Les clients viennent rue Raugraff pour la qualité des pains. Certaines recettes sont inspirées des mélanges de farine qu'on associait au XVIII° siècle. Une des favorites est la combinaison épeautre (70%)-blé(30%) avec levain naturel et sel marin de Guérande. Pour réaliser ses baguettes les plus typiques Fabrice Gwizdak se fournit dans le petit moulin vosgien de Begnecourt . Un produit de haute qualité parce que la localité se situe près de la nappe phréatique de Vittel et que le traitement du sol est très réglementé. Il entretient son levain depuis 15 ans et entend bien continuer sans rien changer. Je peux vous montrer à quoi cela ressemble mais la meilleure photo ne reconstituera pas ce délicieux parfum légèrement acide. Tous ceux qui ont essayé de faire leur pain eux-mêmes (il y a 1 million de machines à pain dans les foyers français) savent que ce n'est pas si simple que çà de faire du bon pain. Ce que personnellement j'envie toujours à ces professionnels c'est leur pétrin qui soulagerait mon poignet pour fouetter la pâte quand je me lance dans la confection de gâteaux en série.
La célébrité lui fait plaisir. Il ne s'en cache pas. Les articles de presse sont en bonne place dans la boutique. Mais c'est l'affiche d'un film de Fernandel qui occupe la plus grande superficie de l'entrée.
Fabrice Gwizdak est l'ami d'un nombre impressionnant de journalistes et il a l'habitude d'être invité dans les stations de radio ou sur les plateaux de télévision. C'est lui qui a réalisé le Biscuit de Savoie pour Geneviève de Fontenay, invitée par Michel Drucker en mai 2007. Souvenez-vous en revisionnant l'extrait. Mais ce n'est pas un homme de paillettes. C'est sa région d'origine qui est le dénominateur commun de toutes ces amitiés.
Il demeure très attaché au terroir, à la tradition et à l'histoire de la Lorraine. Un de ses plaisirs est de faire revivre une recette oubliée qu'il déniche dans un des vieux livres de cuisine qu'il collectionne. Il m'apprend que l'on doit la pâte feuilletée à un artiste lorrain. Le peintre Claude Gellée, dit le Lorrain (Chamagne, Vosges, v. 1600 - Rome, 23 novembre 1682), a d'abord été pâtissier. A quatorze ans, il suit une troupe de pâtissiers qui se rend à Rome. Il y trouve du travail comme cuisinier auprès du peintre Agostino Tassi. C'est à cette époque qu'il aurait inventé la pâte feuilletée avant de faire la carrière qu'on lui connait et de devenir une figure emblématique du paysage de style classique.
Fabrice Gwizdak est fidèle à ses origines. Il a choisi pour emblème la balance que ses parents -retraités depuis deux ans- utilisaient dans leur petite boulangerie-épicerie de Kédange-sur-Canner.
Ma mère est italienne. Mon père polonais, comme tant d'hommes venus travailler dans les mines de Jarny. Je suis né en Moselle. On ne peut pas être plus lorrain, conclue-t-il en souriant. J'ai fait mon apprentissage à Distroff, près de Thionville, et j'ai aussi un CAP pâtissier. Mais je ne suis pas devenu boulanger pour faire comme mon père. Au contraire il me disait qu'il ne fallait pas faire ce métier. Et comme la gastronomie m'attirait je suis parti comme démonstrateur dans un moulin du sud de la France. J'ai ensuite été commis de cuisine et pâtissier dans des restaurants étoilés, d'abord en Angleterre puis à la Bonne Auberge à Antibes chez Philippe Rostang (trois étoiles au guide Michelin). J'ai rencontré Isabelle qui était maître d'hôtel. Ensemble nous avons eu envie de revenir en Lorraine. En 1994, nous nous sommes installés rue Raugraff. Nous n'étions que deux à travailler, aujourd'hui nous sommes douze.
De son expérience anglaise il retient que "on est bien en France." Mais il est heureux d'y avoir appris à faire les cakes (encore un gâteau apparemment seulement facile à faire). Les anglais sont tout de même les champions du pain de mie et ce sont eux qui ont inventé les gâteaux de voyage.
