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mardi 4 octobre 2022

Exposition Monet-Mitchell à la Fondation Louis Vuitton

Il quitta le monde un an après qu’elle n’y surgisse. Lui, l’homme. Elle, la femme. Deux peintres dont les patronymes commencent précisément par la même initiale, M, comme Monstre, tant leur œuvre est immense.

Initiales 2M aurait pu être le titre de l’exposition. La Fondation Louis Vuitton a choisi, derrière le raccourci de Monet-Mitchell, de présenter en fait deux accrochages. Le premier est une rétrospective de l'oeuvre de Joan Mitchell qui, fort judicieusement, propose de faire mieux connaissance avec l’univers et le parcours de cette artiste disparue il y a trente ans.

Elle refusait la moindre comparaison avec Monet. Était-ce par modestie ? Toujours est-il que ça fonctionne furieusement comme on le constate dans le second accrochage Dialogue Claude Monet-Joan Mitchell.

De Monet, on croit tout connaître. Mais on a pu oublier que la cataracte l’avait privé de la reconnaissance des couleurs bleus et vertes qu’il a tant utilisées. Voilà pourquoi, après 1917, la gamme chromatique de ses peintures se situe dans les jaunes et les rouges. Et curieusement Joan a peint une série qui semble leur répondre.

Après une période parisienne, elle s'installa à Vétheuil, aux portes de la Normandie, et curieusement tout près de Giverny où Monet habita. L’amour de la nature les unit. Pas étonnant de voir la représentation d’arbres chez l’un et l’autre qui, tous deux étaient fascinés par l'eau, lui par celle du bassin aux plantes aquatiques, elle par la Seine, en écho au lac Michigan de son enfance. Et tandis que Claude s’approche de l’abstraction, Joan semble avoir osé la figuration.
Monet avait des gestes rapides mais brefs. Mitchell peignait avec son corps. Il avait le nez sur la toile. Elle l'attaquait avec sa stature de gymnaste, bien que marquée par la maladie, deux cancers et l'arthrose de la hanche.

Le doute est semé progressivement. Dans les étages supérieurs, le regard est conquis par l’harmonie entre les toiles, si bien qu’un œil distrait pourrait se tromper en attribuant un tableau à l’un ou à l’autre. C’est autant Mitchell qui évoque Monet que, et c’est plus original, Monet qui semble annoncer Mitchell.

Les commissaires ont eu la bonne intuition de désencadrer les Nymphéas et de concevoir une scénographie volontairement aérée. Pour la première fois, on pourra admirer dans son intégralité le triptyque de l'Agapanthe (1915-1926) qui jusque là avait toujours été divisé en trois et qui joua un rôle décisif dans la reconnaissance de l’artiste aux USA.
Et pour la première fois aussi, sont exposés un grand nombre des toiles gigantesques de La Grande Vallée de Joan Mitchell.
Quel bonheur de comprendre ce que le monumental peut avoir d’intime lorsqu'il est représentés par ces deux maitres du paysagisme, rapprochés autour d'une même conception de la représentation, que Monet désignait par "sensation" et Mitchell par "feelings". 

Je vous invite à cliquer sur "suivre" pour voir défiler les photos et les commentaires. Soyez attentif au format qui témoigne bien des tailles monumentales. Il se trouve que l'enregistrement de plusieurs heures de travail ayant été effacé je n'ai repris mes textes qu'a minima. Mais l'essentiel y est.

Qu'elle me pardonne mes commentaires et explications, elle qui disait : La peinture se regarde. on n'en parle pas. J'espère surtout vous donner envie d'aller contempler ses oeuvres ! Je vous conseille de préparer votre visite en évitant les heures d'affluence que cette exposition remarquable ne manquera pas de provoquer.
MONET - MITCHELL, Dialogue et Rétrospective
Du 5 octobre 2022 au 27 février 2023
8, Avenue du Mahatma Gandhi Bois de Boulogne, 75116 Paris
La rétrospective Joan Mitchell (1925-1992)
Elle permet de parcourir les grandes étapes de l'oeuvre de cette artiste qui s'impose vite comme l'une des rares femmes reconnues sur la scène américaine de l'après-guerre.
Elle est photographiée à la fin du parcours dans son atelier, admirant par la fenêtre une vue magnifique, mais on sait qu'elle peignait dos au paysage. Ses pinceaux étaient stockés dans des boites de pâté pour chien de marque Loyal. Sa soeur, éleveuse de bergers allemands, lui avait donné sa chienne Iva qu'elle aima tant. La taille de certains pinceaux est impressionnante et explique l'ampleur de ses traits. Mais elle utilisait aussi des fusains, des couteaux, des crayons aquarellables et bien entendu de la peinture en tubes.

