La Compagnie Dos à Deux a présenté sa dernière création, la cinquième, sur la très belle scène de l'Onde, à Vélizy (78). L'intitulé, Fragments du désir, fait écho à un roman récemment publié tout comme on pourra ressentir une certaine ressemblance avec le spectacle InSTALLation qui va investir l'Espace Cirque d'Antony (92) à partir du 12 décembre (et dont je parlerai très bientôt).
On constate de plus en plus la volonté des artistes de ne pas construire leur expression à partir d'un seul point de vue. De nouvelles formes de récit, sans véritable narration littéraire, investissent les salles de spectacles, d'où l'emploi judicieux du terme "fragments". On pourrait aussi établir un parallèle avec la Fin d'une liaison de par le même principe de conjuguer les ombres et les lumières.
Artur Ribeiro et André Curtis vont de plus en plus loin en conjuguant onirisme et théâtralité. Cette dernière création marque une rupture avec leurs précédents spectacles. L'écriture scénique s'inscrit tout à la fois dans le théâtre, la danse et la manipulation d’objets et de décors. Plusieurs histoires nous sont racontées, que l'on suivra en tâtonnant puisque les quelques mots entendus ne permettront pas d'en décrypter totalement le sens. Le récit est découpé comme le story-board d'un projet cinématographique. On reconnait malgré tout nettement un embryon familial autour d'un fils (Angelo), d'un père et d'une gouvernante (Olga). Les non-dits instaurent un silence de plomb sans détruire le lien familial qui parfois se réduit symboliquement à un fil. Ce qui est vite évident c'est que personne n'accepte de perdre et que le désir est un carburant vital. Le père vieillit, empêché d'agir par un handicap. Le fils grandit, voulant devenir une femme; il prendra Angel comme nom de scène. Orlando, aveugle, tombera sous son charme sans savoir qui il est vraiment.
Chacun, selon son vécu personnel et sa culture, pourra y voir des références à l'univers des contes, à certaines actrices du cinéma américain, à une philosophie japonisante. Beaucoup d'interprétations sont ouvertes.
Les photos (crédit Xavier Cantat) illustrent la pluralité des lectures qu'on peut faire, entre rêve et fantasme. Des images mystérieuses sont croisées avec des intrusions du monde. Des lignes géométriques habitent les formes et esquissent un univers cubiste, traversé par des échappées baroques : le jeu d’échiquier, la porte de la maison du père, le costume d’Olga, le lustre du repas comme contrepoint à la ligne de la table.
Ajoutez à cela des lumières dessinées par traits et coupures, jouant du clair-obscur et illuminant l'essentiel d'un geste, une partie du corps, une marionnette qui prend soudain vie. Les objets ont plus d'importance que les décors qui ne sont qu'esquissés. Les costumes sont extrêmement travaillés. C'est noir ou blanc, quasi binaire, mais le rouge arrive souvent en contrepoint, fulgurant. Et c'est magnifique !
Les créateurs qualifient leur travail de minimaliste. Je le dirais plutôt maximaliste tant les images sont évocatrices. Tout se dit sans l'emploi de mots. Les émotions sont fortes et nous arrivent parfois comme en langue étrangère. Mais la progression du récit s'organise comme une chorégraphie. Les tableaux se succèdent avec une esthétique très élégante et une gestuelle parfaitement rodée. Attendez-vous à l'étonnement car ce n'est pas un spectacle "classique". Acceptez d'être surpris et vous tomberez dans l'enchantement.
Fragments du désir sera donné en novembre au Vésinet, à Périgueux et à Rungis. Ensuite la tournée se poursuit avec de nombreuses dates que vous trouverez sur le site de la Compagnie. Les lecteurs parisiens pourront venir le voir sur la scène de la Piscine à Chatenay-Malabry le 5 février, au Kremlin-Bicêtre le 18, puis le 9 avril au théâtre Victor Hugo de Bagneux.
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