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lundi 13 septembre 2021

Ouistreham, film d’Emmanuel Carrère

Emmanuel Carrèreadapté le récit Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas paru en 2010.
Au tournant de la cinquantaine, l'écrivaine Marianne Winckler s’installe près de Caen sans révéler son identité et se fait embaucher dans une équipe de femmes de ménage. Elle va expérimenter le travail intérimaire et approcher la fragilité économique.
Ouistreham ne m’a pas passionnée. Vous direz que c’est parce que j’avais lu le livre (voir ici mon avis en 2011), et que donc je connaissais l’histoire. Mais alors comment expliquer que, reprenant le récit de Florence Aubenas à mon retour du cinéma, je sois encore en train de le relire à deux heures du matin sans ressentir le moindre ennui ?

C’était pour moi un livre choc dont je pensais qu’il avait le pouvoir de faire bouger les lignes en dénonçant les dysfonctionnements, pour commencer ceux de Pôle emploi. Un film aurait eu le potentiel pour aller plus loin. Il est probable que Florence Aubenas s’en inquiétait puisque les tractations ont duré des années avec diverses sociétés de production jusqu’à ce qu’elle accepte finalement en 2015 que ce soit Emmanuel Carrère – écrivain du réel et réalisateur – qui adapte son livre au cinéma.

Pour conserver l'aspect documentaire du récit, le réalisateur décida que tous les rôles soient interprétés par des comédiens non-professionnels, à l‘exception du rôle principal confié à Juliette Binoche qui se disait très motivée par le thème. Que cherchait-il à démontrer ? Que si une journaliste peut se faire passer pour  une femme de ménage, des femmes de ménage peuvent devenir actrices ? Comme si tout le monde était interchangeable … sauf qu’à la fin le mythe de Cendrillon fait long feu.

Le générique revendique une libre adaptation (co-signée par Emmanuel Carrère et Hélène Devynck)… je dirais plutôt une libre déformation. L’engagement sur le ferry ne se fait pas par piston. C’est un épisode clé du livre, qui justifie le titre. C’est violent et simple à la fois (p. 77). La problématique des soins dentaires est autrement plus émouvante dans le roman (p. 108) qui décrit admirablement le gouffre de la précarité sans jamais manquer de respect. Il me semble que plusieurs scènes pseudo romantiques en bord de mer ou sur le ferry ont été ajoutées et contribuent à dénaturer le propos. Mais je ne vais pas me livrer à une étude comparative. Ce ne sont pas les modifications qui m’ont dérangée mais ce sentiment de mensonge. Le livre étant sorti il y a onze ans il était essentiel de pointer pourquoi rien n’a changé alors que le film semble entériner les faits.

Certes, je reconnais des bribes de scène, mais tronquées, expurgées de ce qui fait la qualité de l’écriture de l'auteure, à savoir son humanité.

Le propos devient sur la toile une (mauvaise) comédie dramatique. Je ne parlerai pas de la fin, qui est purement antisociale. Comment les producteurs ont-ils pu valider un tel scénario ?

Il discrédite encore plus largement le monde journalistique que ne le fait France qui, de plus, est magnifique sur le plan cinématographique alors que les images d’Ouistreham n’ont pas de beauté, hormis les premières secondes. Elles sont pourtant signées par le triplement césarisé Patrick Blossier.

Le journalisme dit d’investigation, en prend pour son grade.

J’ai la désagréable impression d’avoir vu quelque chose de mensonger. A l’égard de l’auteure car je ne pense pas qu’elle écrivait "son" livre au fil des journées. Elle est revenue à Caen, dans la même chambre meublée, l’hiver suivant pour le rédiger alors que dans le film elle apparait comme une voleuse de confidences. A l’égard des compagnons d’infortune. A l’égard de la société, car ce film n’est pas daté, ne donne pas de chiffres, n’instruit pas sur la spirale de la précarité autrement que par l’anecdote de la voiture de Cédric … (Philippe dans le livre). Je n’ai pas vu un monde en train de s’écrouler.

J’avais émis des réserves sur la pièce de théâtre inspirée l’an dernier par le roman mais au moins celle-ci était fidèle.

On dirait que le personnage interprété par Juliette Binoche (qui au demeurant y est excellente, là n’est pas la question), est venu par opportunisme en Normandie, avec pour seul objectif de glaner de la matière pour écrire un livre à succès. Il me semble que l’expérience de Florence Aubenas s’inscrivait dans une autre réalité, au retour de sa détention comme otage en Irak pendant cinq mois en 2005.

Le tournage a été rapide, en mars-avril 2019, notamment à Hérouville-Saint-Clair (salle de la Fonderie), Giberville, Ouistreham, Caen (principalement dans le quartier La Guérinière et dans le centre-ville), à Bayeux et à Cherbourg-Octeville. Les scènes embarquées ont été filmées sur un ferry d'une compagnie néerlandaise basée à Rotterdam, la compagnie Brittany Ferries ayant refusé de donner les autorisations en raison de la criante d’une image dégradée de l'entreprise.

Il a été présenté au Festival de Cannes 2021, dans la sélection Quinzaine des réalisateurs (film d'ouverture). La sortie en salles, d’abord prévue en 2021, est reportée au 22 janvier 2022. Il était projeté en avant-première au Festival Paysages de cinéastes.

Photo du film Christine-Tamalet

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