On remarquera plus loin sous vitrines ses carnets de dessin, qui contienne des croquis très proches du résultat final. Et on écoutera avec intérêt une vidéo dans laquelle elle fait son autocritique : Ressentir une toile, c'est toute un histoire et c'est ce que j'essaie de faire (1976).

Elle répétera qu'elle peint des paysages à partir du souvenir des émotions qu'ils lui ont procuré. Un tableau, c'est une oeuvre visuelle qui marche ou qui ne marche pas. C'est une question d'espace. Elle ajoutait : La composition, non, la couleur, oui.
Née à Chicago, de père médecin mais peintre amateur, elle a fait de multiples compétitions de patinage artistique. Faut-il y voir une explication à ses grands mouvements de pinceaux ? Sa mère était poétesse.
Elle s'est d'abord installée à New-York avant de partir pour Paris. 
Minnesota, 1980, huile sur toile (260.35 x 621.665 cm)
C'est un tableau qui a figuré en 1982 dans la première exposition de l’artiste dans un musée français. On est immédiatement happé par les couleurs, en particulier le déploiement du jaune. C'est une bonne idée de commencer par cette oeuvre qui préfigure les suivantes, même si ce n'est pas chronologiquement la première.

Titré en référence à l’État nord-américain connu pour ses plaines et ses lacs, mais peint à Vétheuil en bordure de Seine, Minnesota est l’un de ses paysages sentimentaux. Sa structure en polyptyque est utilisée simultanément pour déployer une vaste composition, tout en jouant sur les interruptions de celle-ci.

Elle a toujours dit qu'elle avait du mal à travailler dans l'horizontalité et elle contourna la difficulté en réalisant plusieurs toiles verticales qu'elle assemblera en les plaçant côte à côte. Elle avait une mauvaise vue et employait des jumelles à travers lesquelles elle regardait à l'envers, de manière à avoir une vue globale sur l'oeuvre.
"Mes peintures sont titrées après avoir été terminées. Je peins à partir de souvenirs de paysages que je transporte avec moi–je me rappelle les sentiments qu’ils ont provoqué, qui bien sûr ont été transformés. Je ne pourrais certainement jamais refléter la nature. Je préfère davantage peindre ce qu’elle me laisse" expliquait Joan Mitchell. 
On remarquera aussi que des poèmes lui inspirent souvent des titres, sans doute en raison de l'influence qu'exerce sa mère. Néanmoins certaines oeuvres, comme la suivante, demeurent sans titre :
Sans titre, 1953-1954, huile sur toile 204,8 x 176,2 cm

Chez Mitchell les coulures sont toujours intentionnelles. Elle peut, parfois, en arrêter la chute en jouant avec les hasards et les contrôles.
The bridge, 1956 huile sur toile, 116,2 x 178,8 cm

Comparativement aux autres, cet ensemble n'est pas très grand. Il est le premier polyptyque de l’artiste, un format impliquant plusieurs toiles juxtaposées qui va devenir une forme de signature au début des années 1960. Le titre appelle des références mêlées aux ponts construits par son grand-père à Chicago, à son premier appartement new-yorkais sous le pont de Brooklyn et aux ponts parisiens. Peinte en France et exposée à la Stable Gallery de New-York, l’œuvre incarne les mouvements transatlantiques de Mitchell et signifie l’importance de la mémoire et du mouvement dans son œuvre.
Mud Time, 1960, huile sur toile,  (208.28 x 198.12 cm)
A droite, détail et signature

Significatif des peintures réalisées par Joan Mitchell lors des premiers mois suivant son installation rue Frémicourt, son premier atelier pérenne à Paris, Mud time est une véritable explosion de marques, de touches, de traits, qui démontre l’étendue et la vélocité dominante et caractéristiques du travail au pinceau de Mitchell à cette époque. Le titre provient du poème de Robert Frost "Two Tramps in Mud Time" qui évoque la transition grise et humide entre l’hiver et le début du printemps. Des rouges et des violets brillants sont posés sur des teintes plus sombres d’olive terne, de gris et de noir profond.

