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mercredi 22 juillet 2020

Henri Landier expose Romaine

Je connais l'atelier d'Henri Landier, un peintre et graveur exposé dans le monde entier, où je suis déjà allée, dans des conditions un peu extrêmes, en fin de soirée, un jour de défilé (car il se passe beaucoup de choses dans cet endroit qui est un vrai lieu de vie).

Je n'avais pas pris de photo mais j'avais perçu le bouillonnement artistique qui avait animé les lieux. Cette exposition consacrée à Romaine (1943-2019) fut l'occasion de revenir avec la ferme intention cette fois d'en rendre compte.

Il faut d'abord dire qu'après avoir travaillé 24 ans de manière classique, Henri Landier a fait le choix de diffuser lui-même ses oeuvres, en dehors du circuit "classique" d'un galeriste et en toute indépendance. Non seulement par souci économique (les galeries prélèvent une commission de 50 à 80%, ce qui impose en quelque sorte de vendre plus cher qu'on ne le voudrait, et donc en privant une certaine clientèle de l'accès à ses oeuvres) mais aussi pour des raisons artistiques car on lui réclamait beaucoup de scènes provençales et on refusait les portraits qu'il aimait tant peindre. En effet les acheteurs ont du mal à se projeter dans une oeuvre représentant quelqu'un dont ils n'ont pas demandé la représentation.

Il s'est donc donné les moyens de sa liberté en acquérant à Montmartre, en 1974, au 1 rue Tourlaque une ancienne fumisterie de 600 mètres carrés surmontées d’une grande verrière, un lieu idéal quand on possède comme lui rien moins que 14 presses à gravures et que l'on cherche aussi un vaste espace d'accrochage.

Il deviendra l’Atelier d’Art Lepic où il travaille toujours, depuis 46 ans, et expose en moyenne deux fois par an, en automne-hiver, puis au printemps-été. Le dernier accrochage devait se terminer le 5 juillet, mais la période post-confinement étant compliquée il a été décidé de prolonger jusqu'au 30 juillet, malgré cependant le départ de quelques tableaux, dont les propriétaires ne voulaient pas plus longtemps rester séparés.

Il reste malgré sur les murs un grand nombre de la centaine des oeuvres représentant Romaine.

Si Henri Landier peint à Paris depuis 70 ans, il a aussi réalisé de nombreuses toiles dans un autre atelier qu'il possédait dans le sud de la France où ils devinrent, son épouse (bretonne) et lui de vrais provençaux d’adoption. Il produit énormément puisqu'on peut compter environ 2000 gravures et 5000 tableaux. Il n'est d'ailleurs pas près de cesser puisqu'on découvre de nouveaux tableaux régulièrement.

Hormis les aquarelles, choisies parmi les 86 la représentant, et qui ont été installées dans l'entrée, A Romaine a été conçue selon un ordre chronologique. La décision de choisir ce thème comme sujet d'exposition a été précipitée par son décès, en novembre dernier, mais il est probable qu'il se serait imposé un jour ou l'autre étant donné le nombre de tableaux où Henri a choisi Romaine comme modèle. Un modèle plus ou moins conscient de sa position car on remarquera que souvent elle ne semble pas poser.

Certains estimeront que cet hommage est une manière de lui dire au revoir. Pour ma part j'y vois au contraire le moyen de la conserver encore plus près de lui. J'en veux pour preuve les deux dernières toiles qu'il a faites pendant le confinement et où le visage de Romaine apparait parmi les carnavaliers de Maastricht. Quoiqu'il en soit le sujet méritait amplement d'être traité et il faut remercier l'artiste de partager avec le public les tableaux sans doute les plus personnels.

