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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 22 août 2019

Feel Good de Thomas Gunzig au Diable Vauvert

Tout écrivain rêve du succès et Tom Peterman, le personnage imaginé par Thomas Gunzig (qui reconnait y avoir mis beaucoup de lui-même) n'a pas d'autre ambition.

Mais pour le moment, force est de constater que la gloire n'est pas au rendez-vous pour Tom malgré une obstination travailleuse. Certes il publie des romans chez un éditeur fidèle mais les droits d’auteur sont insuffisants. Il sacrifie ses loisirs à participer au moindre salon littéraire. Cela fait trente ans qu'il tire le diable par la queue pour faire vivre sa famille en acceptant d'animer le moindre atelier d'écriture, pourvu qu'il lui rapporte une centaine d'euros (p. 198).

Il est désabusé, pense devoir renoncer au Renaudot de ses rêves et admettre qu'il n'est pas un bon écrivain.

De son coté Alice a longtemps eu "tout juste" de quoi vivre correctement. Jusqu'à ce qu'elle perde son emploi de vendeuse de chaussures. Trop vieille (à pourtant seulement 46 ans), pas assez qualifiée, ne maitrisant pas l'anglais et n'ayant pas de permis Poids lourds, son expérience professionnelle "riche" de trente ans ne vaut rien et son employabilité est voisine de zéro.

Bien sûr il existe des allocations mais elles se réduisent en vertu des nouvelles normes européennes censées à dynamiser le marché de l'emploi (page 134). Et Thomas Gunzig fait clairement la démonstration que la perte de revenu mensuel de 600€, sans verser dans la précarité, fait passer du tout juste au pas possible (p. 50). Et sans solution puisque même s'installer dans un logement plus petit (donc moins onéreux) est inenvisageable quand on ne dispose pas d'argent pour avancer la caution, et financer un déménagement.

Les difficultés financières ont existé de tous temps. J'en ai connu de graves. Mais le contexte de plein emploi offrait des solutions. C'est tout à fait différent maintenant. L'absence d'argent, c'est pire qu'être mort (p. 384). Et le monde entier est plus que jamais des cactus ... comme le chantait Jacques Dutronc en ... février 1967.

Alice acceptera tous les emplois, tous les horaires pour ne pas perdre ses droits,. Mais cela ne suffira pas. Elle envisagera la prostitution. De "préoccupation" l'argent devient une obsession (page 56) qui frappe le lecteur : le prix de tout ce que la petite famille (Alice est devenue une maman solo) consomme (ou pas) est mentionné en chiffres. Nourrir son petit garçon devient un challenge. A l'instar du procédé d'écriture de Murielle Magellan dans Changer le sens des rivières qui commence plusieurs chapitres par une liste de dépenses.

C'est important que les écrivains se saisissent des problématiques rencontrées dans la vraie vie comme l'ont admirablement fait Stéphanie Dupays à propos de l'intrusion des réseaux sociaux dans Comme elle l'imagine, ou Joseph Ponthus avec A la ligne (Prix RTL-Lire 2019), avouant que si son roman lui rapporte suffisamment de droits d'auteur sa première grosse dépense sera d'aller chez un dentiste, rappelant évidemment la remarque méprisante d'un président de la République à l'égard des sans-dents.

On connait le roman social dont Emile Zola fut le grand maître. Ce qui est très fort avec Feel Good c'est que tout en étant dans cette veine il s'inscrit aussi dans la vague "comédie romantique" comme dans celle du "roman féministe" et en flirtant aussi avec le genre policier. Comme le feraient observer les québécois, l'écrivain belge illustre l'expression ceinture et bretelles. Il assure de toutes parts. Et ça fonctionne !

D'abord à l'intérieur de son roman où ses deux héros vont pratiquer un double braquage. Elle a braqué. Il braquera. Braquer, c'est tourner et si on considère donc ce mot avec attention on y verra l'annonce d'un changement de route ... et de vie.

Et sans doute d'une manière plus large car le résultat a toutes les qualités d'un futur best-seller. Pour peu que les bookstragramers, instabookers, booktubers, et babelieurs (auxquels les pages 130-131 rendent hommage avec humour) décident de le porter aux nues. Le mouvement a déjà commencé. Souhaitons lui de voguer loin dans cette rentrée littéraire que Sigri Nunez compare (dans son dernier roman, lui aussi sorti ces jours-ci, L'Ami, page 10) à un canot de sauvetage encombré de trop de passagers.

Je parie que lorsque les compliments vont pleuvoir dans les magazines et dans les émissions littéraires. Thomas pourra envisager avec sérénité la lecture compulsive des critiques de rentrée (p. 117). Il ne boudera pas la gloire en criant qu'ils aillent se faire foutre avec leurs articles, que ses personnages répètent en boucle pour se libérer du qu'en-dira-t-on et des contraintes.

Le constat que Thomas Gunzig porte sur la société, à travers les deux personnages de Tom et Alice, qui sont (hélas) très représentatifs de beaucoup de nos concitoyens, est très pessimiste. Sur la société, la vie de famille, la vie de couple, la condition ouvrière, les métiers artistiques. Et pourtant il se dégage un optimisme immense.

Tout jeune auteur aura intérêt à le lire. Il y trouvera la liste des meilleurs salons (p. 125) et bien des conseils qui au final sonnent juste.

Se sauver de la misère tel est le sujet que Thomas Gunzig fouille en détail en suggérant plusieurs voies pour enfin se sentir bien. Et il le fait avec un humour particulier, cette qualité si belge dont on se moque mais qu'on envie à nos voisins.

Tous ses ouvrages en sont d'ailleurs imprégnés, avec un art du non sens qu'il maitrise aussi bien que les anglais. Ce que l'on pourrait estimer absurde pourrait aussi bien être considéré sous un angle poétique ou métaphorique.

Personne ne réclame le bébé qu'Alice a kidnappé (je ne spolie pas, le rapt est mentionné sur al quatrième de couverture). Cet acte amoral n'est pas immoral. Cette femme mériterait même une médaille pour avoir en quelque sorte sauvé cet enfant. Jamais le concept de win-win n'aura été illustré avec autant d'à propos.

Nul doute que ce roman est un feel-good-book répondant parfaitement à la définition (p. 184).
Thomas Gunzig sera mon invité jeudi 19 septembre à 20 heures dans l'émission Entre Voix que je produis et anime sur Needradio. Ce sera l'occasion d'en apprendre davantage sur cet auteur, ses motivations et ses projets.

On peut parier que d'ici là il aura été présent dans tous les articles de la rentrée littéraire.

Feel Good de Thomas Gunzig, publié chez Au Diable Vauvert, en librairie depuis le 22 août 2019

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