Sans titre, 1969, huile sur toile, 260, 4 x 486,6 cm
Lui aussi splendide, et pourtant sans indication de nom, astucieusement accroché face à un banc, invitant à s'asseoir et à perdre notre regard dans les entrelacs de peinture.

Also returned, 1969 huile sur toile, cette fois de format très modeste, de taille A3
Russian Easter, 1967, huile sur toile  (200.343 x 147.638 cm).
Encore une oeuvre qui dénote le temps qui passe et la saisonnalité. Le style a déjà commencé à évoluer.

A gauche La ligne de rupture1970 -71, huile sur toile, 284,5 x 200,7 cm
A droite Ode to Joy1970–1971, huile sur toile, (280.67 x 501.015 cm)

La ligne de la rupture avait été l'oeuvre centrale de l’exposition parisienne de Joan Mitchell en 1971 à la galerie Jean Fournier. Le tableau est traversé de tensions entre des surfaces transparentes et d’autres texturées, des halos de bleu et des jaunes contrastés. Titré à partir du poème, « la ligne de rupture » de Jacques Dupin–, poète, critique, collaborateur de la galerie Maeght, dont le manuscrit dédicacé a été conservé par la peintre, et dont on peut remarquer le pliage en accordéon dans la vitrine. Cette composition peut s’apprécier en écho aux structures brisées des vers du poète.

Le décès accidentel du poète Frank O'Hara en 1966 est une perte immense pour Mitchell. Sans doute se remémore-t-elle les premiers verts de son Ode to Joy (1957) quand elle titre son oeuvre : « Nous devrions tout avoir et il n’y aura plus de morts. » Moderniste par son usage du collage, empreinte de instantanés, de conversations, de bruits de la ville, la poésie de Frank O'Hara n’est pas moins n’en est pas moins lyrique dans ses soulèvements et ses célébrations. Les trois strophes du texte trouvent-elles une équivalence dans la construction de cet imposant triptyque ? Leurs articulations –séparées mais proches dans leur gamme comme dans leurs formes et rythmes– sont en tout cas un procédé de composition que renouvellera fréquemment l’artiste, l’amenant à rapprocher son usage si particulier des polyptyques de l’écriture d’un poème ou de la structure d’une composition musicale.
Complètement à gauche Joan Mitchell, Bonjour Julie, 1971 (280.67 x 584.2 cm)
 Red Tree, 1976 huile sur toile, 280,4 x 160 cm
No room at the end, 1977, huile sur toile 280,7 x 360,7 cm
Sunset, avec un poème de James Schuyler, 1975, pastel et encre sur papier

Dialogue Monet-Mitchell
Au fond, Un jardin pour Audreypeint en mémoire de l’épouse de Thomas B. Hess, Audrey, décédée soudainement moins d’un mois après un déjeuner à La Tour, la propriété de Mitchell à Vétheuil. 
Joan Mitchell, Un jardin pour Audrey, 1975, huile sur toile  252 x 360 cm
D’après Jean Fournier, son galeriste, Audrey avait offert à Mitchell un arbre à fleurs qui occupait une place importante dans son jardin. Les verts juxtaposés à des noirs dominent, mis en valeur par le lilas et le rouge orangé, bordés au centre par des blancs. Cette immersion dans la nature traduit le vocabulaire de l’artiste alternant coulures, étalements diaphanes, aplats, touches libres et pointillés. Cette œuvre dialogue avec la série des Coins au bas du bassin (1917–1919) et les Hémérocalles (1914–1917) de Claude Monet, rappelant leur sensibilité commune aux couleurs de leur jardin.
A gauche, Coins du Bassin, 1917-19, huile sur toile 117 x 83 cm
A droite Un jardin pour Audrey, 1975, huile sur toile 252 x 360 cm

