L'île aux enfants a été un choc. Il est magnifique, touchant et facile à lire. Préparez vos mouchoirs mais vous ne regretterez pas cette découverte.
Si les romans sont des histoires inventées, ils le sont souvent à partir de faits réels, vécus par l’auteur ou qui lui ont été rapportés. Vous vous souvenez sans doute de mon enthousiasme pour la saga que Catherine Bardon a écrite pour restituer l’histoire méconnue de la République dominicaine.
Nous partons cette fois dans une autre île, française, à la Réunion. Ariane Bois y raconte en deux parties, très différentes, comment des enfants ont été enlevés à leur famille puis comment ils pourront peut-être retrouver leurs origines.
Au-delà du contexte historique, hélas vrai, c’est une superbe histoire d’amour qui nous interroge sur la primauté éventuelle des liens du sang. Est-on davantage mère quand on a porté un enfant ou quand on l’a élevé ? Peut-on pardonner à ses parents de nous avoir abandonné quand nous étions tout petit ? Ce sont des questions que beaucoup d’écrivains ont déjà largement fouillées.
La force de l’ouvrage d’Ariane Bois est double. D’abord pour sa valeur romanesque. Ensuite pour son intérêt sociologique et historique.
C’est un vrai roman qui emporte le lecteur. Ariane raconte l’enlèvement du point de vue des enfants sans expliquer le pourquoi du comment même si un oeil attentif remarquera une tractation secrète entre une grand-mère et une jolie dame. Ensuite elle nous transporte dans une campagne où la vie était très rude, alors que la France se relevait à peine de la Seconde Guerre mondiale. Au mieux les enfants ne sont pas considérés comme des personnes. Au pire ils sont carrément maltraités et exploités. Puis ce sont les années, je dirais 80, et on assiste à la rébellion classique d’une adolescente en mal de reconnaissance qui découvre le racisme à son égard puisqu’elle a la peau abricot foncé, à une époque où il n’est pas habituel d’en rencontrer. Double racisme en fait en raison de son physique et de son tempérament un peu sauvageon.
Cette jeune fille traverse une crise identitaire avec souffrance parce qu’on lui cache sa généalogie. Par chance elle va rencontrer un homme qui sera son mari et le père de ses futurs enfants et être enfin heureuse. Mais le brasier de ses origines n’est pas éteint.
C’est sa fille, Caroline, qui après lui avoir extorqué la signature d’une procuration, partira pour l’ile de la Réunion. Ce qui est très réussi dans le scénario c’est que l’enquête se déroule au grand jour, surtout pas en cachette, même si la mère n’est pas prête à entendre la vérité, d’autant que vont éclater plusieurs secrets du poids d’un éléphant, comme l’écrit joliment Ariane Bois.
Car son écriture est magnifique. Les descriptions qu’elle nous offre des paysages réunionnais sont idylliques, et tout à fait justes. J’ai reconnu plusieurs endroits où j’ai eu la chance de me rendre. C’est très émouvant de lire le portait qu’elle dresse des coutumes locales. Tout ce qu’elle raconte est respectueux de l’atmosphère qui règne là-bas. Ce n’est pas pour rien que cette île est appelée la Réunion … parce qu’on peut y vivre en bonne intelligence quelles que soient notre provenance, notre religion, notre couleur de peau.
Le scandale des enfants enlevés est totalement monstrueux. On sait que des tentatives semblables ont échoué chez les Antillais, sans doute parce qu’ils ont été moins confiants. Et à juste titre.
Je ne veux pas révéler davantage le cheminement des personnages. Le ton employé dans chacune des deux parties est différent. Après la plongée dans le mode de vie des années 70 en métropole nous effectuons un bond dans l’espace et dans le temps pour découvrir la Réunion d’aujourd’hui.
On devine l’exploitation cinématographique qui pourrait être faite de ce matériau. En attendant voilà un livre tout à fait adéquat pour l’été, qui vous fera voyager autant que réfléchir. Ariane Bois est de ceux qui soulève le voile sur un énorme scandale. Elle n’est pas la seule. Un rapport de mille pages vient d’être rendu au ministère des Outre-mer sur le sujet à la suite duquel Emmanuel Macron a déclaré que la France avait mal agi envers ces enfants et avait manqué à sa responsabilité morale envers eux.
J’ignorais, comme vous sans doute, ces enlèvements qui ont concerné à peu près 2000 enfants réunionnais. Il est important d’ouvrir les yeux pour que de tels agissements soient condamnés et on l’espère des familles rassemblées de nouveau.
Je connaissais par contre Ariane Bois pour ses précédents romans, qui ont tous en commun le fil rouge de la mémoire et du poids du secret familial. J'imagine que je la connaitrai encore mieux après avoir enregistré son portrait dans un prochain numéro d'Entre Voix qui sera à l'antenne sur Needradio à l'automne prochain. Cela me donnera l'occasion sans doute d'un nouvel article.
L’île aux enfants d'Ariane Bois, chez Belfond, en librairie depuis le 14 mars 2019
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