Alors que le Prix Goncourt "classique" a été décerné à Marie NDiaye pour Trois femmes puissantes (et le Goncourt-Prix polonais à Delphine de Vigan pour les Heures souterraines) c'est Viviane Forrester qui a reçu le Goncourt de la biographie, à Nancy, pendant la manifestation du Livre sur la Place pour son immense biographie de Virginia Woolf.
S'il existe une spécialiste de la question c'est bien Viviane Forrester, et depuis très longtemps. Bernard Pivot, dont elle fut une précieuse collaboratrice reconnait, selon son propre aveu, avoir découvert Virginia Woolf grâce à elle qui réussit à lui imposer un reportage dans sa première émission littéraire, "Ouvrez les guillemets".
Depuis, elle n'a cessé des recherches entreprises avec une détermination archéologique ; elles ne pouvaient qu'aboutir à cet énorme livre qui est bien davantage qu'une biographie et qui tombe à pic tant les références à Virginia Woolf émaillent les romans contemporains. Une des dernières dont je me souvienne est celle de Patrick Poivre d'Arvor qui cite la romancière anglaise à plusieurs reprises dans Fragments d'une femme perdue.
Je ne savais jusqu'alors pas grand chose de Virginia Woolf. Je la connais mieux désormais et je comprends l'hommage appuyé qu'elle a suscité.
Les amateurs de biographie classique seront probablement surpris parce que Viviane Forrester plonge à bras le corps dans la vie de son égérie sans préambule et en se démarquant de la chronologie. Les faits (réels) sont proprement incroyables et la famille Woolf -multirecomposée- inspire une confusion comparable à la dynastie des Plantagenêt pendant la guerre des deux roses. L'arbre généalogique des protagonistes m'a beaucoup manqué jusqu'à ce que je le découvre incidemment... page 313 bien avant d'achever la lecture. C'est une aide indispensable.
Viviane Forrester s'était exprimée avec fougue à Nancy en livrant au public venu l'écouter sur la scène de l'Opéra national de Lorraine les éléments les plus déterminants. J'invite le lecteur à écouter l'enregistrement de cette interview par Bernard Pivot après une introduction savoureuse de André Rossinot.
L'écriture de Viviane Forrester est vigoureuse, affranchie des tabous, osant des expressions étonnantes comme celle-ci (page 150) annonçant que Virginia "va se foutre à la flotte". Il y a aussi de nombreuses redites, au mot près. Mais ces défauts sont mineurs au regard de la somme de détails qui alimentent une analyse passionnée et passionnante, qui prend souvent des airs de conversation.
Virginia Woolf pourrait être la figure emblématique des femmes victimes de harcèlement moral. Conditionnée par une mère distante (elle lui reproche juste avant de mourir de ne pas se tenir droite en la traitant de petite chèvre), par un père maniaque et colérique, endeuillée à nombreuses reprises, Virginia est une proie facile pour un mari qui lui devra sa propre stabilité et son statut mais qui, au lieu de lui en savoir gré, lui fait payer sa dépendance en lui interdisant la maternité et en s'évertuant à la faire passer pour folle ; l'opération est facile dans une société pliant alors sous l'emprise masculine et n'ayant pas besoin de preuves pour croire.
Virginia se protège comme elle peut de ce qu'il est "impossible de dire à haute voix" par des souvenirs-écrans et fera montre toute sa vie d'une énergie, d'une volonté d'exister, de survivre, surtout de ne pas se laisser isoler et faire partie des autres (page 176). L'écriture est toute sa vie. Mais son mari est persuadé y être pour beaucoup (page 83). C'est peut-être vrai, concède Viviane Forrester qui décidément est bien honnête avec le bourreau.
Affolé par l'arrivée de la seconde guerre mondiale il lui propose de se supprimer avec lui. Neuf mois plus tard la reconnaissance du milieu littéraire ne suffit plus à la protéger des démons. Le rempart de ses lecteurs cède. Virginia frotte les parquets de sa maison avec une belle énergie puis elle va se jeter dans une rivière, les poches lestées de pierres.
Aura-t-elle au moins, comme elle l'écrit dans une de ses dernières phrases, porté un dernier regard sur toute la beauté du monde ?
Son mari lui survivra 28 ans. Là encore Viviane Forrester ne porte pas de jugement définitif, considérant qu'un suicide ne résulte pas d'une seule cause mais d'un faisceau d'éléments (page 97) et estimant que ce dont Virginia aura le plus été privée c'est de respect. En ce sens cette biographie peut se lire comme une réhabilitation.
