
C’est un auteur que je « suis » depuis son premier livre, Ma reine. Et je me suis réjouie qu’il emporte le Goncourt après « seulement » trois livres, (après Cent millions d’années et un jour et Des diables et des saints), Il y a d’ailleurs une unité indéniable entre tous, composant une véritable oeuvre.
Veiller sur elle est une titre énigmatique. Le lecteur s’interroge sur l’identité de ce "elle". De quelle femme s’agit-il ? Les premières pages situant l’actions dans une abbaye on pourrait penser à une sainte. Et plus tard à Viola qui restera toute sa vie l’âme sœur du héros.
Ce roman peut être analysé sous différents angles. J’y ai vu une magnifique histoire d’amour entre deux êtres qu’a priori tout oppose, tant sur le plan physique que social et qui composent un couple atypique, d’une modernité remarquable.
On peut aussi y lire le parcours exceptionnel du sculpteur Michelangelo Vitallini, dont on suit la confession autobiographique fictive. Comme le destin de Viola Orsini, ambitieuse héritière d'une famille prestigieuse. En ce sens le roman témoigne qu’être homme ou femme dans l’Italie du siècle dernier a une importance déterminante, quels que soient ses talents, ce qu’il est aisé d’admettre.
Jean-Baptiste Andrea nous donne des clés pour comprendre comment naissent les sculptures et j’ai beaucoup aimé cet aspect consacré au métier de tailleur de pierre et à la création artistique. Le conseil de son père, lui-même sculpteur est parlant : Imagine ton oeuvre terminée, qui prend vie. Tu dois imaginer ce qui se passera dans la seconde qui suit le moment que tu figes, et le suggérer. Une sculpture est une annonciation.
Ce dernier mot nous renvoie dans l’univers de la sainteté. De fait on comprendra que la beauté d’une oeuvre puisse être de l’ordre du sacré. C’est vrai aussi pour la peinture : Il faut avoir vu les peintures de Fra Angelico à la lumière des éclairs (p. 579).
Avoir fait naître Mimo dans la pauvreté et Viola dans la richesse d’une famille en ligne directe avec le Pape et avec le Duce justifie une analyse très pertinente de l’évolution politique que connait l’Italie tout au long des années pendant lesquelles se déroule le récit. L’opposition entre les deux personnages permet d’ailleurs d’éclairer comment tant de personnes, comme Mimo, dont le rêve d’élévation est intense, ont pu fermer les yeux sur ce qui se passait. Viola lit les journaux, sait ce qui se passe en Allemagne et tente à plusieurs reprises d’alerter son ami. Lui refuse de savoir.
Les deux protagonistes s’opposent également par des critères physiques. Elle est magnifique alors que lui est affligé d'achondroplasie (une forme de nanisme), et on ne pourra pas s’empêcher de faire un rapprochement avec Toulouse-Lautrec, dans un autre domaine artistique tandis que le prénom du sculpteur est une référence immédiate à un autre artiste italien.
On remarquera qu’alors que Mimo a une soif d’ambition sans bornes et d’élévation dès qu’il commence à être reconnu, Viola a le projet de s’envoler concrètement. L’un y parviendra, l’autre non, et la supériorité physique de l’une s’inversera comparativement à l’autre dans d’incessants jeux de miroir, faisant dire à Viola : Tu es mon entre de gravité (p. 558). Et surtout aucun des deux ne se résignera, jamais, ce qui donne beaucoup de souffle à cette histoire.
On comprend que le sujet intéresse déjà des producteurs pour réfléchir à une adaptation cinématographique.
Ce qui est particulièrement réussi c’est ce tissage de liens au nom d’une gémellité cosmique (née d’un mensonge quand Mimo doit révéler sa date de naissance). leur relation est rapidement très forte. Au premier regard, ils se reconnaissent et se jurent de ne jamais se quitter. Pourtant Viola et Mimo ne peuvent ni vivre ensemble, ni rester longtemps loin de l'autre. Ils s’esquivent, se retrouvent, tour à tour amis ou ennemis, liés par une attraction indéfectible. Et Mimo accepte souvent de reconsidérer ses points de vue : En bons jumeaux cosmiques nos griefs étaient parfaitement génétiques (p. 382). Viola me donnait une nouvelle leçon : la vraie vie était dans les livres (p. 414).
On peut deviner le point de vue de l’auteur dans cette dernière assertion. Et il est probable qu’à propos de talent c’est encore son avis qu’il exprime : On ne peut pas avoir de talent. Le talent ne se possède pas. C’est un nuage de vapeur que tu passes ta vie a essayer de retenir (p. 238).
Régulièrement, et en toute logique, on reconnaît la plume d’Andrea. Comme par exemple dans cette phrase apparemment anodine : (l’exorciste mourut) sans savoir qu’il avait raison, et qu’il se trompait complètement (p. 440).
Le lecteur est ainsi secoué tout au long de cette très longue saga entre des options contraires, qui ne sont pas nécessairement contradictoires. Même si le personnage principal est apparemment celui de Mimo, le regard de Viola nous suivra longtemps : Je voulais te montrer qu’il n’y a pas de limite. Pas de haut ni de bas. Pas de grand ou de petit. Toute frontière est une invention (dit-elle à Mimo p. 185). Et pourtant elle aussi a besoin de soutien, ce qu'elle exprime avec lucidité : Je n’ai pas besoin que tu critiques mes choix mais que tu me soutiennes ou que à tout le moins tu fasses semblant (p. 348).
Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea, en librairie depuis le 17 août 2023
Prix Goncourt 2023, Prix roman FNAC, Prix des Lectrices de ELLE
Prix Goncourt 2023, Prix roman FNAC, Prix des Lectrices de ELLE
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