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lundi 7 avril 2025

La Grande Magie d’Eduardo De Filippo / Emmanuel Demarcy-Mota

Parmi les reproches faits au théâtre public il y a celui du nombre de représentations. Il est vrai qu’il n’est pas possible de prolonger en cas de succès. Mais il reste l’éventualité de la reprise. C’est ce qui m’a permis de voir La grande magie, qui avait initialement été créée en décembre 2022 au Théâtre de la Ville, Espace Cardin. Je suis sortie enchantée du Théâtre des Abbesses.

Emmanuel Demarcy-Mota n’est pas le seul à avoir eu envie de bousculer la pièce de celui qu’on qualifie de Molière italien. Dans son film, sorti en février 2023, Noémie Lvovlsky accorde à Marta (interprétée dans le film par Judith Chemla) qui disparaît le droit de partir seule, et libre, sans donc rejoindre son amant. Et elle la fait apparaître en rêve éveillé, en fantasme, à Calogero, son mari abandonné, halluciné.

Dans la version du Théâtre de la Ville, les rôles de l’amant, de la femme et du mari sont inversés. C’est la maîtresse du mari qui a soudoyé le magicien pour le faire disparaître afin qu’il puisse la rejoindre à l’insu de Marta. A ceci près que les noms demeurent. Si bien que donc Calogero est l’épouse (Valérie Dashwood) et que son époux est "le mari". Il faut croire que le sujet prête à la transgression.
Pour l’auteur, "la vie est un jeu qui a besoin d’être soutenu par l’illusion et que chaque destin est relié au fil d’autres destins dans un jeu éternel". L’illusionniste (Serge Maggiani) persuadera la femme trompée que le temps écoulé n’est que celui de la représentation théâtrale et que son mari se trouve enfermé dans un coffret qu'elle peut ouvrir dès qu'elle sera certaine qu'il s'y trouve. La supercherie durera quatre ans.

Si la scène est bien le lieu où se déploie la machinerie infernale, on remarquera que la cruauté du jeu commence dès le début de la pièce. Tous les personnages semblent ligués contre Calogero, accusée d’être méprisante et envahie par une jalousie maladive. Pourtant cette assemblée ne lésine pas sur les potins et les moqueries, si bien qu’on pourrait s’attendrir de ce que supporte cette femme avec dignité : je ne snobe personne, surtout pas les gens qui me sont antipathiques. Je suis heureuse. Je ne me fais aucune illusion, n’attend aucune surprise, ne fait confiance à personne, même pas à moi.

Elle ignore à quel point elle va être le jouet d’une atroce manipulation. Il n’y aura rien de magique en fait puisque tout est truqué. Le mage est menaçant : nous savons toujours comment commence une expérience, pas comment elle finit.

Il dit la vérité quand il affirme que tout ce qui se passe sous ses yeux n’est qu’illusion … puisqu’il la trompe. Corrompu par l’argent (nécessité fait loi) il va la convaincre qu’elle est la responsable de sa détresse.

Certains dialogues illustrent un raisonnement vertigineux. Tu as faim parce qu’il est 13 h 30 ou il est 13 h 30 parce que tu as faim ?

Parallèlement vont se croiser une pléiade de personnages si bien qu’ils sont nombreux à jouer plusieurs rôles : Marie-France Alvarez (L’amante du mari, l’inspectrice) Céline Carrère (Mme Zampa, une cliente de l’hôtel, la mère de Calogero) Jauris Casanova (le mari de Calogero, Roberto Magliano) Sandra Faure (Zaira, femme d’Otto) Sarah Karbasnikoff (Mme Locascio, une cliente de l’hôtel, la sœur de Calogero) Stéphane Krähenbühl (Gervasion Penna, Comparse d’Otto, le frère de Calogero) Gérald Maillet (Arturo Recchia, comparse d’Otto, Gennarino Fucecchia, serviteur de Calogero) Isis Ravel (Amelia Recchia, fille d’Arturo). Je mentionnerai aussi bien sûr Pascal Vuillemot qui campe le garçon de l’hôtel Métropole avec grande fantaisie.

Que l’on soit d’un statut social ou d’un autre, personne n’est épargné par les drames et les difficultés diverses, ce qui permet de dessiner une vaste comédie humaine où le mystère se veut métaphore du monde.
Les points forts de la version d’Emmanuel Demarcy-Mota résident dans la synergie entre le jeu des comédiens (très précis), la scénographie et les lumières (qui à de multiples reprises suggèrent des illusions d’optique, grâce notamment à un centre de plateau tournant), les projections d’images qui sont parfois hypnotiques. Avec cette phrase qui revient en boucle : le monde n’est qu’une illusion. On l’entendra jusqu’à la scène finale qui, elle, suggère que le monde est une cage d’oiseaux.
Le spectacle joue sur une infinité de sensations, combinant le tragique et le comique, le jeu et le chant, dans un dosage très précis de sérieux, d’humour et d’émotion. Comme Calogero est touchante quand elle prend soin de la boite censée contenir son mari !

Si la vie n’est qu’illusion ce théâtre là, lui, est bien réel.
La Grande Magie d’Eduardo De Filippo dans la traduction d’Huguette Hatem
Mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota
Avec Serge Maggiani, Valérie Dashwood, Ilona Astoul, Marie-France Alvarez, Céline Carrère, Jauris Casanova, Sandra Faure, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Isis Ravel, Pascal Vuillemot 
Assistants à la mise en scène Julie Peigné, Christophe Lemaire
Scénographie Yves Collet, Emmanuel Demarcy-Mota
Lumières Christophe Lemaire, Yves Collet
Costumes Fanny Brouste
Musique Arman Méliès
Vidéo Renaud Rubiano
Conseiller magie Hugues Protat
Son Flavien Gaudon
Maquillages & coiffures Catherine Nicolas
Accessoires Erik Jourdil
Du 1er au 12 avril 2025, à 15 ou 20 heures
Au Théâtre des Abbesses - 31 rue des Abbesses - 75018 Paris

Les photos qui ne sont pas logotypée A bride abattue sont de Jean Louis Fernandez

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