A gauche, Claude Monet, Les Agapanthes 1916–1919 huile sur toile 200 x 150 cm
A droite, Claude Monet, Nymphéas, harmonie en bleu, 1914–1917, huile sur toile 200 x 200 cm

Ces deux grandes études exécutées par Monet, probablement en plein air, permettent de reconstruire le processus de création du triptyque de l’Agapanthe (1915–1926) présenté dans l’exposition. Elles s’inspirent de la flore du jardin de Giverny, les nymphéas du bassin et les Agapanthes poussant à la lisière de l’eau. Le cadrage en gros plan dans un format carré (tableau de droite) est alors inédit chez Monet et préfigure la vision panoramique, sans repère spatial des Grandes Décorations.
A gauche, Joan Mitchell, Champs, 1990, détail
A droite, Claude Monet, Nymphéas détail

A droite Claude Monet, Nymphéas, 1916 – 1919, Huile sur toile, 200 × 180 cm
Au centre Joan Mitchell, Quatuor II for Betsy Jolas, 1976, Huile sur toile, 279,4 × 680,7 cm

Œuvre clé, le quadriptyque est dédié à la compositrice Betsy Jonas née en 1926 dont il évoque le deuxième quatuor. Joan Mitchell admire le talent et le lyrisme de son répertoire, à une époque où toutes deux sont reconnues publiquement. La genèse de cette composition vient d’un dessin d’arbres, en partie transposé par les touches verticales vertes du panneau central. La lumière des bords de Seine apparaît à travers le « violet de Monet » que Mitchell percevait le matin et qui anime la composition. Les quatre panneaux offrent une vue panoramique de sa fenêtre à Vétheuil et traduisent un sentiment d’espace immersif. Œuvre majeur de son exposition parisienne à la galerie Jean Fournier en 1976, cette composition est modifiée pendant un an, l’artiste s’attachant particulièrement à l’ordre des toiles.

A gauche Joan Mitchell, Beauvais, 1986, huile sur toile 279,7 x 400, 3 cm
A droite Claude Monet, Iris jaune, 1914–1917, huile sur toile
 
Beauvais a été réalisé à l’occasion de la visite de l’artiste à l’exposition des tableaux de Matisse venus de Russie
Claude Monet, Nymphéas bleus, 1916–1919 huile sur toile 204 x 200 cm

Monet cultive ses « nymphéas » depuis 1893 dans sa propriété de Giverny. À partir des années 1910 et jusqu’à sa mort en 1926, le jardin et son bassin deviennent son unique source d’inspiration : « J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec des herbes qui ondulent dans le fond . (…) Mon plus beau chef-d’œuvre, c’est mon jardin ». Evacuant l’horizon et le ciel, il concentre son point de vue sur une petite zone de l’étang, perçue en plan rapproché comme un fragment. La fusion des éléments aquatiques et végétaux entraîne une dissolution du motif. La touche du peintre témoigne de la liberté de son geste dans sa période tardive.
Nymphéas et Agapanthes
A gauche, Claude Monet, La maison de l’artiste vue du jardin aux roses (1922-1924)
A droite, Joan Mitchell Two Pianos, 1980 huile sur toile, 279,4 x 360, 7 cm
A gauche, Joan Mitchell Two Pianos
Au centre, Claude Monet, Le Bassin aux Nymphéas, Giverny 1918-1919, huile sur toile, 73 sur 105 cm
A l’extrême droite, Claude Monet, Le Pont Japonais (1918-1924), huile sur toile

On remarque que, à partir de 1917, les effets de la cataracte s'aggravent et privent Monet de la couleur bleue. Il reçoit alors le conseil de regarder plus près. L'artiste cherche à expérimenter d'autres combinaisons, des rouges et des jaunes puisque la réalité ne lui était plus accessible. Après son opération  en 1923, ses tableaux s’éclaircissent considérablement. Mais ce n’est que deux ans plus tard, en 1925, qu’il retrouve définitivement son équilibre visuel.

