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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 28 avril 2025

Être une grenade dégoupillée

L’institutrice de maternelle avait prévenu ma mère. Marie-Claire inoccupée, c’est une grenade dégoupillée. Entendue comme un reproche, cette remarque m’a poursuivie toute ma vie. Et pourtant comme cette enseignante avait raison !

Bien des années plus tard, j’étais aux Galeries Lafayette, attendant l’arrivée d’une amie avec qui j’avais rendez-vous pour choisir une tenue pour je ne sais plus quelle occasion, quand, m’ennuyant fortement de son retard, je me suis assise sur les marches d’un escalier de bois pour tenter de me distraire en observant les allées et venues d’une clientèle indécise et nonchalante.

Les aiguilles de la grosse pendule ronde tournaient. A part çà il ne se passait pas grand chose. Je vous parle d’une époque où les smartphones n’existaient pas. C'était il y a un peu plus de trente ans. Et je n’avais pas non plus le moindre livre pour faire passer le temps.

Le haut-parleur cracha l’annonce d’un concours d’écriture organisé par le journal Libération dans le cadre du Salon du mariage. Il s’agissait de produire la plus belle lettre d’amour avec à la clé un voyage à Venise pour deux personnes. Il faudrait être douée en littérature pour oser se lancer.

D’interminables minutes s’écoulent. L’amie n’arrive pas. Je m’ennuie. L’annonce du concours se répète. Je finis par me renseigner sur le règlement de l’épreuve. Il n’y a pas de longueur minimale ni maximale. Je retourne sur mon escalier, déchire une feuille de mon agenda et compose en moins de trois minutes un petit poème de moins de dix lignes qui pourrait se résumer à une non-demande en mariage. Plutôt osé comme propos en la circonstance mais tout à fait en accord avec le côté rebelle de la grenade.

Mon amie arrivant, je glisse le papier dans l’urne et n’y pense plus. Quelques jours plus tard un coup de fil m’apprend que je suis l’heureuse gagnante … du premier prix s’il-vous-plaît. Je suis donc convoquée pour le recevoir en présence de photographes et du rédacteur en chef du journal sponsor.

Je me souviens de cette charmante cérémonie arrosée de champagne. Les trois élus (un homme et deux femmes) avaient comme moi fait le déplacement. Le second prix était un bouquet de roses rouges d’une taille démesurée. Le troisième un abonnement de six mois à Libération. Fort aimablement, le président du jury me demanda à combien d’années remontait mon mariage. Je paniquai. Avez-vous vraiment lu mon texte ? C’est la vérité vraie et on comprend que je ne suis pas mariée.

Je tremble quelques instants, prête à m’incliner devant mes challengers qui, de mon point de vue, avaient écrit bien plus joliment et surtout plus long que moi. J’ignore si être marié était une condition indispensable pour participer au concours (ce qui à la réflexion aurait été discriminatoire et sans doute illégal). Toujours est-il que, bon prince, personne ne s’opposa pas à ce que je conserve l’enveloppe contenant les billets d’avion et le voucher de l’hôtel.

Voilà comment et pourquoi je partis à Venise en voyage de non-noces avec celui qui n’était pas et ne fut jamais mon époux.

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Nouvelle écrite après avoir lu Les silences de Venise d'Evelyne Dress qui ont ravivé mes souvenirs.

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