
J’ai retrouvé les ingrédients que j’avais appréciés dans les précédents : un point de départ exaltant, une sorte de mission impossible qui sera prétexte à un parcours initiatique, un chagrin d’amour qui sera le carburant d’une énergie sans faille, le voyage dans l’espace (cette fois concentré sur une ville, Venise) et dans le temps, la résolution d’un secret historique, et bien sûr la gourmandise qui témoigne d’un bel appétit de vivre.
Ajoutez en épices la beauté ensorcelante d’une ville romantique à souhait, de la musique de chambre, de la sensualité, des rencontres étonnantes, des évocations de Dante, de Casanova, de Napoléon à plusieurs reprises, de Saint-Exupéry et même du véritable maire de Venise, des relations conflictuelles entre mère et fille, la sagesse de la voix du père qui lui a enseigné que tout n’est que buée, quelques expressions en italien et vous aurez l’essentiel des Silences de Venise dont les chapitres principaux sont ponctués d’adorables petits dessins, sans doute de la plume de l’auteure.

J’ai revécu mes déambulations dans le dédale de ruelles et de ponts enjambant les canaux de cette cité unique. Je me suis rafraîchie sur le vaporetto et j’ai retrouvé l’atmosphère de Murano où je m’étais perdue, il y a quelques années. J’ai eu cette chance d’y passer un week-end dans des circonstances incroyables, à l’instar des nouvelles que j’ai racontées pendant le confinement. J’avais tout oublié de ce séjour. Ce livre a ravivé mes souvenirs. Mais ce n’est pas moi l’écrivaine, c’est Evelyne Dress.
Sans être elle-même généalogiste, Evelyne est fondamentalement intéressée par les histoires de famille et tout ce qui touche aux racines. On la devine, à de multiples reprises, dans le caractère de son héroïne, à laquelle elle a presque donné son prénom. Raconter l’histoire à la première personne renforce sans doute les similitudes mais surtout il insuffle de l’énergie si bien que je l’ai lu en moins de 24 heures. Ce n’est pas le genre de livre qu’on supporte de lâcher.
Généalogiste passionnée et consciencieuse, Eva, se jette à corps perdu dans l’enquête que lui a confiée Georgio Scorfano, un riche homme d’affaires qui a grandi dans un orphelinat et qui est plus que jamais déterminé à apprendre d’où il vient.L’enquête la conduit à Venise où mystères et secrets hantent chaque ruelle. Tandis qu’elle fouille les archives, traverse de somptueux palais, et se perd dans un labyrinthe végétal, elle découvre qu’elle a rendez-vous avec ses propres désirs et le terrible passé de son client.Ce roman initiatique explore la puissance du nom que l’on reçoit à la naissance et autour duquel on se construit. Il est aussi un double itinéraire généalogique et amoureux d’un homme et d’une femme en quête d’eux-mêmes et du bonheur, si tant est qu’on puisse le saisir.
Je ne connaissais rien du métier de généalogiste. Alors, forcément, cette lecture m’a passionnée. L’objet est assez proche de l’enquête policière. C’est non seulement un livre fort bien construit (je suis admirative du travail de recherche sans doute considérable) mais il y a aussi là matière à un film formidable, avec peut-être quelques accents fantastiques en lien avec les évocations historiques ou quelques évènements qui peuvent sembler surnaturels comme le décrochage d’un lustre de cristal (lequel n’est pas de Murano mais pourtant bien réel pour qui connait Evelyne) depuis le plafond de son domicile parisien (p. 30).
Comme à son habitude, elle glisse des perles culturelles entre les pages, nous apprenant (ou nous rappelant) par exemple l’origine du mot ghetto (p. 150). Elle distingue gondoles, vaporettos et traghettos dont elle nous explique l’utilité (p. 19). Elle établit très finement des parallèles entre des sujets apparement discordants. Elle fait ainsi observer que la Bible est assimilée à un labyrinthe : elle nécessite un effort de décryptage et d’interprétation (p. 84), et elle s’y emploie, en faisant intervenir un drôle de rabbin au sourire talmudique (p. 73).
Evelyne pourrait aussi réfléchir à la publication d’un guide gourmand (parisien ou plus large) tant elle collectionne les bonnes adresses. On peut compter sur elle pour glaner les meilleures.
Il n’y a que le titre que, à la réflexion, je ne validerais pas totalement car s’il y a certes des secrets, pesants et bouleversants, il n’y a pas de silences. J’ai entendu la musique résonner dans les églises, le clapotis de l’eau, la vaisselle qui s’entrechoque sur les nappes, le bruit de la vie qui s’agite sans cesse dans les ruelles, derrière les murs des palais palladiens, et surtout les battements de coeur et même des voix qui s’expriment depuis l’au-delà qui est finalement très proche.
Artiste complète, Evelyne Dress se révèle dans de multiples domaines artistiques, toujours avec bonheur et succès. Elle est actrice (Et la tendresse ? Bordel !) , réalisatrice (Pas d’amour sans amour), artiste-peintre (exposée deux fois au Grand Palais). Elle a déjà signé une dizaine de romans.
Les Silences de Venise d’Evelyne Dress, éditions Glyphe, en librairie depuis le 3 avril 2025
Livre lu en format numérique de 180 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire