Le livre a été publié en 2018, déjà 4 ans, et la parution du premier roman d’Olivia de Lamberterie m’a donné envie de lire celui-ci, plus pour appréhender son style que animée par une curiosité, laquelle aurait été plutôt malsaine.
C’est en raison du sujet que je n’avais d’ailleurs pas lu cet ouvrage dont je savais qu’il avait été écrit pour exorciser la mort de son frère, décédé par suicide, le mot est posé p. 21, et répondre en quelque sorte à l’injonction qu’il lui faisait régulièrement d’écrire.
Le pas était difficile à franchir. On la comprend. Il n’est jamais simple d’être, comme on dit, juge et partie, et sa position de critique littéraire ne lui simplifie pas les choses. Elle est en effet responsable des pages livres du magazine ELLE, et elle intervient régulièrement à TéléMatin.
C'est la dernière photo qu'elle reçut de son frère qui figure sur la couverture. Quant au titre, Avec toutes mes sympathies, il semble décalé. Jusqu’à ce qu’on apprenne que le mot sympathie est, au Québec où vivait son frère, l’équivalent du terme de condoléances (étymologiquement "avec vous dans la douleur") qu’on emploie en France.
Le récit n’est pas rigoureusement chronologique. Il fait des va-et-vient entre le passé et la période des funérailles, octobre 2015, juste avant les attentats qui ont alors marqué l'actualité. L’auteure exprime toute la palette de sentiments que l’acte de son frère a provoqué, tout en rétablissant le parcours chaotique de sa maladie psychique, laquelle a été sans doute mal diagnostiquée, mais pouvait-il en être autrement ?
Ce livre aura sans doute participé, à sa façon, à la difficile épreuve du deuil et lui aura permis d’éclairer la personnalité attachante de son frère. A cet égard il pourra aider d’autres personnes.
Il est aussi une fenêtre ouverte sur tout ce qui anime l’auteure, et préfigure sans doute son "vrai" premier roman, que je lirai bientôt. Elle nous parle de son métier, et on sent combien elle l'aime puisqu'elle confie que Lire répare les vivants et réveille les morts (p. 17).
Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Elle interroge bien entendu sur les motivations à écrire pour finalement revenir aux propos de Françoise Sagan qui disait : On n’a pas envie d’écrire. On écrit.
Elle ne fait pas mystère de ses amitiés avec des écrivains, citant parfois un auteur, dont elle est ou non amie d’ailleurs, et bien sûr de sa famille car Olivia ne se limite pas à son frère, c’est toute la (les) cellules familiales qui sont autopsiées. Ainsi elle dit de sa mère qu’elle parle souvent en italiques (p. 49).
De multiples passages sont savoureux. Son style conjugue sensibilité, force et humour. A propos de l'emploi erroné du mot "sympathie" par les français elle rapporte le malaise provoqué par Françoise Sagan -encore elle- dédicaçant Bonjour Tristesse aux américains "With all my sympathie". Elle évoque avec à propos des livres, des anecdotes, des citations et des faits qui sont plus ou moins notoires.
Comme la propension à se suicider était plus forte chez les écrivains en citant Hemingway (p. 59). Et plus loin Sylvia Plath, Romain Gary. On pourrait dresser une liste très longue, avec Jean-Louis Bory, Gilles Deleuze, Henry de Montherlant, Primo Levi, Henrich Von Kleist, Stefan Zweig et bien sûr Virginia Woolf. Elle s'interroge sur cette "fatalité" qui n'est peut-être que la conséquence d'un excès de lucidité.
Et lorsqu'elle écrit (p. 69) Rien ne s’oppose plus à cette nuit, j'y vois une allusion directe au titre du roman de Delphine de Vigan.
Ce qui m'a le plus touché ce sont probablement les superbes mots d'Alex dans sa lettre d'adieu : Ce n’est pas de votre faute et vous ne pouvez pas deviner (…). Je suis désolé mais pour moi c’est mieux. (…) Merci de m’avoir aimé. Ça m’a fait vivre (p. 204).
Avec toutes mes sympathies d’Olivia de Lamberterie, Stock, en librairie depuis le 22 août 2018
Prix Renaudot Essai 2018
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