Joan Mitchell, Sans titre, environ 1970, huile sur toile, 260 x 180 cm

Cette oeuvre est proche de La ligne de la rupture. La matière est parfois épaisse de plus d'un centimètre.
Joan Mitchell, Mon paysage, 1967, huile sur toile, 260 sur 180 cm

Là encore on note combien les deux artistes avaient en commun l’attrait pour l’eau, et donc le bleu. Je peins à partir de paysages mémorisés que j’emporte avec moi disait Joan dont la photographie me semble entrer en écho avec la toile.

Le dialogue devient clair entre les deux artistes dont on peut s’amuser à comparer les signatures (même si l’un comme l’autre ne signaient pas toutes leurs toiles) : ci-dessous Monet à gauche, Mitchell à droite.

A gauche, Claude Monet, Nymphéas, 1917-1919, huile sur toile 100x 300 cm
A droite Joan Mitchell, River, 1989 huile sur toile 280,4 x 399,7 cm
A gauche, Claude Monet, Nymphéas, 1917-1919, huile sur toile 100x 300 cm
A droite Joan Mitchell, River, 1989 huile sur toile 280,4 x 399,7 cm
Claude Monet, Nymphéas, 1917-1919, huile sur toile 100x 300 cm, détail

Dans la salle qu'on surnomme la Cathédrale,
A gauche, Claude Monet, Saule pleureur, Giverny, 1920-1922, huile sur toile 120 x 100 cm
A droite, Joan Mitchell Tilleul, 1978, Huile sur toile, 240 x 179,7 cm

Joan Mitchell, Edrita Fried, 1980, huile sur toile  259, 3 x 760, 7 cm

Le quadriptyque évoque la présence toujours vive de l’amie psychanalyste de Mitchell récemment décédée. L’œuvre se lit dans un mouvement crescendo de gauche à droite et fait écho par sa palette à Van Gogh. Joan a évoqué la tristesse que peuvent susciter certaines couleurs vives : pour moi jaune, ce n’est pas forcément joyeux. A noter que l’œuvre introduit le cycle de La Grande Vallée que nous découvrirons plus loin.

Mais, pour le moment, il résonne avec cet ensemble exceptionnel du triptyque de L’Agapanthe (env. 1915-1926) de Claude Monet, Grande Décoration de près de treize mètres, exposé à Paris dans son intégralité pour la première fois depuis 1956. Monet aura travaillé pendant près de 10 ans sur ce tryptique qu’il considère comme « l’une de ses quatre meilleures séries » et qui aura joué un rôle décisif dans la reconnaissance du peintre aux États-Unis.

Claude Monet, L'Agapanthe 1920-1926 huile sur toile 200 x 425 cm
L'ensemble, de deux mètres de haut et de près de treize de long est composé du rassemblement des trois tableaux portant le même nom, conservés séparément dans trois musées américains (de gauche à droite par le Cleveland Museum of Art, Saint Louis Art Museum et le Nelson-Atkins Museum of Art à Kansas City) 

Le passage visionnaire au grand format de Monet trouve ainsi un écho dans l’oeuvre monumentale de Joan Mitchell. Le travail de celle-ci offre, à son tour, une lecture contemporaine des Nymphéas de Monet (1914-1926) dans les espaces conçus par Frank Gehry. 

On termine par l'exposition d’une dizaine de tableaux de La Grande Vallée. C’est une partie exceptionnelle même si elle ne présente pas la totalité de la série des 21 toiles. Ce cycle (1983-84) est exceptionnellement rassemblé, quelques décennies après son exposition parcellaire en 1984 à la galerie Jean Fournier, son fidèle marchand parisien depuis 1967.

C’est l’un des ensembles les plus importants de la carrière de l’artiste. Il se caractérise par une exaltation de la couleur qui se déploie sur toute la toile, créant un sentiment de vibration et d’allégresse picturale. La Grande Vallée XIV (For a Little While) [pour un petit moment], seul triptyque, d’un rythme différent, provoque un sentiment d’infini où le regard se perd (à gauche ci-dessous).
Les années 83-84 auront été très productives. Elles sont pourtant marquées par des soucis de santé, des deuils (père, mère, soeur, amis, poètes et chiens) mais on ressent une impression de joie.

