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jeudi 17 juin 2010

Les Perspectives de Camille Henrot à l'Espace culturel Vuitton

Marie-Ange Moulonguet, directeur de l’Espace culturel Louis Vuitton, connait bien Camille Henrot qu’elle a déjà accueillie au 7ème étage de l’immeuble, au 60 rue de Bassano, au-dessus de la boutique du 101 Champs Elysées.

Elle a organisé il y a une dizaine de jours une rencontre entre l’artiste, Jacques Leenhardt, directeur des études à la prestigieuse école des Hautes Etudes et Jean-Hubert Martin, directeur honoraire du musée national d’art moderne Centre-Pompidou. Cet échange a eu lieu devant des témoins admiratifs de tant d’intelligence. Car la jeune femme ne s’est jamais laissée démonter par ces hommes brillants, rendant très pertinente à posteriori la question de M.A. Moulonnet, à savoir qui cuisine qui aujourd’hui ?

C’est que Camille possède une culture immense qu’elle a totalement digérée. Les connaissances de cette jeune artiste (c’est une trentenaire qui, entre deux voyages au bout du monde, vit et travaille à Paris et qui a été nommée à l’édition 2010 du prix Marcel Duchamp) ne sont pas des étalages de savoirs mais une vraie nourriture de l’esprit qu’elle partage avec simplicité et c’était une grande chance de pouvoir l’écouter. Si elle entend que ses références peuvent devenir un frein pour le spectateur qui pourrait ainsi perdre sa liberté de penser elle répond avec le sourire qu’il convient alors de venir voir ses œuvres en son absence. Elle ajoute que chacun peut les interpréter selon sa propre sensibilité et qu’elle ne s’offusquerait pas d’être mal comprise.

C’est une femme généreuse qui ne se fâche pas que les anthropologues débattent sur les mots, quitte à perdre de vue la réalité des faits. Elle donne patiemment les clés pour comprendre sans jamais faire la leçon, mais toujours avec précision. L’écouter s’apparente à une opération de dopage intellectuel. Le terme d’acculturation est positif dans son discours. Elle l’associe à la transformation.

Elle travaille en sens inverse de ceux qui idéalisent ce qui n’a pas été touché par l’homme, utilisant des matériaux de récupération qui tous ont un lien de parenté avec la communication, sans craindre les malentendus puisque la création se nourrit précisément de malentendus. Ce qu’elle fait a quelque chose à voir avec la pureté.

Transformer un objet du quotidien pour en faire une pièce de musée est une opération magique pour conjurer la menace du temps. C’est un peu l’idée des Objets augmentés. Elle aurait pu employer du bronze ou du plâtre mais elle a choisi une matière vivante, le goudron, en ne se privant pas de l’éventualité de le voir craqueler, ou de faire des bulles. Le goudron est une matière sale mais qui est aussi le cœur de la terre. Il est difficile de s’en procurer (cela ne se vend pas au détail), de le manipuler et de le fixer. Libre à nous d’y voir une représentation de Kinder surprise géants. Par contre n’allons pas jusqu’à les imaginer recouverts de plumes, l’allusion serait trop littérale.
Elle établit des connexions mais sans porter de jugement. On entend pourtant clairement un message d’alerte sur la disparition. En utilisant des durites usagées pour représenter des Espèces menacées en s’inspirant de la forme de certains masques bambara du Mali ne signifie-t-elle pas aussi son regret qu’une voiture d’exception portant un nom d’animal sauvage comme la Porsche cayman ne puisse pas elle aussi bientôt disparaitre ?

Camille Henrot n’a pas le culte de l’authenticité mais celui de la sincérité. Qu’un objet volé ait davantage de valeur après cet acte a de quoi la révolter tout comme cette idée préconçue que le beau soit forcément ancien.
Je me méfie des catégories, utiles comme outils pour penser, mais la liberté de l’artiste est de proposer des théories personnelles, irrationnelles, voire utopiques ; en un mot d’interroger la légitimité du savoir. L’exposition évoque l’absurdité du concept de pureté des civilisations à la fois dans l’espace et dans le temps. Chaque objet porte en lui une mémoire collective et individuelle, il a un passé et un avenir, un ici et un ailleurs.
Elle aurait voulu dresser l’inventaire des variétés de maïs mais elles ont toutes été bloquées en douane pour diverses raisons. L’installation « Sanctuaire » met donc en scène un unique épi encerclé par un dispositif photographique. Il est doublement symbolique, d’abord d’un monde directement en voie de disparition, celui des indiens hopis qui ont donné cette « poupée » (c’est ainsi qu’on appelle les épis de maïs) qui rappelle les poupées kachinas, et celui d’un monde en évolution qui précipite sa propre destruction puisque ce végétal étant devenu un bio-carburant son prix connait une inflation proportionnelle à celui de la viande. C’est aussi une référence au roman de Faulkner.
Le tapis est, selon le Corbusier, la forme la plus évidente d’architecture, mobile d’habitat nomade. Camille Henrot a posé le sien, d'apparence navajo, reprenant les silhouettes de monuments emblématiques de l’architecture moderniste, en rouge et noir, devant la fenêtre qui s’ouvre sur le ciel parisien, composant le Plongeon du funambule d’Odile Decq, architecte française, que je dois bientôt rencontrer et sur laquelle je ferai ensuite un focus.

Cet objet unit les deux artistes, faisant le lien entre leurs Perspectives réciproques. On a dénoncé les musées comme « des églises culturelles où les non pratiquants n'osaient pas entrer ». Au centre culturel Vuitton tout est mis en œuvre pour que chaque visiteur se sente accueilli et il ne faut pas hésiter à y monter d'ici le 5 septembre. L'entrée est libre et l'ascension est en elle-même une initiation, comme je le décrivais dans le précédent article.

Espace culturel Louis Vuitton, 60 rue de Bassano, 75008 Paris, 01 53 57 52 03
du lundi au samedi de 12 à 19 heures, dimanche et jours fériés de 11 à 19 heures

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