Virginia Woolf, par Viviane Forrester, chez Albin Michel, 2009.
S'il existe une spécialiste de la question c'est bien Viviane Forrester, et depuis très longtemps. Bernard Pivot, dont elle fut une précieuse collaboratrice reconnait, selon son propre aveu, avoir découvert Virginia Woolf grâce à elle qui réussit à lui imposer un reportage dans sa première émission littéraire, "Ouvrez les guillemets".
Depuis, elle n'a cessé des recherches entreprises avec une détermination archéologique ; elles ne pouvaient qu'aboutir à cet énorme livre qui est bien davantage qu'une biographie et qui tombe à pic tant les références à Virginia Woolf émaillent les romans contemporains. Une des dernières dont je me souvienne est celle de Patrick Poivre d'Arvor qui cite la romancière anglaise à plusieurs reprises dans Fragments d'une femme perdue.
Je ne savais jusqu'alors pas grand chose de Virginia Woolf. Je la connais mieux désormais et je comprends l'hommage appuyé qu'elle a suscité.
Les amateurs de biographie classique seront probablement surpris parce que Viviane Forrester plonge à bras le corps dans la vie de son égérie sans préambule et en se démarquant de la chronologie. Les faits (réels) sont proprement incroyables et la famille Woolf -multirecomposée- inspire une confusion comparable à la dynastie des Plantagenêt pendant la guerre des deux roses. L'arbre généalogique des protagonistes m'a beaucoup manqué jusqu'à ce que je le découvre incidemment... page 313 bien avant d'achever la lecture. C'est une aide indispensable.
Viviane Forrester s'était exprimée avec fougue à Nancy en livrant au public venu l'écouter sur la scène de l'Opéra national de Lorraine les éléments les plus déterminants. J'invite le lecteur à écouter l'enregistrement de cette interview par Bernard Pivot après une introduction savoureuse de André Rossinot.
L'écriture de Viviane Forrester est vigoureuse, affranchie des tabous, osant des expressions étonnantes comme celle-ci (page 150) annonçant que Virginia "va se foutre à la flotte". Il y a aussi de nombreuses redites, au mot près. Mais ces défauts sont mineurs au regard de la somme de détails qui alimentent une analyse passionnée et passionnante, qui prend souvent des airs de conversation.
Virginia Woolf pourrait être la figure emblématique des femmes victimes de harcèlement moral. Conditionnée par une mère distante (elle lui reproche juste avant de mourir de ne pas se tenir droite en la traitant de petite chèvre), par un père maniaque et colérique, endeuillée à nombreuses reprises, Virginia est une proie facile pour un mari qui lui devra sa propre stabilité et son statut mais qui, au lieu de lui en savoir gré, lui fait payer sa dépendance en lui interdisant la maternité et en s'évertuant à la faire passer pour folle ; l'opération est facile dans une société pliant alors sous l'emprise masculine et n'ayant pas besoin de preuves pour croire.
Virginia se protège comme elle peut de ce qu'il est "impossible de dire à haute voix" par des souvenirs-écrans et fera montre toute sa vie d'une énergie, d'une volonté d'exister, de survivre, surtout de ne pas se laisser isoler et faire partie des autres (page 176). L'écriture est toute sa vie. Mais son mari est persuadé y être pour beaucoup (page 83). C'est peut-être vrai, concède Viviane Forrester qui décidément est bien honnête avec le bourreau.
Affolé par l'arrivée de la seconde guerre mondiale il lui propose de se supprimer avec lui. Neuf mois plus tard la reconnaissance du milieu littéraire ne suffit plus à la protéger des démons. Le rempart de ses lecteurs cède. Virginia frotte les parquets de sa maison avec une belle énergie puis elle va se jeter dans une rivière, les poches lestées de pierres.
Aura-t-elle au moins, comme elle l'écrit dans une de ses dernières phrases, porté un dernier regard sur toute la beauté du monde ?
Son mari lui survivra 28 ans. Là encore Viviane Forrester ne porte pas de jugement définitif, considérant qu'un suicide ne résulte pas d'une seule cause mais d'un faisceau d'éléments (page 97) et estimant que ce dont Virginia aura le plus été privée c'est de respect. En ce sens cette biographie peut se lire comme une réhabilitation.
Virginia Woolf, par Viviane Forrester, chez Albin Michel, 2009.
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