On m'a dit que jamais, dans l'histoire de l'art, un peintre n'avait dédié de son vivant l'intégralité d'une exposition à son épouse, ni Salvador Dali pour Gala, ni Pablo Picasso pour aucune des sept femmes (répertoriées) de sa vie, ni Pierre Bonnard pour Marthe. Celle-ci passait le plus clair de son temps dans sa salle d'eau alors le peintre la représentait surtout nue, en pleines ablutions. Romaine vivait un livre à la main. On la voit donc ainsi.
En l'ayant représentée le plus souvent dans la simplicité du quotidien Henri Landier efface l'extraordinaire. Chaque tableau dégage plus de douceur et de quiétude que d'exaltation, y compris dans les rares nus qu'il a consenti à laisser deviner, les plus pudiques de sa collection personnelle, derrière les plantes qui poussent follement aspirées par la lumière de la verrière. Et la nostalgie semble n'avoir pas de place dans cette exposition où celle qui fut sa femme, autant que son amie, une mère (de leurs enfants), une confidente aussi demeure à jamais sa muse.
Celle qui lui inspire encore ces deux tableaux peints pendant le confinement et qu'elle n'aura pas vus. Je remarque qu'elle y est pour la première fois idéalisée, puisque rajeunie, telle qu'il doit particulièrement aimer s'en souvenir, et si elle est présente à ce carnaval de Maastricht c'est aussi sans doute une façon pour lui d'évoquer Venise qu'ils aimaient tant tous les deux et où ils sont souvent allés.

Henri Landier a commencé très tôt à peindre. Il a réalisé sa première exposition à 14 ans. Le doute lui fait un jour prendre la mer et après cinq années de marine marchande il revient à Montmartre (il aura vécu 17 ans rue Saint Vincent), reperd son métier de peintre et commence à être un artiste reconnu.

Il a 9 ans de plus que Romaine Le Meur, la jeune institutrice de 19 ans qu'il rencontre un jour de 1962 à Caen dans une librairie galerie tenue par Geneviève et Bernard Bedel. A l'époque il dépend encore des galeries dont il ne tardera pas à s'affranchir (même s'il resta ami avec ceux-ci).

Liés par leur amour de l'art, de la littérature et de la philosophie, ces deux jeunes gens ne tardèrent pas à l'être par le mariage. Elle fut séduite par son talent, son courage obstiné de poursuivre une carrière artistique dont le succès restait encore à bâtir et sûrement par son habileté à manier le verbe et sa curiosité insatiable. Quant à lui, élevé à une époque où les femmes n'étaient pas indépendantes, il ne put qu'être admiratif de cette jeune institutrice fière et ambitieuse, adepte de la toute récente pédagogie Freinet, qui ne tarda pas à devenir son modèle de prédilection, même s'il ne fut pas le seul.

La cristallisation a lieu quasi immédiatement. L'année suivante, c'est ensemble qu'ils découvrent et adoptent la Provence où ils achètent à Oppède une vieille bergerie en ruine au cœur du petit Luberon. Il y peindra des tableaux qui susciteront chez quelques critiques l'envie de le comparer à Cézanne.
 
Celui-ci, intitulé La liseuse au scarabée devant Sainte-Victoire (2003, huile 130x195 cm) fait la couverture du livre Henti Landier, le peintre humaniste qui couvre la période 2001-2014. Romaine y est à la fois au repos et active (toujours un livre sur les genoux) regardant avec complicité son mari du coin de l'oeil. Elle semble se fondre dans le paysage pour l'éternité comme le suggère le scarabée qui en est le symbole et qui rappelle la série que Landier a fait sur les insectes dans les années 65-70. Elle a perdu une sandale, preuve que ce tableau est "saisi sur le vif" comme une photo volée.
Romaine est aussi la mère et grand-mère que l'on découvre dans Parfum de pêche (sur la gauche), une grande peinture très lumineuse représentant un joyeux goûter en famille, cette même année 2003. A la manière d’une Sainte Famille moderne Romaine surplombe la scène avec, à sa gauche, sa fille Virginie (qui deviendra peintre elle aussi), alors que son petit-fils Aurélien est placé au centre de la composition. Au premier plan, sur une nappe jaune, une nature morte composée d’innombrables assiettes de pêches, de bols, d’une théière et d’une pile de livres dont le titre Pace est bien mis en évidence car il annonce le début d’une nouvelle thématique.

Même au moment du goûter la femme du peintre tient encore un livre ouvert qui semble captiver son petit-fils à qui elle lit sans doute l'histoire. Si on remarque peu de sourires sur les oeuvres c'est que Romaine est saisie dans la concentration que réclame la lecture. Elle ne prend pas le temps de remonter une mèche qui tombe sur un coin de son oeil pas davantage celui de poser "pour de vrai".

