Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

samedi 10 mars 2018

Rare birds de la Compagnie Un loup pour l'homme

Rare Birds est la nouvelle création de la compagnie Un loup pour l’homme dont j'avais apprécié Face Nord en 2015, créé avec Frédéric Arsenault qui, depuis, a quitté la compagnie.

Alexandre Fray a conservé l'esprit de l’acte fondateur posé il y a dix ans avec  Appris par corps sur leur recherche autour des portés acrobatiques. Mais avec une équipe renouvelée et rajeunie. Le titre du spectacle donné en anglais, permet une certaine distance avec l'animal. Si les acrobates cherchent constamment à s'affranchir de la pesanteur ils ne revisitent pour autant pas le mythe d'Icare. Ils ne portent pas d'ailes et ne risquent pas de les brûler.

Ce sont tout de même ce qu'on appelle de drôles d'oiseaux tant leurs postures sont étonnantes, si simples et si complexes à la fois. La piste du chapiteau de l'Espace Cirque d'Antony semble recouverte d’un disque de neige ... à moins que ce ne soit une moquette de laine bouclée.
Je repère quelques artistes sont aux aguets, assis au premier rang, en tenue de camouflage. Habillés comme vous et moi, en jeans et tee-shirts de tous les jours. Alexandre Fray remercie le public d’être venu partager la conception de l’acrobatie de la compagnie : un mouvement en constante évolution. Ce soir, forcément, ce sera différent d’hier. Le spectacle est comme une plante à qui on apporte des soins et qui se nourrit aussi du regard que vous posez sur lui.

Sur ces mots il va tranquillement s’asseoir et regarde le public d'un sourire peu ordinaire. Sergi Pares arrive, simplement vêtu d'un tee-shirt barré d'un arc-en-ciel et accroche son regard. Les pointes de leurs pieds se frôlent dans un silence absolu. Ça commence entre eux comme un jeu de bac à sable, quand un môme lance un défi à un autre, sans avoir besoin de parler. Les mouvements sont lents et doux, mais on se rend ne compte tout de même qu’aucun de nous ne serait capable de les reproduire.  Sergi est accroupi sur la pointe des pieds d'Alexandre. C'est tout et rien que ça c’est déjà de l’équilibre, de l’acrobatie.

Le spectacle est une exploration, une investigation de l’étendue des possibles. Dans un instant on verra un homme, oui, comme un oiseau posé sur une main, sauf qu’ici c’est disproportionné puisque c’est un homme. Ils inventent une marche, une danse, une nouvelle façon de skier ... Il y a quelque chose joyeux qui se propage dans les gradins. L'accélération est légère. Jamais encore Sergi n’a posé un pied sur le sol et pourtant il a déjà fait trois tours de piste. Il devient animal.

Un troisième les rejoint. C'est Frédéri Vernier, reconnaissable à son pantalon rouge. Il prend le relai. Sergi n’a toujours pas mis pied à terre. Un petit bout de femme s’en mêle. C'est Spela Vodeb, rejointe par Arno Ferrera et enfin Mika Lafforgue.

On découvre une nouvelle conception de l'alpinisme, toujours avec le seul claquement des pieds comme accompagnement musical avant que n’arrivent quelques notes de contrebasse.

Les enfants adorent jouer à marcher comme ça, en posant les pieds sur ceux du copain ... Mais nos oiseaux acrobates le font en mouvements très savants, projetant un sourire radieux quand d’habitude on remarque des rictus de concentration et d’effort sur le visage des circassiens.

Ils explorent les limites de l'équilibre. En duo, en trio ou tous ensemble, ces acrobates sont de ceux qui inventent leur propre langage : un langage sur le fil du jeu et de l’émotion, où les prouesses des corps racontent avant tout le mystère des relations humaines. Ils nous donnent une leçon sur l'évolution des moyens de locomotion en faisant surgir un bestiaire fantastique.

Rien à voir avec les précédents spectacles même si on retrouve, esquissées, des figues du précédent. C’est net, on perçoit maintenant des notes de piano. Les voilà comme portés par de hautes échasses.  Ils déambulent comme les artistes échassiers des spectacles de rue. Mika et Frederi veulent imiter leurs camarades mais leur allure n’a rien à voir. On dirait qu’ils traversent avec précaution un champ de mines.
Sergi a son style, une démarche de patineur, qui devient nettement cavalier, provoquant des rires dans le public. Démarrent alors les sauts, les projetés. Quelle confiance il faut pour s’abandonner en arrière. Ils ont jeté leur sweat, la sueur perle sur les muscles.

Ils enclenchent sur un nouveau jeu, le saute-mouton. On reconnait ensuite le petit train. On a compris avec bonheur qu'ils vont réinventer toutes ces figures des cours de récréation. Ils s’empoignent, sont pierres qui roulent. Difficile de discerner qui imite qui, en tout cas ça fait rire les enfants.
L’instant devient grave. S'échafaude une pyramide que l’on devine dangereuse, qui se superpose une image du précédent. L’oreille accroche parfois une note répétitive de musique.

Les spectateurs sont aussi concentrés que les artistes. A force de les scruter, on remarque leur mode de communication, d’une pression de main, signifiant on continue ou on arrête, c'est selon. Leurs équilibres sont improbables. Comme ça a l’air fastoche mais les rigoles de sueur disent tout le contraire.

Arno fait plusieurs tours de piste sur un genou. Ça va si vite qu'il nous est difficile de rester immobiles. On a très envie de le rejoindre. La vapeur d’eau s’élève au-dessus de son dos comme de celui d’un cheval qui vient de se lancer dans un galop fou. Le public conscient de la performance, applaudit.

On se dit que c’est finit, qu'il faut bien que ça se termine. Mais quelqu’un arrive du public, habillé comme vous et moi qui s’assoie en face de lui, pieds tendus, sourire engageant quoique timide. On ose le défier, on voudrait continuer à jouer ? Ça pourrait être vous, ça aurait pu être moi. C'était Lou. Noir.
Alexandre souhaitait recultiver le goût de la précision, voire le désir de perfection. Tendre vers le déséquilibre parfait. Cette troupe d'oiseaux rares réussit à démontrer que l’acrobate est un homme qui s’adapte. Quand les poissons sont sortis de l'eau pour la première fois ils n'imaginaient pas devenir des oiseaux ...

J'ai choisi de terminer en vous montrant un petit film de leur travail de création, en extérieur, plutôt qu'un extrait du spectacle.


Rare birds, création 2017 de la Compagnie Un loup pour l'homme
Direction artistique Alexandre Fray
Avec les créateurs interprètes Alexandre Fray, Arno Ferrera, Mika Lafforgue, Sergi Pares, Frédéri Vernier et Špela Vodeb
Du 9 au 25 mars à l'Espace cirque d'Antony
Rue Georges Suant, 92160 Antony

Ils seront au théâtre de Poche de Hede-Bazouges du 7 au 9 juin 2018

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)