Nous ne nous souvenons sans doute pas combien les années 80 furent angoissantes et ponctuées d'actions terroristes plutôt "radicales". Comme si les attentats des années 2015 avaient tout effacé. Je reconnais qu'en terme de nombre de victimes ils furent terribles. Il n'empêche que Vanessa Schneider nous rappelle que la lutte armée a été une voie choisie pour secouer le capitalisme et les classes dirigeantes qui l’incarnent.
Si elle intitule son roman La fille de Deauville c'est sans doute pour partie pour pointer que les femmes ont pris part à ces mouvements qui jusque là étaient plutôt le domaine réservé des hommes. Mais, bien entendu l’auteure analysera aussi finement la psychologie des trois autres leaders du groupe.
Ils ne sont pas nombreux mais la lutte armée dans laquelle ils se sont engagés met le pays à feu et à sang. Le nom de leur groupe annonce la couleur : Action directe, dite AD. Ils savent tout faire : braquages, attentats à la bombe, et bientôt assassinat. Les terroristes frappent et disparaissent aussitôt en revendiquant leur acte et en programmant déjà le suivant.
Je me souviens de leurs photos placardées partout et de l'énormité des récompenses promises par la Police à qui fournirait des renseignements sérieux. Je me rappelle de leur arrestation en 1987 d'autant plus que je connaissais la région du Loiret où le quatuor s'était planqué.
Joëlle Aubron était l'une des deux femmes. Elle a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de dix-huit ans. Après avoir été opérée d'une tumeur au cerveau, elle est libérée le 16 juin 2004 et sa peine est suspendue (par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades). Je me rappelle aussi de l'annonce de sa mort des suites de ce cancer, le 1er mars 2006, à l'âge de quarante-six ans.
A signaler Nathalie Ménigon, la seconde femme du groupe, a elle aussi été condamnée à la même peine. Elle a été libérée en août 2008 après plus de 20 ans de prison. Elle souffre des séquelles d'une hémiplégie causée par deux accidents vasculaires cérébraux ayant eu lieu durant sa détention.
Outre l'intérêt historique de ce livre qui reprend avec minutie la chronologie de ces années noires, La fille de Deauville est aussi un roman qui éclaire le parcours d'une jeune femme qui n'est pas née dans des classes sociales défavorisées mais qui deviendra une meurtrière déterminée, notamment celle de Georges Besse, le grand patron de Renault, estimé de tous.
Vanessa Schneider réussit à nous faire comprendre comment cette jeune fille à l'air sage va basculer, malgré tout l'amour de ses parents, dans une folie révolutionnaire dont elle nous donne les clés. On a beau connaitre l'issue, on est happé par cette reconstitution, qui ne prétend pas à l'exactitude au mot près puisque le policier-enquêteur est intentionnellement un personnage de fiction.
Cet homme, italien d'origine, est lui aussi régulièrement animé par des envies de violence (p. 142) qui auraient pu l’amener à dépasser les limites s'il ne s'était pas trouvé en quelque sorte du "bon côté" de l’ordre public. Ce contexte apporte une force supplémentaire au roman et si Vanessa Schneider était une romancière habituelle du genre policier on verrait facilement "son" Luigi Pareno en héros récurent dans un autre opus.
La traque est bien rendue autant du côté des terroristes que des policiers qui, à cette époque, ne disposaient sans doute pas de l'arsenal de moyens qu'ils ont aujourd'hui. On comprend le rôle fondamental des indics, des façons de procéder de la police, sans pour autant révéler des secrets. Luigi Pareno, solitaire et douloureux, méthodique et taciturne, y consacre toute son énergie, sa rage et ses obsessions.
Cette jeune femme à l’air bon chic bon genre, découverte pour la première fois à Deauville, d'où son nom de code, occupe particulièrement ses pensées. Pareno l’observe à distance, des rues de Paris à la cellule de Fleury-Mérogis où elle est un temps incarcérée (mais libérée par grâce présidentielle par François Mitterand après son élection), d’une planque en Belgique au Loiret enneigé où elle se cache avec ses compagnons Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Georges Cipriani.
Ses sentiments à son égard semblent ambivalents, entre haine et curiosité. Son métier a un impact important sur la vie affective du policier et cet aspect est un autre des points forts de son livre. Il a très peu d’expérience des choses de l’amour mais on découvre un homme sincère, cherchant à bien faire dans la relation qu'il tente de nouer avec une enseignante, Chantal, elle aussi meurtrie, même s’il n’y parvient pas toujours.
Même si l'auteure n'accorde pas de vraies circonstances atténuantes à la meurtrière, elle nous permet de comprendre son mode de pensée en lui attribuant des réflexions (que l’on repère à la typographie en italiques) conférant ainsi une certaine humanité, en particulier lorsqu'elle s'adresse à ses parents ( p. 207).
Plonger dans la lutte armée n’est ni une promenade de santé, ni un barbecue improvisé sur une plage landaise. (…) peu de gens sont intrinsèquement aptes à se lancer dans une guerre. Engager aussi son intégrité physique, son corps, son sang, sa peau et sa sueur nécessite d’abord d’être prêt politiquement, de n’avoir aucun doute sur la justesse de la cause (p. 60).
Vanessa Schneider a un regard de journaliste et apporte un éclairage sur cette période qu’elle nous permet de mieux comprendre. Elle a d'amères paroles pour qualifier la façon déplorable dont les médias traitent l’assassinat de Georges Besse, notamment la tenue clownesque d’un journaliste du JT (p. 218). Elle explique aussi pourquoi le capitalisme était à ce point devenu la bête noire des terroristes. En particulier en raison des licenciements et des fermetures d’usine. Par comparaison, le mouvement des gilets jaunes semble très modéré.
La fille de Deauville de Vanessa Schneider, Grasset, en librairie depuis le 9 mars 2022
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