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mercredi 2 avril 2025

Des jours meilleurs de Elsa Bennett et Hippolyte Dard

Des jours meilleurs a été programmé en avant-première au Rex de Châtenay-Malabry dans le cadre du projet Femmes et Cinéma, rendu possible par le Contrat de Ville en partenariat avec de nombreuses associations.

Outre un tarif avantageux ramenant le prix du billet à 1,50 € pour toutes les femmes, il s’agit d’offrir un espace de discussion en dehors des croyances et des catégories socio-professionnelles. Le sujet traité par le film est novateur au cinéma en ce sens qu’il concerne l’alcoolisme des femmes. Je me souviens d’un autre un singe sur les épaules ou quelque chose de cet ordre avec Francois Cluzet.

Le public était fort nombreux en ce dimanche 16 mars, sans doute en raison du thème mais aussi de la présence de Elsa Bennett la réalisatrice pour un débat qui fut mené à coeur ouvert.
Le film raconte, dans un savant dosage entre le sérieux et la comédie, le parcours de Suzanne (Valérie Bonneton, vraiment très juste), une femme qui voit sa vie basculer après un grave accident de voiture. Privée de la garde de ses trois enfants, elle se retrouve contrainte de suivre une cure dans un centre pour alcooliques. C’est là qu’elle croise le chemin de Alice (Michèle Laroque, vraiment très drôle), une bourgeoise en quête de sens, et Diane (Sabrina Ouazani), une battante rongée par ses propres blessures. Ensemble, ces trois femmes que tout opposer vont être réunies par un projet fou : participer au rallye des Dunes, une compétition extrême dans le désert marocain, sous l’encadrement bienveillant de Denis, un éducateur sportif incarné par Clovis Cornillac.
Au tout début du film on ne sait pas encore que Suzanne a un problème avec l’alcool. On la voit arriver régulièrement en retard à son travail. Elle peine de plus en plus à concilier ses vies professionnelle et familiale, malgré le secours de sa mère, souvent appelée en renfort. Un accident stupide, qui pourrait faire rire dans d’autres circonstances, va la contraindre à une obligation de soins pour récupérer -peut-être- la garde de ses enfants. On ne laisse pas charge d’âmes à une adulte qui a 1,1 g d’alcool dans le sang.

Pour ceux d’entre vous qui l’ignorerait il est interdit de conduire un véhicule avec un taux d'alcool dans le sang supérieur ou égal à 0,5 g/l de sang, et le retrait de permis intervient à 0,8.

Si le thème est peu souvent traité au cinéma il l’a été, avec force intelligence et finesse par Thomas Quillardet qui en a fait un spectacle de théâtre (que j’ai vu à l’Azimut). En addicto racontait le combat de ces personnes pour qui réserver à leur addiction n’est pas une question de volonté ou d’absence de volonté, mais bien de maladie. Et qui, une fois passée l’étape du déni, pensent qu’ils ne vont pas y arriver. Le taux de rechute est estimé à 80%, ce qui justifie le fait que Chantal puisse en être à sa 11ème cure.

Le film auquel je faisais allusion plus haut est Le Dernier pour la route, un film réalisé par Philippe Godeau avec François Cluzet, Mélanie Thierry, Michel Vuillermoz, Anne Consigny ... en 2009. Il traitait le sujet sous l'angle de la tragédie. Elsa Bennett et Hippolyte Dard ont d'emblée placé le leur sous celui de  la comédie à l’instar de On ira qui a fait lui aussi l'objet d'une projection dans le cas de Femmes et Cinéma.

Rire d'un thème aussi dur sans le faire au détriment du sérieux de l'affaire est un objectif difficile, mais qui est amplement atteint. Sans doute en grande partie en raison de la qualité de jeu des comédiens et du réalisme de la la cure, même si la participation au rallye des Dunes est un peu extrême.

Le comique de situation est fréquent. Les dialogues sont percutants. Exemple : T’as le cul dans le beurre, … rance parfois. Ou encore, avoir les hormones en RTT. Enfin le recours à des images floues est pertinent pour évoquer l’ivresse. La caméra ne s'interdit pas non plus de magnifiques plans du désert.

