Sophie Divry est déjà plusieurs fois primée. Elle a reçu la mention spéciale du Prix Wepler pour La Condition pavillonnaire et le prix de la Page 111 pour Trois fois la fin du monde.
Elle a publié il y a presque un an Fantastique Histoire d’amour, qui est son septième roman, récompensé par le Prix Roman France Télévisions, le Prix du Livre France Bleu et le prix Page des Libraires 2024 … et malgré tout je n'avais encore rien lu de cette auteure.
Bastien, inspecteur du travail à Lyon, vaguement catholique et passablement alcoolique, est amené à enquêter sur un accident : un ouvrier employé dans une usine de traitement des déchets est mort broyé dans une compacteuse.Maïa, journaliste scientifique, orpheline et fière, qui a érigé son indépendance en muraille, se rend au Cern, le prestigieux centre de recherche nucléaire à Genève, pour écrire un article sur le cristal scintillateur, un nouveau matériau dont les propriétés déconcertent ses inventeurs.Bastien apprend que l’accident est en réalité un homicide. Maïa, elle, découvre que l’expérience a mal tourné. Sa tante, physicienne dans la grande institution suisse, lui demande de l’aider à se débarrasser de ce cristal devenu toxique.
Arrivée page 164 -et il en reste beaucoup avant d'atteindre la 506)- je me suis demandé comment Sophie Divry allait se dépatouiller de son intrigue. Tout était clair comme du cristal de roche. Par contre, d’habitude, quand je devine ce qui va arriver, je suis agacée que l’auteur n’ait pas mieux masqué les choses. Mais là on ne perd pas son appétit et on prend nos hypothèses pour ce qu’elles sont et pas comme des certitudes. Il n'est pas exagéré de qualifier cette lecture de palpitante, même si le roman aurait gagné à être un peu resserré. Et si, a contrario, certaines voies ont été prématurément abandonnées.
Il faut donc s'armer de patience et aller au rythme imposé par l'alternance entre les personnages. Heureusement le style de Sophie Divry est souvent onirique. Par exemple la physicienne manifeste un rictus de douleur. Comme une aile d’oiseau qui se serait cognée à une vitre (p. 158). Plus loin Maïa sentit dans son corps un mouvement de bascule, comme si on larguait les amarres (p. 241).
Un peu à l'instar de Mailys de Kerangal dans Réparer les vivants, les références ornithologiques sont nombreuses, placées à bon escient mais on restera malgré tout sur notre faim …
Les personnages sont peu ordinaires et c'est ce qui participe au plaisir de la lecture. On rencontre rarement un homme (Bastien) atteint d'une mélancolie isabellienne, focalisé sur les femmes exceptionnelles. Ni une femme (Maïa) atteinte de disparitionnite aigüe. Le syndrome d'avoir les mains trouées est moins traité en littérature que son opposé celui de Diogène (tout conserver), admirablement traité par Christophe Perruchas dans revenir fils. Il est juste que les objets ne sont pas que des objets, choses inertes remplissant une fonction. Nous vivons une part de notre existence avec eux, nous nous y attachons, et quand nous les perdons, nous avons l'impression de perdre également une part de nous (p. 109).
On s'interrogera d'ailleurs jusqu'au bout sur l'origine de ce trouble, hormis sur son utilité pour faire progresser l'intrigue. Quoique Maïa ne soit pas toujours responsable des pertes (notamment p. 486 et l'effet est plutôt comique).
Le prénom de l'héroïne est sans doute signifiant, évoquant pour moi la maïeutique qui est l'art de faire accoucher les esprits de leurs connaissances, ce qui est le propre de son métier de journaliste.
Bastien nous confie que l'abbaye Saint Martin d’Ainey, en plein coeur de Lyon, une ville que connait bien Sophie car elle y habite, serait dotée d'un pouvoir de désorientation (p. 66). Sans doute au sens propre mais il aurait été passionnant de creuser cette piste. A lire un roman qui navigue entre comédie romantique et thriller, il ne faudra pas s'étonner que le lecteur échafaude des pistes, et pose un regard critique sur le scénario.
Les autres protagonistes ne sont pas moins surprenants, à commencer par cette Victoire, chercheuse au CERN de Genève qui est une vraie caricature, lointaine cousine de Mamie Luger ou de la Mémé Cornemuse de Nadine Monfils, à ceci près qu'elle n'a pas de flingue.
Le centre de recherche suisse existe bel et bien tout comme le boson qui est une particule donnant leur masse à toutes les autres particules de notre univers. Autrement dit sans le boson de Higgs, les particules ne se rencontreraient jamais, elles ne pourraient pas créer des protons et neutrons, qui, combinés aux électrons, forment la matière, ce qui fait dire à Victoire : Au-delà du boson, ce qu’on fait ici, c’est poser cette question fondamentale : pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? (p. 49)
La comparaison qu'elle établit (p. 417) entre les atomes et les groupes d’êtres humains est plutôt pertinente. Après un temps d’entente, ça explose. L'aspect scientifique du roman n'est pas négligeable et je n'ai pas de doute sur la véracité des affirmations. On est quand même vite dépassé entre la différence entre cristal et scintillateur mais là n'est pas le plus important car il ne faut pas oublier que nous sommes dans un récit fictionnel où le fantastique a toute sa place.
La présence de la statue de Frankenstein est du coup elle aussi pertinente. Elle m'a fait penser au film d'Antoine Russbach Ceux qui travaillent, qui a d'ailleurs un lien avec la profession de Bastien, inspecteur du travail.
J'ai apprécié d'apprendre l’origine de la conception du Rubik's Cube, un casse-tête inventé par Ernő Rubik en 1974, et qui atteint une popularité mondiale, quasi maladive, au cours des années 1980, et à laquelle je n'ai pas échappé. Rubik était un architecte intéressé au départ par le mécanisme de rotation sur trois plans. Quand il a colorié les dix faces il a eu besoin d’un mois entier pour résoudre le problème. Il a bien cru ne jamais y arriver … il n’était pas mathématicien (p.154.
Maïa utilise cet objet (et la poésie) à la manière d'une balle anti-stress et l'idée est intéressante. D'autant que ce casse-tête fut assez obsessionnel pour ceux qui ne parvenaient pas à le résoudre. Le roman présente à ce sujet une réflexion assez fine sur les addictions de tous genres, pas seulement l'alcool, face auxquelles nous ne sommes pas tous égaux. Egalement sur le vieillissement, son acceptation ou son refus, et sur son corollaire qui est la mort.
A cet égard le conseil médical de ne pas dire je vais essayer mais je vais le faire (p. 172) est une bonne recommandation.
Et si la vie était un rubicube dont on cherche à ordonner les faces comme certains imaginent dans la réalisation de leurs rêves un alignement des planètes ?
Ce que je vois dans ma boule … c'est une prochaine adaptation du roman en un scénario pour grand écran. L'avenir me donnera-t-il raison ?
Fantastique histoire d'amour de Sophie Divry, Seuil, en librairie depuis le 5 janvier 2024
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