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mardi 8 avril 2025

La Chambre de Mariana, un film de Emmanuel Finkiel

Lundi 7 avril avait lieu le rendez-vous mensuel des cinéphiles avec l’AFCAE pour la découverte du nouveau coup de coeur qui s’est porté cette fois sur le film de Emmanuel Finkiel.

Je n’avais pas lu La chambre de Mariana, paru aux Editions de l'Olivier, en 2008, mais je connais Aharon Appelfeld que j’ai eu la chance de rencontrer il y a dix ans.

Je voudrais rappeler que l’homme est né en 1932 à Czernowitz en Bucovine. Ses parents, des juifs assimilés influents, parlaient l’allemand, le ruthène, le français et le roumain. Quand la guerre éclate, sa famille est envoyée dans un ghetto. En 1940 sa mère est tuée, son père et lui sont déportés et séparés. À l'automne 1942, Aharon s'évade du camp de Transnistrie. Il a dix ans. Il erre dans la forêt ukrainienne pendant trois ans, "seul, recueilli par les marginaux, les voleurs et les prostituées", se faisant passer pour un petit Ukrainien et se taisant pour ne pas se trahir.

Le film est différent -et ce n’est pas une critique de ma part-. Il commence en 1942 avec la fuite par les égouts d’un garçon d’une douzaine d’années (donc un peu plus âgé) et de sa mère qui va le confier à son amie d’enfance Mariana, une prostituée vivant dans une maison close à la sortie de la ville. Hugo devra rester caché dans le placard de sa chambre. Toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison…

On notera que l’action se situe en Ukraine, dans un pays que Aharon connait très bien. Où il avait rencontré tout le bas peuple ukrainien auquel il doit d’être alors resté en vie et de surtout conserver l’espoir. Une phrase proposée par Mariana dit à peu près la même chose pour adoucir la claustration d’Hugo : tu peux voyager dans le passé et l’avenir. Tu es libre.

Le placard de cette femme est très équivalent à la cabane dans laquelle se réfugient les deux héros du livre écrit pour les enfants, intitulé Adam et Thomas, que Aharon nous avait présenté le soir de notre rencontre. Il nous avait d’ailleurs parlé de Mariana, prostituée par nécessité, avait-il précisé. Et il nous avait fait la confidence que les femmes avaient été sa faiblesse. Avant de nous quitter, Valérie Zenatti (sa traductrice, qui est évidement intervenue sur le film) nous avait conseillé de construire nous aussi "notre petite cabane pour nous y mettre à l’abri".

J’avais mesuré combien le réalisme magique avait été essentiel pour lui permettre de survivreAharon Appelfeld nous avait également prévenu qu’il ne fallait pas le chercher dans l’un ou l’autre de ses personnages car il se glissait dans chacun d’eux. Toutes ces bribes de souvenir ont surgi hier soir dans les premières minutes et m’ont permis d’apprécier le film avec un regard orienté.

Je sais qu’Emmanuel Finkiel a vu dans son parcours de similitudes avec la vie de son père. Également qu’après La douleur, de Marguerite Duras, il pourrait être considéré comme le "cinéaste de la Shoah ". Mais ce film, tout en n’occultant ni les rafles ni les charniers, avec des images forcément poignantes, porte un message bien particulier, celui de la résilience et de la liberté que l’on se forge intérieurement. Il lui donne alors une portée universelle et rend puissante la dernière phrase, attribuée à la mère du garçon : le désespoir est une défaite.

Il faut saluer le travail de composition de Mélanie Thierry qui travaille pour la troisième fois avec ce réalisateur. Elle est aussi à l’aise en français qu’en ukrainien (mais elle a sans nul doute beaucoup travaille). J’ai cru à plusieurs reprises la comprendre …

Elle incarne à la perfection cette jeune femme fantasque, extrêmement solaire, qui résiste à sa manière, en s"abandonnant"`dans l’alcool et le sexe. Capable de tricher et de mentir s’il le faut pour continuer à vivre. Capable aussi de jouer, en sifflant, et de prétendre qu’elle a fait son affaire de la cuisinière. L’instant d’après elle est tragique dans l’évocation de son rapport à sa mère. Sans parler de la scène finale, magnifique.

S’agissant de l’expression de la sexualité elle est la réponse à la pulsion de vie. On peut admettre aussi que cette fiction se situant dans un bordel sa place est justifiée amplement, et les images sont toujours pudiques. Et puis je n’oublie pas l’expression malicieuse de l’écrivain à ce propos.

La Chambre de Mariana, un film de Emmanuel Finkiel
Avec Mélanie Thierry
Réalisé par : Emmanuel Finkiel
D’après le roman « La chambre de Mariana » de Aharon Appelfeld
Scénario, Adaptation et dialogues : Emmanuel Finkiel
Avec Mélanie Thierry (Mariana), Artem Kyryk (Hugo), Julia Goldberg (Yulia), Yona Rozenkier (Yacov), Minou Monfared (Anna)
Au cinéma le 23 avril 2025

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