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jeudi 10 septembre 2015

Fabriquer son papier ... possible au Moulin Richard de Bas à Ambert d'Auvergne

Si  je vous dis Ambert, vous allez penser que je vais vous décrire la fabrication d'un fromage, la Fourme d'Ambert, un fromage à pâte persillée qui est une des spécialités auvergnates. Je le ferai bientôt.

Mais pour le moment je voudrais vous parler d'une autre pâte, celle dont on fait le papier, ce qui est assez "raccord" avec le billet du début du mois expliquant comment on fabrique les crayons.

La région d'Ambert était l'une des toutes premières à produire du papier en France dès le début du XIV° siècle. Dans un un hameau enfoui dans la verdure et dont certains bâtiments remontent au XV° siècle, j'ai eu l'occasion de visiter cet été le dernier témoin de ce que fut le berceau de la papeterie française.

Nous sommes dans la verdoyante vallée de Laga, fraiche en soirée même par temps de canicule. Le moulin Richard de Bas est le dernier moulin à papier d'Auvergne. C'est ce qu'on appelle un "musée vivant" parce qu'il est encore en pleine activité. Il emploie une dizaine de personnes à l'année, sans compter els saisonniers. On peut voir la feuille de papier naitre sous nos yeux, comme au premier temps de cette industrie, en 1326. On y produit encore aujourd'hui 200 feuilles par jour, destinées aux éditeurs, artistes et amoureux du beau papier.
Après la visite, les enfants peuvent eux aussi mettre la main à la pâte pour fabriquer leur propre feuille de papier. Ils sont invités à touiller la cuve, plonger le cadre dedans, recueillir sur cette "forme" la pâte encore liquide, le ressortir lentement et avec précaution avant de laisser égoutter.
Une fois le cadre enlevé l'animateur aide à faire le geste du "coucheur" consistant à basculer la feuille encore fragile et humide sur un feutre.
Puis il la presse avec une machine (compresseur) pour faire partir l’eau.
Les parents auront la charge de récupérer la feuille qu'il faudra soigneusement faire sécher ... à la maison.
Après, ou avant cet atelier d'initiation, on peut visiter le moulin où les choses sont faites à plus grande échelle, à commencer par la fabrication de la pâte à papier, à partir de chiffons, de coton, de lin ou de chanvre, uniquement des fibres naturelles, qui seront coupés en touts petits morceaux avec une lame de faux dans le "dérompoir". Les chiffons sont donnés par des associations, des hôpitaux, des particuliers. En effet, ici point de bois, simplement des chiffons et de l'eau pure pour fabriquer "une simple feuille, une feuille blanche, une feuille de papier d'Auvergne" disait Pierre Seghers, selon une technique qui n'a pas bougé depuis 1326.
L'eau est bien entendu celle de la région, parfaite parce qu'elle est peu calcaire et relativement neutre. C'est elle qui fait en premier lieu tourner la très grande roue du moulin, plutôt vite, à un rythme de 35 tours minute. On sent la fraicheur dès qu'on a descendu les quelques marches conduisant aux salles de travail.

Cette roue actionne "l’arbre à cames", dont la finalité est de produire un mouvement de va-et-vient à une, ou plusieurs masses. Cet arbre est un tronc de sapin d'une dizaine de mètres de longueur  avec des cames rapportées, elles aussi en bois, qui sont régulièrement arrosées pour qu'elles ne se détachent pas. Ces morceaux de bois, en tournant, actionnent chacun une pile qui fonctionne comme un marteau et écrase le chiffon mélangé à l’eau.
Une seule pile à maillets était en action le jour de ma venue, parce que nous étions en période de sécheresse. Le moulin fonctionnait au ralenti mais le vacarme était néanmoins déjà impressionnant.
Le creux de pile est en granit et chacun des trois maillets est renforcé de 48 gros clous pour hacher menu le chiffon. Il faut 24 heures pour achever le défibrage, puis on ajoute la colle, à base de résine de pin (autrefois elle était obtenue à partir de cartilage passé au four), et on termine le raffinage en une douzaine d'heures, sinon on aurait du papier buvard.
Dans la salle suivante, dite salle de la cuve, une ouvrière était à l'oeuvre sans discontinuer, maniant le tamis métallique avec dextérité, dans un très grand bac rempli de pâte à papier assez liquide. L’eau permet de lier les fibres ce qui donne la solidité à la feuille. La dilution détermine le grammage (poids de la feuille au mètre carré).
Avant de fabriquer la feuille, il faut spatuler la pâte régulièrement avec le "redable" percé de gros trous, pour éviter que la pâte se dépose dans le fond.
La production s'adapte au rythme des saisons. En hiver on fabrique les papiers blancs, couleurs et chinés et aquarelles. Le papier blanc sert à la restauration d'ouvrages anciens, à l'édition de livres d'artistes à tirage limité. Les papiers pour beaux-arts seront le support de dessins, aquarelles, gravures ou lithographies ...