Chaque peinture a été réalisée en pensant à un lieu, décrit par une de ses amies musicienne, Gisèle Barreau, qui s’en servait de refuge durant son enfance. N’ayant jamais vu ce lieu, c’est donc plutôt d’un imaginaire des éléments, au sens bachelardien, que s’est inspirée Mitchell. Un seul grand mouvement entraîne la toile comme une danse, laissant exploser les percées de jaune et toute la gamme des bleus qu’affectionne l’artiste. Malgré les grandes dimensions et les multiples coups de pinceau qui couvrent la toile de bout en bout – comme dans l’Action Painting – , il n’y a pas ici de violence mais, au contraire, un aspect aérien, ouvert sur l’infini. La structure en chaîne du pourtour contient cependant les grandes masses picturales en déplacement, les empêchant de fuir à l’extérieur. Cette synthèse entre la retenue de la peinture européenne et l’énergie puissante de la peinture américaine constitue l’originalité de l’œuvre de Joan Mitchell.

Tout comme précédemment avec la poésie, Joan utilise le récit de quelqu'un d'autre pour peindre des émotions. On sait, et on le comprend nettement dans cette série, la peinture était pour elle l'exact envers de la mort et procurait un élan vital.

On remarquera néanmoins des touches de noir en bas d'un tableau. Certains sont rehaussés de rouges ou de roses; Certains portent un titre, d'autres des chiffres. La Grande Vallée XVI, Pour Iva, est un hommage à sa chienne.
A gauche, Joan Mitchell, La Grande Vallée XIV (For a Little While), 1983, Huile sur toile, 280 × 600 cm
(Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Paris)
Au centre Joan Mitchell La Grande Vallée IX, 1983-1984, Huile sur toile, 260 x 260 cm. 
Complètement à droite Joan Mitchell, La Grande Vallée, 1983, Huile sur toile, 259 x 200 cm

Face au paysage et à la nature, son jardin pour Monet, les bords de Seine pour Mitchell, tous deux auront développé une démarche picturale qu’ils définissent en termes analogues, faisant référence, à la sensation pour Monet et aux feelings pour Mitchell. Les deux artistes partagent une sensibilité aiguë à la lumière et aux couleurs dont le jeu constitue le fondement de leur art. Mitchell, cherche leur association dans sa mémoire, sans cesse sollicitée ; l’évolution tardive de Monet se caractérise par l’abandon du contour des formes au profit de la couleur à travers la captation d’une lumière fugitive, Monet et Mitchell exprimant un rapport fusionnel et lyrique au paysage.
Impossible de quitter les lieux sans quelques mots sur l’architecture du bâtiment abritant la Fondation Louis Vuitton dont le sigle est accroché au dessus de l’entrée principale et dont la présence de quelques malles accrochées au-dessus de l’espace restauration (photo au début de l’article) rappelle l’activité.
Katharina Gross, Canyon, 1922, acrylique sur aluminium 3,7 tonnes 

Depuis la fin des années 1990, Katharina Gross (née en 1961 en Allemagne) réalise des œuvre in situ à grande échelle en pulvérisant de la couleur pure. Ses interventions souvent spectaculaires et brillamment colorées explorent les potentialités de l’espace, bien au-delà des limites d’un châssis ou d’une toile, en embrassant les sols, les murs, les plafonds et tous les éléments présents à fin de créer des paysages picturaux à plusieurs dimensions.

Ici, l’artiste a réalisé une intervention spécifique conçue dans un dialogue étroit avec le bâtiment et son architecte Franck Gehry. Composé de huit « pétales » en aluminium de 5 mm d’épaisseur reliés à une traverse, Canyon répond aux façades de verre du bâtiment, à ce navire amarré à une cascade. Avec ses courbes et contre-courbes, telle une voile découpée, l’œuvre défie la gravité dans un dialogue tout en tension avec l’architecture.

MONET - MITCHELL, Dialogue et Rétrospective
Du 5 octobre 2022 au 27 février 2023
8, Avenue du Mahatma Gandhi Bois de Boulogne, 75116 Paris

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour cet article très intéressant et bien documenté.
A lire avant al visite et aussi après pour revivre et prolonger cette magnifique exposition.
Marie

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