
Le garçon est bourré de charme. La femme est quelconque. Il est modeste et insolent, doux et arrogant, fragile et orgueilleux (p. 42) On pourrait dire d’elle qu’elle est naïve, mais elle est surtout résignée et résolue à l’aimer envers et contre tout, et n'éprouvera pas la moindre jalousie lorsqu’il se marie.
Cela peut sembler invraisemblable mais d’une part elle a peu d’estime de soi : les profs écrivent, les concierges vident les poubelles (p. 41). Et d’autre part sa philosophie de vie la pousse à l’abnégation : L'amour n'est pas propriété privée (…) c'est une dévotion qui n'a nulle exigence et n'attend rien (p. 73). J'aimais Matteo parce que cet amour était toute ma vie, avec lui ou sans lui, dans le fond ça ne changeait guère, dans le fond personne ne possède rien (p. 74).
Doué (peut-être) pour l’écriture – Matteo a commencé à publier, et avec succès –, il semble promis au plus bel avenir… et prend la lumière. La concierge anonyme, que le jeune homme appellera Caterina, mais ce n'est pas sa véritable identité, est une femme de l’ombre, et c'est la narratrice, ce qui signifie que Matteo existe à nos yeux vu par elle.
Nous seuls remarquons son existence minuscule. Une concierge ne doit pas être trop familière avec un professeur. Elle doit rester à sa place, immobile, invisible (p. 24). Mais une concierge qui récite Rimbaud avec émotion (p. 30) et qui fait siennes ses paroles : l'amour infini me montera dans l'âme.
Il ne fait pas de doute qu'elle rêve sa vie, avec mythomanie, si bien qu'il n'est pas certain que la rencontre qu'elle nous raconte ait bien véritablement eu lieu. Pas plus que l'apparition d'un nain que que Fellini n’aurait pas renié.
Cette femme surinvestit ses sentiments, agissant à l'égard de Matteo comme le ferait une "ange gardienne" bien qu'elle n'agisse pas vraiment, ce qui lui donne un côté "mouche du coche". A quoi bon cet amour infini ? Je l’ai aussitôt aimé parce que j’ai compris que sans moi il ne pouvait pas s’en sortir, et que moi je n’existait pas sans lui (p. 126).
Son rôle n'est pas exclusivement positif. On la verra capable de lever la bêche sur un ennemi potentiel. Il n'empêche qu'elle n'est entourée que de personnes nocives. Son amie Mirella ne lui porte pas chance. pas plus que Matteo d'ailleurs. Son directeur d'établissement n'est pas sincère lorsqu'elle partira à la retraite : Vous avez été une figure essentielle dans l’histoire de cette école (p. 130).
Avec cet ouvrage concis, Marco Lodoli nous offre une fable sur l’espérance et l'abnégation, puissante au-delà de la réalité.
Si peu de Marco Lodoli, traduit de l’italien par Louise Boudonnat, P.O.L, en librairie depuis septembre 2014
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