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mercredi 29 septembre 2021

Les intranquilles, un film de Joachim Lafosse

Leila (Leïla Bekhti) et Damien (Damien Bonnard) s’aiment profondément. Malgré la fragilité consécutive à d’épuisantes phases maniaques, Damien tente de poursuivre sa vie avec Leila, sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire. 

Joachim Lafosse n’a pas eu à chercher loin pour écrire le scénario des Intranquilles. Il s’est inspiré de ses propres souvenirs. Il connait bien la bipolarité. Le petit garçon qui assiste impuissant aux bouffées délirantes d’un père qu’il admire, c'était lui. La différence c’est qu’il n’était pas peintre mais photographe. Bien entendu il ne faudrait pas conclure que tout artiste est bipolaire (sa femme ne l’est pas) ni que tout bipolaire est artiste.

Evidemment, on pensera néanmoins (et le réalisateur le connait bien) à Gérard Garouste dont j’avais découvert la biographie, précisément intitulée L’intranquille, lorsque j’étais jurée du Grand Prix des Lectrices de Elle.

On comprend très vite que cette famille vit au bord du drame. Pas moyen d’être tranquille cinq minutes. Même à la plage. Romain a emmené son fils faire un tour de bateau et soudain l’envie lui prend de rentrer à la nage. Ramène le bateau crie-t-il à son gamin de fils, tu sais faire. Le môme se met aux commandes, bien obligé, son père irresponsable a déjà plongé. Il semble se débrouiller comme un chef mais l’angoisse est palpable, chez la mère et contamine le spectateur.

Dans le plan suivant Romain est devenu cuisinier et prépare en pleine nuit un festin pour une armada. Là encore on se dit qu’il pourrait provoquer un incendie. Et quand il peint dans son atelier c’est avec une frénésie comparable. Le réalisateur nous le montre en jouant de gros plans et de mises au point parfois floues. La musique est absente ou tourne en boucle. On oublie qu’on est face à une œuvre de fiction.

Ce qui est admirable dans la démonstration que fait Joachim Lafosse, c’est que l’amour ne suffit pas à contenir la psychose. Et les médicaments n’améliorent pas tant que cela la situation puisque le patient est alors sans aucune énergie. Il passe d’un extrême à un autre, et c’est un des aspects les plus éreintants pour les proches. Cette facette est admirablement traduite, par le fait que les acteurs principaux incarnent leurs personnages sans avoir changé de prénom.

Leila Bekhti, alourdie par une récente grossesse a différé la perte de poids de manière à être physiquement au plus près de cette femme qui fait tout passer avant son propre confort. Elle fait remarquer aussi en interview qu’elle exerce le métier de restauratrice de meubles anciens et qu’en quelque sorte elle va transposer dans sa vie personnelle en tentant de réparer son mari.

La famille est donc présente, aimante, entourante, conciliante, mais elle ne « suit » pas. Ni le père, ni l’épouse, ni le fils ne réussissent à infléchir le processus. Personne n’y parviendrait.
Et pourtant Romain les aime. Et pourtant il est doué, artiste reconnu. Et pourtant il vit dans un cadre agréable, sans soucis financiers. Pas besoin d’une goutte d’eau (ni d’alcool) pour faire déborder le vase. C’est inéluctable. Voilà le pire.

Les Intranquilles, film réalisé par Joachim Lafosse avec Leïla Bekhti, Damien Bonnard.
Présenté en compétition au Festival de Cannes 2021
Photo © Les Films du Losange

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