Il en existe cependant quelques-uns comme celui-là, sur la droite du cliché. Plusieurs portraits ne comportent ni environnement, ni fond, ni cadre et le modèle nous dévisage dans sa solitude comme Henri Landier le fait pour ses autoportraits.

J'aime particulièrement la période des années 2000 la représentant dans de vastes huiles sur toiles colorées aux courbes souples et arrondies avec de grands aplats bordés d'un trait de couleur plus claire, un peu à la manière d'un vitrail. Je l'imagine broyer auparavant lui même les pigments qu’il mélange à l’huile de lin et sans doute quelques additifs pour obtenir des couleurs si lumineuses et si éclatantes. Comme ces jaunes citron, Turner, indien, de Naples, ou cadmium presque orangé...

Beaucoup de rouges aussi, jusqu'aux cheveux de Romaine qui les colorait de henné. De bleus aussi dont la Liseuse en Provence est un exemple, posé un chevalet dans l'atelier au-dessus de vases que Landier utilise souvent dans ses compositions, pas uniquement japonisantes.
J'apprécie aussi cette période, au milieu des années 1985, quand Romaine porte le kimono et pose, cette fois de manière affirmée, notamment dans une série d'aquarelles.
Le couple aimait beaucoup l’opéra. Voilà pourquoi on voit Romaine dans le costume de soie de Colombine pour une série de gravure, aquarelle et peinture où le travail au couteau est très visible et se distingue des aplats lisses des années 70.
Romaine est jeune fille, femme, mère, et grand-mère aussi dans ce "dernier" n'est pas l'ultime, intitulé Maminou, 2013, huile 65x46 cm. On remarque une mèche bleue, plus légère que dans les tableaux des premières années et un foulard dans la couleur qu'elle préférait, le mauve.
Romaine fut donc, dès leur rencontre et pendant les 57 années qu’ils ont partagées, la jeune fille, la muse, la femme, l'amante, l'intellectuelle, la voyageuse, la mère et puis la grand-mère. Toujours naturelle, elle s'expose plus qu'elle ne pose, la poitrine nue dans un érotisme charnel et assumé par celle qui a fait siennes les idées de 1968, en kimono à damiers, en pantalon comme en jupe volantée, les cheveux sous un foulard, libres ou rassemblés sous un chapeau de paille. Parfois couchée et alanguie sous le chaud soleil provençal, le plus souvent assise, sur un fauteuil à bascule, sur un fauteuil de velours capitonné ou sur la toile d'un transatlantique (La bayadère, 116x89 cm, huile de 2014) il est rare que Romaine n'ait pas un livre à portée de main.
Très peu de tableaux les représentent côte à côte et parmi eux Les amoureux de Roussillon (2009) est sans doute le plus touchant.

Je signale que la prochaine exposition se déroulera du 17 octobre 2020 (vernissage) au 3 janvier 2021 au Musée de la Grande Guerre, Rue Lazare Ponticelli, 77100 Meaux - Tél: 01 60 32 14 18. On y reverra des oeuvres de celle qui, intitulée elle aussi Requiem pour les Barthélemy avait eu lieu dans l'atelier du 11 novembre au 16 décembre 2018.
Si Henri Landier n'a pas vécu la guerre de 14 il en connait de nombreux épisodes que son ami Pierre Mac Orlan (1882-1970) lui a raconté pendant des soirées entières. Le Quatuor de la Marne, huile de 130x195 cm, peinte en 2017 en est un exemple.

Je vous conseille de visiter d'ici là le site de l'artiste. On peut y parcourir de nombreuses galeries, organisées par thème. Attention, le chargement peut prendre un certain temps.

A Romaine, exposition Landier 2020
Atelier d'Art Lepic - Contact Sabine Ermakoff
Du 15 au 31 juillet 2020
1, rue Tourlaque, 75018 Paris
Entrée libre du mardi au dimanche de 14 heures à 19 heures

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Chère Marie Claire quel compte rendu de l'exposition sur Henri Landier !
L'hommage à Romaine est en effet très émouvant, c'est l'histoire d'une vie, d'un amour hors du temps qui continue...c'est un hommage magnifique, merci beaucoup à bientôt à Meaux pour l'exposition en hommage aux soldats morts de la grande Guerre, Sabine

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