vois. Je pense toujours en images, a dit aussi Zabou Breitman.

C'est un film d'animation, mais il est destiné à un public d'adultes (ou disons d'adolescents à partir de 13 ans). Le story-board s'appuie sur des faits qui s'inscrivent dans une réalité horrible et, même si l'aquarelle atténue la couleur du sang, les scènes de lapidation et d'assassinat sont poignantes.

On est frappé par la candeur avec laquelle des mômes manient les kalachnikovs, hurlent des insultes comme les adultes, et jettent eux aussi des pierres. Leur embrigadement ne peut pas laisser insensible. Et qu'on emploie des femmes comme gardiennes des prisons pour maltraiter d'autres femmes est une horreur supplémentaire.
Nous découvrons Kaboul en ruines pendant l’été 1998. Nous savions ce qui s'était passé mais ce film remet en lumières des faits terribles qu'il ne faudrait surtout pas oublier.

On ne peut s'empêcher de penser que le port de la burka, rendant toutes les femmes anonymes, facilita l'ignominie des actes de barbarie puisque le bourreau ne croise jamais le regard de la victime. L'inverse, par contre, n'est pas vrai et souvent la scène nous est donnée à voir telle que la femme la regarde derrière la grille du tchadri. Le film pointe aussi le décalage entre l'intransigeance (y compris à l'égard des hommes qui ne doivent pas rouler les manches de leur chemise au-dessus du coude) et la débauche que les talibans s'autorisaient.
Etait-il possible de lutter de l'intérieur ? C'est une des questions qui sont traitées. Le récit croise les destins tragiques de deux couples, l’un d’âge mûr et l’autre plus jeune, en butte à la coercition du régime : Atiq, ex-moudjahidin devenu chef d’une prison pour femmes, veille sur Mussarat, son épouse agonisante, tandis que Zunaira et Mohsen tentent de vivre tant bien que mal leur amour dans la misère quotidienne en voulant croire en l’avenir. Un geste insensé de Mohsen va faire basculer leurs vies... De son coté, le jour où Zunaira atterrit dans ses geôles, Atiq se rend compte qu’elle a pu être condamnée à tort, et dans le même temps du rôle peu reluisant qu’il tient dans ce système arbitraire.
D'énormes recherches ont été entreprises pour rendre l'histoire la plus proche possible du réel. La musique qu’écoute Zunaira au début du film est celle du clip "Burka blue", du Burka band, trois jeunes Afghanes qui ont fait un groupe de garage punk sous les talibans, et qui ont joué en burka.

La réalisatrice reconnait cependant avoir pris des libertés avec le roman de Yasmina Khadra. Ainsi Zunaira devient dessinatrice et la fresque qu'elle trace sur le mur devient un ultime acte de résistance, et Atiq de dos, homme puissant devenu bien petit devant la nudité de la grande femme.
Les hirondelles, symbole de migration et d'échappée vers la liberté, apparaissent à intervalles réguliers. La première au tout début du film est tuée d'une balle, annonçant la barbarie.

Les hirondelles de Kaboul est un film bouleversant et d'une grande justesse qui a été présenté  à Cannes dans la Sélection officielle d'Un certain regard. Absolument magnifique et essentiel. Le résultat est à la hauteur des six ans de travail de l'équipe.
Les hirondelles de Kaboul de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec adapté du roman de Yasmina Khadra, avec Simon Abkarian, Zita Hanrot, Swann Arlaud, Hiam Abbass 1h21 / Animation / France

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