Ma reine appartient à cette catégorie de livres qui, à l‘instar du Petit Prince, embarque les lecteurs de tous âges dans une dimension philosophique.
La scène d’ouverture évoque Alice au pays des merveilles : je tombais, je tombais et j’avais oublié pourquoi. (…) Je me suis roulé en boule comme quand Macret me tabassait, c’était un truc pour avoir moins mal. Maintenant il n’y avait qu’à attendre. J’allais bien finir par arriver.
L’auteur situe l’action à l’été 1965, en Provence, sur un plateau montagneux, quelque part sur la Route Napoléon, au-dessus du Parc naturel régional du Verdon. Il a choisi pour cadre une de ces stations-service qui jalonnaient alors toutes les routes françaises.
Ce n’était pas luxueux. Des carrés de papier journal pendaient dans les toilettes extérieures. On n’y vendait pas de viennoiseries et autres gadgets mais il y avait une qualité humaine dans la relation : quand un employé donnait souvent un coup de propre sur le pare-brise pendant que le réservoir se remplissait. On peut en être nostalgique.
Juste un vieil auvent avec deux pompes dessous (p. 11) où vit une mère, avec son feignant de mari et un attardé de fils de douze ans qui se prend pour Diego de la Vega, moins la moustache. Une phrase suffit pour qualifier l’ambiance : on se parlait pas, on s’était déjà tout dit. Les parents sont vieux, sans aucun ami. La fille ainée est mariée, installée en ville et répète que l’endroit n’est pas un lieu convenable pour le petit.
Le bonheur du gosse se résume à remplir le réservoir en portant fièrement sur le dos le beau blouson Shell, siglé de la coquille dorée de la marque d’essence, donné par son père (p. 14). C’est peu mais ça aurait pu suffire. Ce qui l’a fait partir, c’est une cigarette dont la cendre a embrasé les aiguilles de pin, mettant la mère en furie face à tant d’inconscience si près de la citerne d’essence. C’est pas passé loin, dira le père (p. 18) et la décision des parents est prise : cette fois le fiston sera placé dans un institut.
L'enfant ne l'entend pas de cette oreille. Il organise sa fuite qu'il envisage comme un départ pour une guerre. Le combat sera singulier, contre les éléments, le climat, contre ses peurs et ses TOC, et surtout pour ne plus être traité d'imbécile.
Jean-Baptiste Andrea nous fait vivre l'aventure comme un conte initiatique. Approchant un scarabée sur une tige alourdie par la rosée il ose une phrase qui résonne comme un présage : les animaux te saluent, Divin Enfant. (p. 41)
Une jeune fille au prénom de fée, Viviane, le débusque dans sa retraite. On se rendra compte qu'elle aussi cache des souffrances. Mais pour le moment elle s'arroge le titre de reine (p. 58) et lui lance presque un sortilège après l'avoir mis à l'abri dans une borie. Ce sera ensuite un berger providentiel qui le prendra sous son aile une fois que Viviane aura disparu après lui avoir laissé une lettre que bien entendu l'enfant ne sait pas lire. Il faudra attendre la fin pour comprendre quel est le dragon qui empoisonne l'existence de la jeune fille.
Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Il est réalisateur et scénariste et son expérience cinématographique se sent. L'écriture lui a permis d'abolir les contraintes auxquelles il est confronté dans le cinéma, pouvant faire évoluer ses personnages sans être freiné par une quelconque barrière (faire tourner des enfants obéit à un cadre très strict qu'en tant que scénariste il doit respecter) et sans restriction budgétaire. Ma reine vit de cette liberté, a t-il déclaré en interview.
Il déroule l'histoire avec beaucoup de tendresse et de délicatesse. C'est un premier roman très réussi.
Ma reine de Jean-Baptiste Andrea, L'Iconoclaste
Les citations font référence à une lecture en format numérique de 240 pages
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