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mercredi 14 janvier 2009

Mise au point sur Sabine Weiss

La maison des Arts d'Antony (92) expose pour deux mois des photographies de Janine Niepce et de Sabine Weiss. Des œuvres en noir et blanc célébrant la condition féminine pour la première et les enfants pour la seconde.

La sélection est remarquable. Les commentaires de Thu Huong Ta Thi, conseillère artistique, sont toujours aussi précieux pour saisir l'essentiel. Était-il pensable que je sorte mon appareil photo pour vous donner une idée de ce qui nous était donné à voir ? Sauf que Sabine Weiss a surgi et qu'elle m'a entrainée dans le tourbillon de ses souvenirs avec douceur, force et persuasion.

Difficile d'avoir des complexes à côté d'une telle personnalité. Alors faisons simple. Comme elle. Puisqu'elle m'a donné son accord pour que je prenne des clichés j'en ai pris, en essayant à la fois de ne pas "trop" les rater tout en montrant qu'il ne s'agissait pas de copier son art mais d'en donner à voir un petit morceau.

Le bonheur se lisait sur son visage. Elle était sincèrement heureuse de redécouvrir en grand format des images qui sont de la taille d'un timbre-poste sur les planches contact qu'elle s'attelle à mettre en ordre. Le classement de ses archives lui prend le plus clair de son temps. Alors c'est avec plaisir qu'elle évoque les moments qui encadrent tel ou tel cliché.

Là c'était un magazine américain qui m'avait commandé un reportage sur la manière de vivre des petits français. Les pochettes surprise n'existaient pas aux USA. Nous sommes en 1968. sur la plage de Deauville. Le cornet et la pochette se font visuellement écho, comme les rayures des petits pulls, les deux paires de sandales dont on voit que la fillette a enfilé la gauche en toute hâte.

- Ce garçon là, il a pris le téléphone et s'est mis à hurler dedans. Une vraie colère. C'était pour le catalogue de tricot Korrigan. Je l'ai revu adulte. Il m'a dit qu'il n'avait pas changé de caractère.

- Et cette petite fille ?

- Oh, ce n'est pas du tout un portrait fait dans le studio d'Harcourt. Encore une" simple" photo de mode.

Elle sourit quand je lui fais remarquer qu'elle m'évoque les Ménines de Vélasquez. Elle se défend d'avoir joué excessivement avec les éclairages.
- La lumière elle est là, et on fait avec quand on est photographe. J'ai jamais recherché une certaine lumière, mais quelque chose qui m'étonne et me touche.

Un visiteur la félicite pour avoir photographié Manitas de Plata en lui disant qu'il a vécu le même moment à Séville.
-Oh, non, c'est la petite danseuse qui m'intéressait. C'est bien plus tard que j'ai su qu'il était là.

Thu Huong Ta Thi l'écoute avec inquiétude. C'est elle qui, sans indication préalable, a disposé les cadres, en cherchant à faire dialoguer les photos entre elles.
-J'aime beaucoup votre accrochage, lui confie Sabine Weiss qui semble revivre des instants de ses nombreux voyages.
- Cette petite fille couchée sur l'arbre ... je ne sais plus si l'arbre penchait sans elle.
- Ce petit garçon qui regarde la statue par en-dessous, c'était un enfant d'artiste.
On la complimente sur ce cliché où une grappe d'enfants est perchée au sommet d'un arbre. Elle sourit. J'aime beaucoup jouer avec les gosses, leur lancer des défis du type : - Chiche que vous êtes pas cap de grimper en haut ! Mais mes photos n'ont pas toutes une histoire. Certaines, c'est des moments. J'aime être n'importe où et faire de la photo.
Regardant cet enfant jouant au cerceau avec une petite roue qu'il pousse avec un bâton elle murmure : Partout les enfants jouaient comme cela. Après un temps d'arrêt elle poursuit : Maintenant ils jouent plus. Ils regardent la télévision.

Ses préférés restent les anonymes et les mendiants. Un enfant mineur la bouleverse toujours autant.
De Sabine Weiss on connait de superbes clichés qui ont été repris par Reporters sans frontières. Ce visage a fait le tour du monde. En couverture du livre "100 photos pour la liberté de la presse".

La misère et l'injustice la révoltent. Elle me raconte comment elle a patiemment "apprivoisé" des enfants d'un squatt parisien du boulevard Vincent-Auriol avant d'arriver à les photographier. Hélas des promoteurs lorgnaient le terrain en s'impatientant. L'immeuble fut ravagé par un incendie qui emporta 17 vies humaines en août 2005. L'hypothèse d'un court-circuit fut écartée : il n'y avait ni circuit électrique ni câblage à cet endroit. Une enquête pour "crime flagrant" fut ouverte mais ne donna rien. Un nouvel immeuble fut construit. Depuis, la photographe ne manque pas une occasion de dénoncer la cupidité et la malhonnêteté du procédé.

