"On peut s'aimer, s'en faire une fête, s'en vanter, l'afficher, croire qu'on a découvert le secret du bonheur, un jour les rouages se grippent." Les quatorze histoires qui composent ce recueil forment autant d'épisodes liés par deux thèmes communs : l'insoluble question du bonheur dans l'amour et le crépuscule de la passion. Dans cette anthologie du couple contemporain, des hommes et des femmes se débattent avec des sentiments trop grands pour eux. Inattendu, quiproquos et humour s'invitent dans le ballet qui se joue entre ces êtres qui s'attirent, s'affrontent, se blessent et se reconstruisent.
Franck Courtès est décidément un grand auteur. Son (ancien) métier de photographe doit y être pour quelque chose dans le regard qu'il nous convie à poser sur les personnages dans la peau desquels il se glisse avec semble-t-il une grande aisance : homme, femme, jeune, vieux, citadin, rural.
Ce sont à de minuscules détails qu’on situe la période à laquelle se déroule chaque nouvelle car il varie les époques aussi.
Je me demande à qui créditer la photo de couverture qui évoque les années 50 (est-ce lui qui l'a prise ? Je n'ai vu nulle part mention de nom) et qui résume bien l'ouvrage. Une chose est sûre. Le couple parfait n’existe pas. Quand l'un regarde dans une direction, l'autre est absorbé par d'autres pensées.
Si l'amour n'est pas éternel, les regrets pourraient être plus solides.
L'auteur aborde une multitude de thèmes, parmi lesquels on sent un questionnement autour de l’esclavage domestique et des rapports de dépendance, quels qu'ils soient. Souvent les doutes glissent vers la paranoïa, à moins que ne s'infiltre un je ne sais quoi de surnaturel, ou de fantastique. Parfois même on est carrément projeté dans l’enquête policière.
Le rythme est agile. On entendrait presque le déclencheur de l'appareil photo car les images s'enchainement très vite. Si bien qu'à exception de la deuxième, plus longue, le lecteur est toujours surpris que la fin arrive si vite. Surtout pour la première, la demande en mariage. Franck Courtès a le sens de la chute. Et des chutes, on en aura beaucoup, ce qui est le signe d’une nouvelle réussie.
A propos de cette deuxième, qui est peut-être la plus fictionnelle, il y propose de lire entre les images (comme un écrivain dirait entre les lignes) et rend hommage à ces p’tits trucs jolis à la fin des pellicules que nous fûmes nombreux, lui aussi sûrement, à faire quand on n'était pas encore arrivé au numérique. Une photo peut vous percer le coeur plus qu’un mot. Il a raison de le souligner.
Pourtant il se moque lui-même de son métier : Ecrire, c’est un métier où on voit pas l’effort, surtout au niveau des vêtements (p. 64). Et quand il écrit que dans la plume du vieux journaliste se logeait celle, précise et imagée, d’un véritable écrivain (p. 98) pour décrire un de ses personnages, on a envie de lui retourner le compliment.
C'est un vrai écrivain et on se régale de ses livres, de celui-là comme des autres.
Le propre du genre d'un recueil de nouvelles c'est de sauter du coq à l'âne et ma chronique est forcément décousue. J’ai appris que trinquer avec de l’eau porterait malheur (p. 70). Un peu plus loin j'ai repensé avec nostalgie à ma grand-mère qui me faisait des chaussettes de grosse laine pour, me disait-elle, avoir encore le sentiment d'être utile. Dieu qu'elle l'était, elle n'avait pas besoin de se fatiguer à tricoter. Et pourtant je les porte encore, quarante ans plus tard. Ça rend songeuse …
Alors oui, Franck Courtès a bien raison de pointer que c’est une chose qui n’existait pas dans le temps, cette impression d’être inutile que les vieux ont aujourd’hui (…). Ils étaient certes fatigués du monde, oui, mais pas étrangers au monde comme ils le ressentent face au tout digital.
Il y a beaucoup à méditer dans Les liens sacrés du mariage. Par exemple que la violence est un échec (p. 96). Les deux dernières sont plus mélancoliques. Mais n'allez pas vous imaginer que rien ne va plus dans ce bas monde. Il est souvent très drôle. Et le fait de situer de nombreuses histoires dans un cadre campagnard apporte de la douceur.
Apprenons la leçon de l'une d'elle : l’amour c’est des chemins dont on n’a pas idée (comme celui de retenir quelqu’un en le laissant libre, on le sait depuis longtemps mais le traitement est ici plutôt original)
Les liens sacrés du mariage de Franck Courtès, Gallimard, en librairie depuis le 10 mars 2022
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