Avec l'été et la récolte des fleurs dans les jardins, c'est le papier à inclusions florales qui s'impose, haut en couleurs et en diversité. Le papier à fleurs permet l'impression de poèmes, de faire-part, de menus à l'occasion de fêtes, mais aussi la réalisation d'abat-jour.
C'est ce type de papier qui était en ce moment réalisé. Chaque feuille est couchée sur un morceau de feutre en laine et l'opération est répétée cent fois.
Ensuite on pressera au cabestan, opération un peu délicate, voire dangereuse. Les couches de papier sont pressées à une pression équivalente de 40 tonnes pour leur faire perdre le maximum d’humidité.
Puis ce sera le levage et chaque feuille sera ébarbée à la main.
Les feuilles seront ensuite acheminées en haut, dans le séchoir naturel où l'opération pourra demander deux jours comme une dizaine, selon la météo.
On y voit une presse plus modeste, qui permet de se rendre compte du procédé.
C'est amusant de voir que l'étendage est fait avec des pinces à linge comme s'il s'"agissait d'une lessive.
 
Le Moulin dispose de plusieurs jardins pour s'approvisionner en pétales frais, cueillis le matin même de leur utilisation. Les fougères et graminées viennent des berges du ruisseau du val de Laga, celui même qui alimente la roue du moulin.
Les fleurs sont récoltées dans le jardin : du souci, du bleuet, de la centaurée rouge.

Pendant les mois de juillet et août, si vous avez de la chance, les bouquetières disposeront devant vous les compositions florales sur les feuilles. La production n'excède alors pas une dizaine de feuilles par jour tant les créations requièrent minutie et délicatesse. Les compositions florales sont des oeuvres uniques destinées à l'encadrement telles quelles pour le plaisir des yeux. Marque-pages et cartes de correspondance sont également réalisées. Il peut y avoir parfois des ateliers de composition florale proposés aux visiteurs.

On peut acheter des feuilles vierges ou des reproductions à la fin de la visite, comme ce poème de Paul verlaine ou le Serment d'Hippocrate.
Sur chacune est imprimée la mention : "Imprimé sur papier fait feuille à feuille à la main au Moulin Richard de Bas à Ambert d'Auvergne".
   
Dans le passé la centaine de moulins de la région a contribué à fournir en papier l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert pendant plusieurs années au XVIII° pour le tirage des gravures.

Le papier du moulin Richard de Bas a également servie à l'exemplaire unique de la Constitution de la V° République Française de 19658, ou encore des diplômes de Prix Nobel, ainsi que bien d'autres éditions prestigieuses.

L'ancienne demeure du dernier maitre papetier ayant vécu au Moulin est également une visite intéressante, à laquelle je vous convierai dans quelques jours. A cette occasion vous voyagerez à travers les siècles et les continents pour connaitre l'histoire du papier inventé il y a pratiquement 2000 ans  ... en Chine, ce qui en fait une invention récente en quelque sorte.

Moulin Richard de Bas, Musée historique du papier
63600 Ambert d'Auvergne
04 73 82 03 11

2 commentaires:

lucienne a dit…

Bonjour,
Descendante d'une bonne partie des papetiers de la région d'Ambert, je viens de trouver votre blog très intéressant. Je découvre que "l'exemplaire unique de la constitution de la Ve République" aurait été faite avec du papier de Richard de Bas.
Etes-vous certaine de cela?
J'ai visité il y a quelques années ce musée, hélas alors que les ouvriers étaient en repos, mais celui qui faisait visiter n'a pas mentionné cet élément. Je savais par ailleurs que l'encyclopédie de Diderot et les mémoires de Louis XIV avaient utilisé du papier d'Ambert, mais j'ignorais que celui de Richard de Bas ait pu servir pour coucher la constitution de la Ve République. Aucun des livres récents sur le papier d'Ambert que j'ai lu n'en fait mention.
Cordialement.
Lucienne.

Marie-Claire Poirier a dit…

C'est ce que j'ai entendu au cours de ma visite. Cela étant, comme bien des affirmations, cela mériterait vérification puisque vous en doutez. Ce serait facile en téléphonant sur place. je le ferai à l'occasion mais vous pouvez vous aussi le faire. Vous avez sans doute d'autres interrogations légitimes étant donné vos origines.
Merci pour ce commentaire.

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