Sabine Weiss est attentive au discours de l'adjointe au maire, chargée de la culture. Patiemment elle en corrige les inexactitudes de sa biographie, ne cherchant nullement à embellir la réalité.
Je n'étais pas scolaire. J'ai fui l'école pour aller avec une amie au festival de musique de Lucerne ... à bicyclette (comment faire autrement, c'était la guerre). Et puis j'ai bifurqué. J'ai travaillé au pair dans une très bonne famille. On m'avait surnommée "la petite abeille" parce que je travaillais tout le temps.
Elle raconte en toute simplicité ses débuts dans la vie active, très active, témoignant tout à la fois d'un caractère bien trempé, extrêmement volontaire et très modeste à la fois. La photographie est devenue son métier parce qu'elle estimait en toute humilité s'y connaître un peu. La suite de ses confidences va rester entre nous parce qu'elles pourraient être mal comprises. Cette française née à "G'nèv" est devenue parisienne dans l'âme. On est loin du long portrait académique que l'on peut lire d'elle dans Wikipédia et auquel je vous renvoie malgré tout pour les grandes étapes. Mais écoutons sa version :
Je n'ai eu aucun maître. Pas plus Doisneau qu'un autre. Excusez-moi de le dire, mais c'est la vérité. Je suis arrivée sans un sou à Paris en 1946. C'était une époque formidable. On mangeait dans des petits bistrots pour trois fois rien. On se logeait dans des hôtels de la rue Bonaparte devenus aujourd'hui hors de prix. J'ai travaillé avec le photographe de mode, Willy Maywald, un allemand réfugié en Suisse pendant la guerre. J'en ai connu alors des mannequins ... Un jour j'ai montré des photos au grand magazine Vogue. Un petit bonhomme dans le fond de la pièce a marmonné "celle-là, elle a tout compris". C'était Doisneau mais je ne savais pas qui c'était. J'ai été engagée sur le champ, pour six pages par mois. C'était énorme. Après nous sommes devenus amis, naturellement.
Elle convient qu'elle a fait beaucoup de tout, énormément de bébés, des natures mortes, beaucoup de choses de la rue aussi, des musiciens, de la mode, de la pub. Qu'il fallait bien faire bouillir la marmite. Moi qui n'aime que les choses simples, j'ai beaucoup travaillé pour des revues sophistiquées ... Elle était sous contrat dans plusieurs agences et chacune lui avait collé une étiquette différente. Il n'y a que le reportage de guerre qui lui a échappé. J'aurais pas pu, dit-elle en riant et en faisant mine de trembler.

A ceux qui lui demandent si elle regrette l'âge de l'argentique elle exprime son enthousiasme pour le numérique : J'adore ! Çà calcule la profondeur, la mise au point, le temps de pause. Et puis c'est très léger. Avec mon grand âge c'est un avantage. Elle ne se prive pas de dire que "dans le temps" certains films étaient de mauvaise qualité, qu'on faisait souvent des erreurs avec ce type de pellicule, qu'elle se souvient de séances photo avec Maria Callas où elle a "tout doublé" par sécurité. Elle n'exprime aucune nostalgie. Le plus important c'est le sujet, le hasard, le regard. Avec le numérique les gens qui voient bien feront des choses très bonnes.

Elle a utilisé de multiples appareils sans avoir de véritable préférence. On comprend bien que pour elle c'est le résultat qui compte. On lui demande ce que deviendront ses oeuvres.
-Lartigue a tout donné. C'est trop risqué... Pour finir dans des caves ... Ma fille s'y est intéressée. Moins maintenant ... Je ne sais pas ... la famille, c'est compliqué ...

Une ombre passe. Et puis le ton redevient espiègle. Sabine a même des talents de comédienne. Il faut l'entendre parler de ses assistantes. J'aime trop être seule et j'aime bien faire tout moi-même. Mais il y a eu des années où j'avais tellement de travail que j'ai engagé des assistantes. J'ai du me séparer de la première, elle avait trop d'enfants. La troisième était trop bavarde. Je me sauvais quand elle arrivait. Et je l'entendais continuer à parler toute seule, à haute voix, se lamentant que la patronne voulait qu'elle se taise. Elle n'arrêtait jamais.

Elle a été beaucoup exposée. Très tôt, dès 1950, dans des lieux prestigieux comme le Museum of Modern Art de New York (MOMA) ou l'Art Institute de Chicago. Elle ne se rend alors à aucun vernissage mais elle garde les cartons d'invitation comme des reliques. Sans doute a-t-elle été étonnée d'être autant célébrée alors que son mari, le peintre Hugh Weiss l'était (un peu) moins.

Jusqu'au 25 janvier elle expose aussi à la Maison européenne de la photographie, et jusqu'au 22 mars 2009 au Musée de Pontoise (95) les visages de la musique classique.

Les photos auxquelles je fais référence dans cet article sont visibles à la Maison des Arts d'Antony, Parc Bourdeau, 20 rue Velpeau, tel 01 40 96 31 50, du jeudi au vendredi de 12 à 19 heures, le samedi de 11 à 19 et le dimanche de 14 à 19 heures.

Cette exposition partage un très grand nombre de photos avec le superbe ouvrage que Jean Vautrin a consacré à Sabine Weiss aux éditions de La Martinière en 2003, à commencer par la couverture. Le portrait qu'il a brossé d'elle est un des plus beaux qu'on puisse écrire. J'ajouterai que pour moi c'est un peu l'Agnès Varda du monde photographique.

C'est malheureusement un livre "épuisé" que vous aurez peut-être la chance de dénicher dans une bibliothèque ...

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