J’avais retenu du spectacle de Thomas Guillardet que le coeur du problème était l’abandon. On s’abandonne parce qu’on a été (ou qu’on s’est senti) abandonné installant un vrai noeud comme un lasso. 

Quel que que soit notre choix, un verre contiendra toujours 10 grammes d'alcool, même le pastis qu'on pense léger. La meilleure stratégie pour ne pas "boire" au cours d'une soirée est de tenir à la main un verre (de jus de fruits sachant que le jus de pommes avec deux glaçons passera pour du whisky) et de ne jamais le lâcher pour contrer un des aspects les plus graves de l'addiction qui est la perte de contrôle.

On dit que  les consommateurs occasionnels éviteraient l'addiction à condition de ne pas dépasser 2 verres par occasion, d'avoir au moins 2 jours sans consommation dans la semaine et de ne pas dépasser 7 verres par semaine. Mais les préconisations sont en constante évolution et il ne faut pas négliger l’aspect festif de l’alcool. Le problème c’est quand ça bascule.

Il est terrible, dans notre société, de devoir se justifier de ne pas boire ou pire encore de ne plus boire. Il est crucial de changer le regard sur les non alcooliques, perçus comme des troubles fêtes.

Ce film aborde une dimension supplémentaire : les défis personnels sont moins difficiles à atteindre s'ils deviennent une aventure collective. Au-delà de la médicamentation, le pouvoir du collectif aide à s’en sortir. La sororité des personnages, des femmes venant pourtant de milieux très différents, est remarquable. Celles que l'on jurerait des non-professionnelles sont des comédiennes belges (remarquables) dont le visage nous est inconnu.

Elsa Bennett a retracé le parcours du projet. C'est parce que certaines personnes proches de la réalisatrice, ont été victimes de cette addiction qu'elle a voulu envoyer un message d'espoir dans un parcours certes difficile. L'objectif est très net de faire un film militant, derrière la comédie.

Pour se documenter, elle est allée recueillir des témoignages dans deux centres différents et comédiens et comédiennes s'y sont également rendus. Ils ont rencontré psychologue et addictologue et sont allés jusqu'à faire les activités sportives. Denis Cornillac peut donc être crédible en tant qu'ancien dépendant aujourd’hui abstinent, devenu éducateur sportif et coach en mécanique. Les soins qui sont présentés existent dans la faire vie où l'alcool est désigné sous le terme de "produit".

Il fallait beaucoup de détermination pour porter à l'écran un tel sujet : Tu sais pas ce que c’est le regard des gens sur une femme qui boit.

On rit beaucoup mais certains moments nous tirent une larme, il faut le reconnaitre. Jusqu'à ce que se profilent comme des jours meilleurs (donnant tout son sens au titre du film) alors que Claire Luciani entonne son tube, La Grenade. S'affiche le numéro d'Alcool Info Service sur tout le générique : 0980 980 930

C'est dans un souci préventif que la réalisatrice a focalisé sur l'alcoolisme féminin. Le nombre de celles qui sont déclarées alcooliques est estimé à 1 500 000 femmes, et ne fait qu’augmenter. Il y a actuellement 30 % de femmes dans les centres de soins et on estime que cette proportion va monter à 50 % dans 10 ans. C'est d'autant plus préoccupant que les femmes, et particulièrement les mères de famille, ont énormément de difficulté à demander de l'aide. Mais il est intéressant d'avoir placé un homme dans le groupe, incarnant la bienveillance et l’écoute, et d’être ainsi inclusif.

Une force du film est enfin de ne pas juger. Espérons qu'il fera des miracles, même petits car on peut regretter que la loi Evin n'ait pas fait de miracle.
Des jours meilleurs de Elsa Bennett et Hippolyte Dard 
Scénario : Elsa Bennett et Hippolyte Dard avec la collaboration de Louis-Julien Petit
Avec Valérie Bonneton, Michèle Laroque, Sabrina Ouazani, Clovis Cornillac …
En salle à partir du 23 avril 2025

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