
Je n'allais pas manquer Du charbon dans les veines de et mis en scène par Jean-Philippe Daguerre, actuellement encore au Théâtre Saint-Georges jusqu'à la fin du mois avant une grande tournée.
Pour résumer, nous sommes en 1958, à Noeux-Les-Mines, petite ville minière du Nord de la France. Pierre et Vlad sont les deux meilleurs amis du monde.Ils partagent tout leur temps en creusant à la mine, en élevant des pigeons-voyageurs et en jouant de l’accordéon dans l’orchestre local dirigé par Sosthène "boute en train-philosophe de comptoir", personnage central de cette petite sphère joviale et haute en couleurs malgré la poussière du charbon.À partir du jour où Leila, la jeune et jolie marocaine, vient jouer de l’accordéon dans l’orchestre, le monde des deux meilleurs amis ne sera plus le même…
L’histoire de la mine commence à s’écrire au passé et on peut craindre que les générations actuelles ne sachent pas combien la solidarité existait derrière la dureté du travail, à six pieds sous terre. Il fallait bien compenser les risques pour la santé par la qualité des rapports humains, comme l'exprime si justement le vieux mineur Sosthène.
L’entraide, on la vivait entre voisins, entre collègues, qui tous devenaient davantage que des amis, quasiment des frères. Parce que côté patron c’était souvent des rapports de force à sens unique. Le manque de respect des conditions de sécurité était à l’origine d’accidents, et alors il arrivait qu’on fasse signer une renonciation à porter plainte contre un dédommagement vite conclu. On pouvait aussi acheter le silence d'une jeune fille, malencontreusement enceinte du fils du patron, en offrant un logement à sa famille.
Jean Philippe Daguerre est sensible à la modestie de ces familles. Il s’est documenté avant d’écrire une pièce qu’on peut considérer comme une leçon d’amour et de résilience dans la lignée de ses précédentes, comme Adieu monsieur Haffman ou Le Petit Coiffeur.
Le décor (Antoine Milian) nous embarque aussi bien dans le café qui tient de lieu de réunion, que dans la mine ou le hangar où sont élevés les pigeons. Il suffit de basculer un panneau pour faire apparaitre le cabinet du médecin et de tirer un capot pour donner l'illusion d'une balade en voiture. Pourvu d'avoir les bons éclairages (Moïse Hill).
L'auteur a choisi de situer l’action en 1958 parce que cette année marque de multiples changements. La V° République succède à la IV°. La télévision (en noir et blanc à cette époque) apparait et va changer radicalement les loisirs des français. C’est le début de la fin de l’exploitation des mines de charbon au profit du gaz de Lacq. C’est aussi une période de mutation musicale avec l’engouement pour le jazz.
Il a voulu démonter que si des malheurs existent (accident du travail, maladie mortelle, harcèlement d’un patron … et la mort des proches) la vie n’est pas que tristesse.
Il était nécessaire d'accorder une place de choix à la musique en évoquant l'histoire des fanfares, intimement liée à l'industrie minière du Nord et du Pas-de-Calais puisque chaque cité ou presque avait sa propre harmonie ou fanfare, créées pour les plus anciennes, à la grande époque de l'industrialisation. je signale à cet égard le festival des Rutilants, imaginé avec la volonté de réhabiliter le site minier de Oignies, qui fut le dernier à avoir fermé ses portes en 1990. Il est resté complet, avec toute la chaîne d'exploitation du charbon. On ne peut pas non plus ignorer le film En fanfare qui est sorti récemment sur les écrans.
Les comédiens (Juliette Béhar, Théo Dusoulié, Julien Ratel) sont également musiciens, ce qui ne diminue pas leur mérite, car il leur a fallu beaucoup d’acharnement pour atteindre un niveau suffisant permettant de jouer en direct sur la scène les morceaux composés pour l'accordéon par Hervé Haine. Les voir devant nous avec leur instrument apporte une valeur ajoutée à la meilleure des bandes-son.
Du charbon dans les veines a bien la marque de fabrique des spectacles conçus par Jean-Philippe Daguerre, avec des dialogues combinant ce qu’il faut de sérieux, de sentiments, de philosophie et aussi d’humour.
C'est tout le nord de la France de la fin des années 50 qui reprend vie sous nos yeux. Le décor restitue l’ambiance d’une petite bourgade, où on vivait partagé entre son travail à la mine -ou au bistrot-, et ses loisirs qui alors étaient le football -ou les pigeons- (me rappelant la passion de mon arrière-grand-mère) et où l'on mettait autant que de chicorée que de café dans le caoua. Dans une région et à une période où ce n'était pas les asperges (du potager) qui étaient un produit de luxe mais les tomates.
Il était essentiel de rappeler que les mineurs n'étaient pas tous français de souche, loin s'en faut. Nombreux furent les immigrés polonais, italiens, maghrébins … J'avais réalisé l'ampleur du phénomène ne visitent le centre minier de Lewarde. Toutes les consignes de sécurité étaient traduites dans toutes ces langues au fond de la mine. J'avais compris qu'il n'y avait plus de différence de religion ou d’origine, plus que des gueules noires et j'avais été bouleversée par ce que j'avais perçu de l'enfer dans lequel travaillaient les mineurs. C'est un souvenir indélébile.
Kopa, le magistral footballeur international français, idole des stades du début des années 1950 jusqu'à la fin des années 1960 s'appelait Raymond Kopaszewski et était né en 1931à Nœux-les-Mines où l'auteur a décidé de situer l'action. Tous les noms "imprononçables" ont été francisés.

Les actions s'enchaînent comme sur du papier à musique. Les scènes sont plutôt courtes, rythmées par une écriture efficace, et nous conduisent à la fin de rebondissement en rebondissement. Les personnages savent que lorsqu'on est mineur il faut composer avec la mort et ils nous donnent des leçons de tendresse. Sosthène s'estime chanceux d'être encore en vie à plus de 60 ans alors que la silicose a tué son père à 37 ans et demi.
Ils voudraient bien changer le monde, l'un avec son syndicat, l'autre avec la musique. Une chose est sûre, il faut se méfier des apparences, rester sur ses gardes, anticiper l'avenir, avoir le coeur grand ouvert et être (toujours) prêt à partager les instants de bonheur qui se présentent.
Le plus beau compliment à faire à la troupe est celui que j'ai entendu dans le public : c'est le spectacle qui me donne envie de retourner au théâtre.
Du charbon dans les veines de et mis en scène par Jean-Philippe Daguerre
Avec : Jean-Jacques Vanier, Aladin Reibel, Raphaëlle Cambray, Théo Dusoulié, Julien Ratel, Juliette Béhar, et Jean-Philippe Daguerre en alternance avec Yves Roux
Décors : Antoine Milian
Costumes : Virginie H
Musiques : Hervé Haine
Lumières : Moïse Hill
Au Théâtre Saint-Georges Costumes : Virginie H
Musiques : Hervé Haine
Lumières : Moïse Hill
51 Rue Saint-Georges - 75009 Paris - 01 48 78 63 47
Du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h
Jusqu'au 26 avril 2025, puis en tournée
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