Fabrice Gwizdak donne envie de travailler comme boulanger en transmettant "tout simplement" l'amour de son métier. Il accueille évidemment des apprentis, des stagiaires étrangers, comme une japonaise qui bientôt retournera à Tokyo et même aussi parfois des maîtresses de maison qui viennent apprendre la pâtisserie un après-midi : Les clients sont très contents et puis vous savez avoir la recette ne suffit pas, il faut aussi le tour de main. Il explique volontiers comment il procède, sans tricher sur les proportions (comme certains le font pour conserver leur secret). Vous trouverez sur son site la recette du Baba au rhum qui figure aussi dans le livret donné en supplément au numéro de janvier 2009 de la revue Modes & Travaux. Car le Baba est une autre de ses spécialités qui, comme le Kouglof, n'est proposé que le samedi. Le vendredi c'est le biscuit de Savoie, et le lundi la tarte au fromage blanc qui lui a valu un premier Prix en 2007 à la foire de Nancy.
Je donne des rendez-vous hebdomadaires aux habitués. Je leur fais découvrir toutes les spécialités boulangères : les brioches régionales, les fougaces, le kouing-amann, les croquets ... Je fais parfois des journées régionales.
Inutile de chercher par contre des desserts sophistiqués chez lui mais on peut tout de même être surpris comme je le fus par le Stollen, sorte de brioche feuilletée fondante aux raisins et aux amandes que je serais maintenant bien en peine de retrouver en région parisienne.
Je refuse de faire tout ce que j'estime ne pas maîtriser. Je ne fais pas de chocolats, pas de glaces. les tartes, oui. Une tarte au citron, avec de vrais fruits. Quand je fais une quiche, je suis toujours inquiet. Ne risque-t-elle pas d'être trop ceci ou pas assez cela... Faut pas avoir de certitudes dans notre profession.
Cette humilité est remarquable. On ne la rencontre que chez ceux qui ont l'amour absolu de leur métier. Fabrice Gwizdak estime qu'il lui reste du chemin à parcourir. Son rêve serait d'obtenir la certification Meilleur Ouvrier de France. Il avoue y penser tous les jours en se rasant.
C'est un concours qui n'a lieu qu'une fois tous les quatre ans. On doit imaginer une pièce artistique et assurer une fabrication classique. Mais pas question d'amener sa farine ce jour-là. Nous ne sommes jugés que sur notre travail.
En attendant cette distinction qui serait un vrai couronnement, Fabrice Gwizdak maintient le cap de la qualité "pour tout le monde" et conserve les mêmes niveaux de prix alors que les farines ont augmenté de 40% en 2008. Il regrette qu'au regard du pouvoir d'achat, on prenne les boulangers pour des boucs émissaires, responsables de l'augmentation du coût de la vie. A 88 centimes d'euros sa baguette (de 250 grammes) reste la moins chère de la ville. Pas étonnant qu'il en vende 1000 par jour ! Il est le seul à servir des sandwhichs à 2,20 € alors que les grandes enseignes de la rue voisine sont à plus du double. Les étudiants se précipitent à l'heure du déjeuner parce qu'ils savent bien que tout le monde ne pourra pas être servi. Cette année encore sa galette des Rois sera confectionnée avec un bon beurre grand cru AOC, acheté dans la laiterie artisanale de Pamplie, en Poitou-Charentes. La frangipane sera "pur amande d'Espagne".
La boulangerie reste un peu le parent pauvre de la gastronomie. Globalement on ne sait pas donner envie de faire ce métier. Je conseillerais à ceux qui se lancent dans ce métier de poursuivre le plus loin possible dans leurs études pour apprendre aussi à gérer. J'aimerais qu'on arrête de nous envoyer des jeunes en échec scolaire. On ne fait pas de la boulangerie sans vocation. Et puis surtout il faudrait que les parents n'aient plus peur de laisser leurs enfants choisir une telle orientation.
Et pourtant il suffit de pousser la porte du 19 rue Raugraff, de respirer l'odeur du fournil, d'attendre la sortie du pain des fours (qui sont là plus par manque de place que pour obéir à un effet de mode) et de se régaler des produits pour être définitivement convaincu.
Un seul regret, une seule critique, celle-là même que je faisais lorsque je vivais en Alsace : la boulangerie est fermée le dimanche. Un vrai supplice pour ceux qui adorent le croustillant de la baguette fraîche avec le café du matin. On peut toujours se consoler avec une tranche de pain de meule grillée car il se conserve parfaitement plusieurs jours à l'air libre. C'est un autre régal.
Maison Gwizdak : 19 rue Raugraff - 54000 Nancy Tél : 03 83 32 12 30
Ouvert tous les jours sauf le dimanche de 7 h. à 14 h et de 15 h à 19 h
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